Plus un pas sans qu’ils soient présents.
Que ne l’étaient-ils en d’autres temps, d’autres lieux, d’autres bagarres, même perdues d’avance ?
Ils vous abordent dans la rue, entre pain et poulet rôti.
Ils vous ont sorti les grandes orgues des ténors politiques du coin. Ceux qu’on ne voit que très rarement parmi nous, faire leur marché, compter leurs sous dont la présence s’amenuise.
Leur monde apparaît lorsque le nôtre disparaît.
Non que ne me soit pas sympathique cette mêlée ouverte qui teinte le marché du murmure incessant des débats.
Non, je serais plutôt ravi qu’une telle animation saisisse ma ville et demandeur qu’elle soit ainsi exubérante plus souvent.
Mais c’est qu’il s’agit de convaincre ici le péquin de passage de son devoir de vote.
Vote ? Vous avez dit vote ? Mais ne devons-nous pas encore patienter jusqu’en ce printemps 2012 qui ne nous a jamais paru si loin, et la mésaventure présidentielle si longue ?
Vous n’avez rien compris : il s’agit de voter aux primaires ?
Mais primaires de quoi ? N’y aurait-il plus choix en ce bon pays qu’entre libéraux décrispé de droite, et libéraux offusqués de gauche ?
Ils y viennent. Pas de jour sans recevoir d’amis, de « responsables », de ma famille quelque missive mailesque m’invitant à voter Aubry, Hollande, Royal, et autres caciques. Et tous les jours de répondre que n’étant pas adhérant et ne comptant pas adhérer, le problème du candidat est propre à ce parti qui nous tant habitué aux retournements de vestes.
Alors on me sort le couplet du regain de démocratie. On me dit que la foule serait prête à voter, puis à confirmer son vote dans quelques mois. Mais ce coup-là n’a-t-il pas déjà foiré il y a cinq ans ?
Qu’est cette démocratie dont le rôle ne serait que de séparer des hommes et des femmes, pour ne garder que le plus beau et le plus fort, celui dont le discours saura vous caresser dans le sens de vos poils, sinon sa parodie piteuse.
On se coule dans le moule de la Vème république, taillée sur mesure après un coup d’Etat, pour un général qui sut mesurer sa fringale de pouvoir, contrairement à tous ceux qui lui ont succédé.
Va-t-on débattre de la situation sinistre de la culture, de la santé, des revenus dans ce pays ?
Que nenni, on vient vous dire qu’au lendemain de l’élection présidentielle, les uns feront dans un ordre différent ce que les autres proposent.
S’agirait-il de remettre fondamentalement en cause le pouvoir exorbitant des banques, du grand patronat, des médias possédés par ces derniers ? S’agirait-il d’envisager enfin une éducation nationale digne de ce nom, libérant les fils du peuple de la gangue d’ignorance où TF1 les maintient ? S’agirait-il d’user du pouvoir enfin acquis pour remettre en cause celui de cette télévision dont le rôle relève avant tout du lavage de cerveau (de la mise à disposition de cervelle libre pour Coca Cola avait dit un Monsieur Lamy, socialiste de son état) ?
Que nenni, il s’agit de se prononcer sur la jupe ou la cravate, boire un coup en supputant à la victoire de l’un ou de l’autre, qui seront demain dans le même ministère sans nous garantir qu’ils ne tourneront pas le dos aux promesses d’hier.
Et tous ces médias, écrits ou parlés, réduisant l’intelligence humaine à la seule dimension visuelle du triste spectacle, lassés de soutenir l’imbécilité élue il y a cinq ans grâce à eux, viennent nous vanter le principe démocratique des primaires comme ils vantent, entre deux séquences de film ou d’insipides et soporifiques articles, la lessive ou le caviar. Nous n’aurions le choix qu’entre ce dernier et le cassoulet en boite, avec aluminium garanti pour limiter encore un peu le jeu de nos neurones.
Alors, n’en déplaisent à tous ceux qui se déchainent à m’inviter dans cette pantomime, j’userai de mon devoir de réserve et de ma force de résistance au rouleau compresseur pour vous affirmer ne pas vouloir « manger de ce pain là », comme disait Benjamin Perret en d’autres temps, autrement héroïques.
Ce qui nous est présenté là est comme le Canada Dry : ça a la couleur, l’odeur, le goût de la démocratie, mais ce n’est pas la démocratie, juste sa plus livide apparence.
La vraie démocratie, il faudra l’exercer dans quelques mois, en taille réelle, en évitant de s’abstenir. La seule difficulté sera de choisir et de bien choisir. Car les mêmes reviendront nous faire le coup du vote utile au premier tour. Et comme hélas, l’imbécilité n’est pas l’apanage que de la droite, les petits copains d’extrême gauche, à se chamailler pour décrocher le pompon de la suprématie dans leur écosystème, auront gentiment fait le lit de notre défaite à venir, juste le temps pour les cocus de droite de se refaire une petite virginité dans l’opposition (j’entends d’ici leurs cris d’orfraie, ils sont déjà audibles avant même leur défaite).
Les véritables défaits de cette absence objective de vrais débats seront ceux qui mordent déjà la poussière de leur misère, et ceux qui ne tarderont pas à les y rejoindre, quelque soit le tiercé gagnant.
Car rien ne saura changer sans la mobilisation des intelligences et des consciences, sans la reterritorialisation de nos vies, sans un partage profond et insistant des connaissances, sans l’ouverture à un mode de pensée autonome pour la majorité des relégués, expulsés, bafoués de ce temps de nouvelles féodalités.
C’est à ce sursaut d’intelligence critique et de révolte profonde, dépassant la seule indignation de bon aloi (même si elle est déjà un premier pas) que poètes, écrivains, artistes de toutes cultures nous avons à travailler. Faute de quoi, nous ne pourrons que regarder la ruine s’étendre dans les fumées iatrogènes du capitalisme revenu à sa source féodale.
Xavier Lainé
Manosque, 3 octobre 2011