Rencontrer Louise de Vilmorin une fois suffisait à laisser une empreinte indélébile. C’est vraiment pas de chance pour Coralie Seyrig (qui a fait malgré tout un remarquable travail d’écriture du spectacle). Parce que j’ai entendu tout au long de la soirée la voix de Louise, la vraie, en surimpression sur les paroles que l’actrice prononçait. Forcément il y a eu larsen.
Quand je dis « rencontrer » c’est par abus de langage. J’avais visionné il y a une dizaine d'années des conversations que la femme de lettres avait eus avec Maurice Huelin en 1964 pour la Télévision Suisse Romande. J’avais aussi écouté les entretiens menés par André Parinaud en 1957 pour France inter, ceux-là même qui ont servi de matériau à Coralie et à Annick le Goff pour y puiser le texte de la pièce.
Ce qui m’avait le plus frappée c’était la lucidité avec laquelle elle analysait ses qualités et ses limites. Elle avouait ses errements avec une simplicité qui frôlait l’impudeur. Sans jamais se départir d’un sourire qui lui était naturel. Elle était née le 4 avril 1902. A près de 60 ans son visage avait conservé une expressivité éclatante. C’était ce qu’on appelait une belle femme, et même une très belle femme. Par chance, la chirurgie esthétique ne faisait alors pas les ravages qu’elle perpétue sur des femmes qui croient en avoir besoin pour continuer de plaire.
Les pommettes mobiles, le menton taquin, l’œil en alerte, les doigts chahutant les rangs de son collier de perles, elle était littéralement charmante. Elle avait une manière de s’exprimer qui n’appartient toujours qu’à elle. Une voix ronde, plutôt haut perchée, un phrasé presque gouailleur, où se heurtait un vocabulaire élégant mâtiné de formules de lavandière.
Bref, elle est inimitable. Et il me semble que c’est là que le spectacle frôle une limite. J’ai parfaitement compris que Coralie Seyrig et Annick le Goff ont voulu restituer fidèlement les paroles exactement prononcées par l’écrivain. C’est tout à leur honneur mais c’est là l’erreur. C’est comme filmer un match de tennis uniquement du point de vue d’un des deux adversaires. Alors que seule la position de l’arbitre permet de prendre de la distance et du relief.
Louise était une femme de dialogues. Elle avait besoin de l’autre pour se révéler. Sorties du contexte, ses paroles sonnent creux et la vivacité de son esprit semble artificielle. Et pourtant elle parle avec franchise quand elle justifie qu’elle est toujours en retard par optimisme ou que si elle est autoritaire elle a malgré tout le goût de l’esclavage. Quelle répète trois fois en un quart d’heure l’argent me ruine fait rire la salle qui conclue que cette dépensière était une cigale qui ne devrait pas se plaindre.
Comment peuvent-ils, après cela, mesurer la détresse que l’enfant a ressenti quand sa mère a donné à une autre gamine la poupée qui était son unique confidente ? La perte de Lili a eu des conséquences désastreuses sur son équilibre psychique. Et quand elle justifie le manque d’amour de sa mère en expliquant qu’elle n’était pas son genre, elle fait une confidence qui aurait mérité d’être reprise sur un autre divan que celui qui trônait au centre du salon bleu.
Peut-on guérir du manque de reconnaissance de sa propre mère ? Peut-on s’épanouir auprès d’un homme, en l’occurrence Saint-Exupéry, qui l’aime en la rêvant ? (Elle lui inspirera le personnage de Geneviève dans Courrier Sud). Combien faut-il d’amants pour se voir belle dans le miroir ? Combien de succès de librairie pour être rassurée sur son talent quand on estime que ce qu’on écrit est honnête mais pas sublime ? Que Louis Malle l'ait choisie pour concevoir les dialogues des Amants ne l'apaise pas. On la voit comme une arrogante alors alors qu'elle se noie dans un constant dés-espoir.
Elle avait compris que le bonheur ne dépend pas directement de faits mais d’une disposition de caractère, et qu’elle était dépourvue de ce don. Un de ses recueils de poèmes s’intitule tout de même « Fiançailles pour rire ». Il fallait oser !
Elle donnera le change sa vie durant en s’efforçant de plaire. Le seul, peut-être, à l’avoir véritablement déchiffrée aura été André Malraux. Il est l’étrange absent de la représentation. Certes Louise ne pouvait pas raconter cet épisode à André Parinaud puisque leur union n’a été officialisée qu’en 1968, année révolutionnaire pour ce couple peu ordinaire qui se retrouvait après plus de trente années de séparation. Mais de toute évidence cet amour là fait défaut sur la scène du Petit Montparnasse pour résoudre le mystère de l’incroyable Louise.
Cette femme assumait ses paradoxes. Elle qui prétendait n’aimer de l’amour que les commencements a refait patiemment la conquête de son ancien amant devenu ministre de la culture au rythme de une, parfois deux, lettres que jour après jour elle lui écrivait. Aurait-elle aussi bien réussi par SMS ? André Malraux, dont la femme refuse le divorce, s’installe assez vite dans le (petit) château des Vilmorin, à Verrières-le-Buisson (91), qui devient le pôle culturel où se bousculent le Tout-Paris, le Tout-Londres, le Tout-tout … un peu plus de dix-huit petits mois au cours desquels Louise a bien du mal à s’accommoder de devenir numéro 2 là où elle avait toujours occupé la première place. Là encore elle compense le mal-être par un bon mot, ironisant qu’elle était devenue Marilyn Malraux.
Tant qu’à intituler la pièce Madame de … Vilmorin j’aurais aimé que sa vie soit entièrement éclairée. Jusqu’à la fin, pathétique, puisqu’elle a été terrassée par un malaise cardiaque le 26 décembre 1969. Elle avait souhaité être enterrée dans son jardin, sous un cerisier, pour que ses petits enfants prennent un plaisir gourmand à lui rendre visite. Cette infatigable bavarde avait aussi demandé qu’on symbolise sa tombe , non pas avec une stèle, mais un simple banc de pierre, sans nulle inscription.
Savait-elle que la loi n’autorise pas ce genre de fantaisie ? Ce que Louise voulait, la vie se chargeait de le réaliser. André Malraux obtint une autorisation spéciale.
On aura compris que je n'approuve pas Chritine Dejoux dans sa mise en scène mais je lui reconnais le mérite d’avoir monté ce spectacle et d’avoir tenté de restituer un peu de l’atmosphère particulière d’une femme qui a bien des titres restera une exception.
Madame de...Vilmorin, de Annick le Goff et Coralie Seyrig, d''après les entretiens d'André Parinaud
Mise en scène Christine Dejoux, avec Coralie Seyrig
Au Petit Montparnasse, 31, rue de la Gaîté - 75014 Paris
M° Gaîté, Edgar Quinet ou Montparnasse
Depuis le 9 septembre 2011, du mardi au samedi à 19h – dimanche à 15h (durée: 1h25)