Magazine Cinéma
Premier film en couleurs depuis plus d’une décennie, Philippe Garrel troque la Bardot de Godard contre une Bellucci objet des fantasmes, pour un hommage à son maître de cinéma. Comme dans Le Mépris, l’art et l’amour font bon ménage, jusqu’à ce que l’un vienne dévorer l’autre, que le regard n’arrive plus à se nourrir d’une admiration partagée. Dans Un été brûlant, Garrel s’interroge une nouvelle fois sur l’art difficile d’aimer et d’être, compose une œuvre rêveuse, bercée aux cauchemars de la vie, décompose l’amour en plusieurs temps : passion – déclin- et mort. De son quatuor romain : d’un côté Frédéric, peintre (interprété par son fils, Louis) et Angèle (Monica Bellucci), actrice ; de l’autre, Paul (Jérôme Robart) et Elisabeth (Céline Sallette), tous deux figurants, il tire des séquences éblouissantes, évanescentes, dont la puissance tragique trouve un équilibre paradoxal, entre cérébralisation extrême du propos, et naturalisme sensible. Chez Garrel, la vie s’écoule, se parle, et s’écoute.
Des dialogues poétiques à l’arrière-fond contestataire, le cinéaste mélange cynisme de l’adulte et désir de rébellion adolescente, nostalgie et rejet du modernisme. Sa soudaine pique anti-Sarko, qui fait couler beaucoup d’encre, ne cherche pas à se camoufler, elle est directe, candide, amenée sans hypocrisie. A l’instar du reste. Il n’y a rien de feint, de calculé. Lorsque l’on sait que le cinéaste tourne le plus souvent en une seule prise, ce n’est guère étonnant. Il ne cherche pas la justesse mais le ressenti. Il romance, s’abandonne, observe, ne conclut jamais. Pourtant, ses flèches parviennent toujours droit au cœur : lorsque Louis et Monica apparaissent brutalement en larmes face caméra, lorsque fiction et réalité se font écho (avec le fantôme de feu Maurice Garrel dans une chambre d’hôpital), lorsqu’un morceau entier de Dirty Pretty Things vient célébrer la jalousie. En mouvement, les êtres qu’il filme respirent, chuchotent et désirent. C’est de l’art en construction, fait de tâtonnements, de matières et d’errances. Comme un tableau italien grandeur nature.