J'ai repris ma bible du moment, quoique sortie en octobre 2005 (une éternité, à l'aune de l'obsolescence accélérée du bien culturel, de la hype, ou de l'information), "Une Presse sans Gutenberg" de Bruno Patino et Jean-François Fogel (Grasset). La notion de gratuité y est largement évoquée: Internet a provoqué une disruption pour la presse d'information. Elargissons le débat: pas uniquement pour la presse. Internet donne l'illusion de la gratuité et nous confronte à la perte du sens de la valeur de l'objet. Pourquoi paierais-je un bien, un service, une information, un film, un morceau de musique alors que je sais qu'il est quelque part sur la Toile, et que je peux y accéder facilement? Et que le fait de payer mon abonnement à mon FAI est pour moi le droit d'accès à un univers où tout est disponible, la licence globale en quelque sorte... Médiatiquement parlant, le modèle télévisuel a quelques années d'avance: la télé hertzienne est accessible gratuitement. La TNT permet l'accès gratuit à un nombre de chaînes plus important. Dans les deux cas, gratuité = média de masse. L'offres payante est un offre ciblée, pointues, que ce soient les bouquets satellites, les chaînes cablées ou les futures chaînes payantes de la TNT. Payant, donc segmenté. La conséquence: des audiences atomisées. L'émergence de la VOD va accentuer cette atomisation, avec en prime un modèle publicitaire à réinventer, où à recycler ("This programme is brought to you by Lux, the soap of the stars"... ou le retour du soap opera version numérique...)
Côté radio, la gratuité va de soi. Quid de la radio numérique accessible sur abonnement? Dans ce cas, on assistera à la naissance d'un média très segmentant. Même approche avec les podcasts. Anecdotiques aujourd'hui, ils sont à l'instar de la VOD, le dernier avatar de la personnalisation du media. Et là aussi, un modèle publicitaire est à inventer avec de vieilles recettes! ("This podcast is brought to you by Coca Cola"...). Et la presse? La visite d'un kiosque est parlante: saturation de l'espace, multiplication de l'offre, multiplication des produits de niche, chacun tentant d'émerger dans la cacophonie, en exposant quelques centimètres carré de couverture... On est chez Alien... "dans l'espace, nul ne vous entend crier..."... Le produit de presse payant est condamné à n'être qu'un média de niche. Le gratuit est le media de masse. Comme dans l'industrie du luxe, on est prêt à payer cher (mais cher, c'est quoi dans le luxe?) un produit dont on subodore qu'il va être de qualité. Value for Money comme on dit. Vendre peu mais cher, avec de fortes marges. Là s'arrête le parallèle. Les marges d'un produit de presse sont loin de celles du luxe. Et la publicité, du fait de l'atomisation de l'offre ne peut subvenir aux besoins des milliers de publications disponibles... Là réside le paradoxe qui amène la presse payante à tenter de se réinventer... Le darwinisme économique fera le reste.