Lors de sa visite à Tunis, Le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, dans une conférence de presse retransmise par la Télévision tunisienne avait proposé que la Capitale Tunisienne, Tunis, soit « jumelée » avec Istanboul ou avec Ankara, en précisant qu’il laissait le choix aux Tunisiens. A ma connaissance aucun commentateur de la place n’a relevé le sens hautement politique de cette proposition dont la signification dépasse largement le cadre d’une déclaration de circonstance, mais résonne d’une désignation symbolique du contenu de sa position politique à l’égard d’un possible rapprochement entre l’Islam politique turc et l’Islamisme d’essence wahabite du Parti de Rached Ghanouchi. En laissant aux Tunisiens la latitude de choisir entre Ankara et Istanboul, il signifiait par là les bases politiques à partir desquelles, pourraient se renforcer la collaboration entre nos deux pays. En d’autres termes, il s’agissait de dire, que pour lui, l’Islam politique Turc, désignée ici par la Capitale du dernier Califat (Istanboul) ne peut souffrir d’une quelconque contradiction à se présenter comme compatible avec une vision politique fondée sur le principe de laicité, à laquelle fait référence Ankara, Capitale de la République d’Ataturk .
Ceux, parmi les islamistes tunisiens, qui projettent leurs positions sur celles du Parti d’Erdogane se trompent lourdement. Ou bien ils réfléchissent par amalgame : en considérant qu’il n’y a qu’un seul Islam totalement dé-contextualisé et an-historique qui se résumerait en la croyance en la Tradition et aux principes moraux qui la sous tendent. Selon Rached Ghanouchi, tout régime quel qu’il soit qui veillerait à l’application, même formelle, de ces principes, aura droit à son encouragement et au soutien de l’organisation politique dont il est le chef. C’est ainsi qu’il explique son soutien à Sakhr El Materi qu’il a félicité, le jour où ce dernier avait crée sa chaine radio religieuse « La Zitouna » du même nom que sa « Banque islamique ». C’est dire également qu’en matière d’exemple de démocratie islamique, il n’hésite pas à associer L’Iran de Khomeyni, l’Afghanistan des Talibans, et la Turquie de l’AKP, tout en privilégiant le dernier exemple, en se proposant de l’adapter à la Tunisie pour avoir la bénédiction des Américains.
En réfléchissant de cette manière on ne peut plus « généraliste », on soustrait à l’Islam sa qualité spécifique de « vision du monde » en le réduisant à un projet politique inconséquent, dont la finalité religieuse ne fait que servir de couverture sophiste à une volonté de domination qui n’aurait du projet politique que le désir d’accéder au pouvoir. Ce qui ne peut qu’arranger les puissants de ce monde qui n’ont pas intérêt à ce que les petites nations comme celles du Maghreb, accèdent au statut de producteurs d’histoire. Parce qu’à leurs yeux, ce qui importe c’est d’abord d’en assurer la gouvernance pour faire durer le plus possible la stabilité politique, sans laquelle l’activité dominante de libre échange ne peut prospérer.
En conséquence, la démocratie qu’ils voudraient « laisser instaurer » ne doit pas être réelle et doit se limiter aux modalités pacifiques de « transfert de pouvoir » (c’est l’ordre que L’Amérique et l’Europe donnent aux dictateurs contestés, pour qu’ils se laissent remplacer par d’autres et empêcher que les révoltes ne se transforment en révolutions. Parce qu’une révolution si elle ne provoque pas l’émergence d’une vision nouvelle des modalités de production de l’histoire ne peut dépasser l’effet d’un coup d’Etat et pourrait, dans certains cas se révéler, en définitive, n’être qu’une « contre-révolution » par rapport au pouvoir précédent, au cas où ce dernier aurait eu des ambitions révolutionnaires, comme c’était le cas des premiers moments de la Tunisie moderne instaurée par Bourguiba.
L’on peut même affirmer, aujourd’hui, que la contre révolution avait déjà commencé vers les débuts des années soixante dix, pour s’institutionnaliser en tant que pouvoir, un certain 7 Novembre 1987, en prenant une forme déclarée « tunisiennement » « soft » sous couvert de « Révolution des Jasmins, en référence à celle, portugaise, des œillets.
Kadhafi, en authentique dictateur l’avait compris et durant quarante deux ans il n’a cessé de dénigrer la démocratie en soulignant qu’elle n’était, en fait qu’une manière de « réguler »la lutte pour le pouvoir. En conséquence, considérant que toute représentation de la volonté du peuple est de l’ordre du mensonge, il s’est déclaré son Représentant Absolu, en recourant à un nouveau concept pour désigner ce dernier. Celui des « masses-foules-rassemblement » dont la « Jamahiriya » est l’émanation. En agissant de la sorte, et en proposant sa « troisième théorie » comme vision d’avenir, pour l’Humanité entière, il déclare, à l’instar de Fucuyama, la fin de l’Histoire. Non pas comme le voulait Bush, par la reconduction infinie de la domination américaine, mais par la mise à mort proprement dite de l’histoire. Et ce, par l’annulation des contradictions qui en sont les pulsations cardiaques.
D’où l’on comprend que les premières manifestations d’opposition au régime de Kadhafi l’accusaient de « Crime contre la Raison », bien avant que sa déraison ne le mène à commettre des crimes contre l’Humanité.
Quant à Ghanouchi, qui ose déclarer que Ben Ali est un usurpateur qui l’a privé du pouvoir qui lui revenait de droit en 1987, considérant que Le MTI était potentiellement majoritaire dans des élections qui n’ont pas eu lieu, (en prenant son mouvement pour le FIS algérien), il faut croire que le discours qu’il a toujours tenu, fait de lui le contre-révolutionnaire sur mesure pour l’éradication programmée, de la mémoire des Tunisiens, de ce qui jusqu’ici, les a immunisés contre les dérives idéologiques aliénantes, à savoir le mode de penser Bourguiba. Particulièrement en ce qui se rapporte à sa composante islamique . Laquelle perçue sous l’angle du réformisme laïcisant de Jamal Eddine El Afghani et de Chakib Arslan, auxquels Bourguiba s’est toujours référé, serait plus proche de l’Islam politique turc, héritier du mouvement Nourjou, à forte connotation culturelle et sociale, réconcilié avec l’héritage d’Ataturk, que ne le serait L’Islam de Ghanouchi taillé à la hache, dans la tradition wahabite ou Chafeite, étrangère à la fois au Hanéfisme dominant en Turquie et au Malékisme de la majorité des Maghrébins.
Que Ghanouchi, profitant de l’ignorance de ses troupes se mette à disserter sur l’importance qu’accorderaient les Turcs à ses écrits, cela ne peut que confirmer le rapport Œdipien qu’il entretient avec Bourguiba et sa mémoire, en s’attribuant la ressemblance objective que l’on peut trouver entre l’Islamisme Nourjou des Turcs et le réformisme islamique bourguibien . Pour cela, il fallait que la mémoire du père, soit totalement ensevelie sous la calomnie systématique. Et c’est à cette tache indigne que s’est attelé, depuis le début de la Révolution, le Chef intégriste tunisien qui se voit déjà installé à Carthage en lieu et place de Ben Ali, en vue d’achever l’œuvre de ce dernier : en finir, une fois pour toutes avec la pensée critique des lumières, léguée par Bourguiba à son peuple, dont l’usage pourrait faire aboutir notre Révolution, en la sauvegardant des idéologies révolutionnaristes de l’échec, dont l’Islamisme des plus ignorants d’entre nous.