S'il est un point commun entre Melancholia et Tree of Life, c'est bien l'ambition, mégalomaniaque ou généreuse, d'accorder l'infiniment grand et l'infiniment petit, de conjuguer (d'incarner) le cosmos et (dans) la famille.
Tree of Life ou La Sainte Trinité selon Terrence
Le film palmedorisé 2011 de Terrence Malick met en scène la vie d'une famille américaine des années 50 et 60 dans laquelle grandit le petit Jack.
Le film est organisé selon une double structure trinaire (où l'on retrouve un parallèle Cosmos / Famille) et chrétienne (Opposition Grâce / Nature).
D'abord la pureté originelle Celle de la création du cosmos qui fait écho à la naissance de Jack, mise en scène comme un miracle et qui opère ses premiers pas dans une véritable paradis familial.La figure du Père, incarné par Brad Pitt, apparaît dans toute sa majesté : bienveillante, puissante, solaire.
La Grâce se déploie sous nos yeux, dans la beauté du Big-Bang, dans l'harmonie de la cellule familiale.
Ensuite le péché et la corruption.Jack découvre la concurrence, l'obligation du partage de l'amour parental, l'égoïsme et la jalousie suite à la naissance de ses deux frères.Le Père se révèle obstiné et autoritaire.Frustré dans son travail, il impose ses échecs à ses enfants. Il veut les élever durement pour en faire des conquérants dans un monde jugé hostile.Jack fait l'expérience du Mal en infligeant volontairement la souffrance à l'un de ses jeunes frères, en volant, entre autres petits délits.
Un jour, un de ses camarades se noie dans une rivière et son père ne parvient pas à le ranimer.Il croise le chemin d'handicapés, d'alcooliques, de condamnés hystériques, dont il ignorait l'existence.Et surprend la violence d'un voisin envers son épouse. Jack méprise sa mère pour sa soumission.Il hait son père et veut le voir mourir.
La Nature des hommes fait son effet : violence, mensonges, cycle des échecs, impuissance derrière les apparats.
Enfin la rédemption par le pardon et la croyance (la Foi?).Jack sollicite le pardon de son frère et le reçoit.Il l'accorde en retour à son père qui reconnaît son échec et indique ses bonnes intentions.La Mère, qui prêche l'amour et le pardon et (trans)figure la Grâce, finit par l'emporter.
Jack dans une ultime séquence, traverse un désert et rejoint ses proches sur une plage.
Les visages se lèvent vers le ciel.
Melancholia ou la Divine Comédie de la Dépression par Lars Von Trier
Tree of Life débute par la Création du Monde.
Le prologue de Melancholia met en scène sa mise à mort, à travers la collision imminente de la planète Melancholia avec la planète Terre.
C'est la vision de Justine, qui se marie et rejoint pour l'occasion sa curieuse famille.
La tribu est composée de deux autres couples.
Claire (Charlotte Gainsbourg), une soeur parfaite de maîtrise et de compréhension (du moins en apparence) est mariée à un homme (John / Kiefer Sutherland) pétri de certitudes scientistes et matérialistes.
Les parents de Justine (la mère : Gaby / Charlotte Rampling ; le père : John / John Hurt) sont aussi opposés dans les concepts (libertinage / haine d'autrui) qu'unis dans l'incapacité de venir en aide à leur fille.
Le couple que forme Justine elle-même avec Michael, son tout nouvel époux, se révèlera factice au fur et à mesure que progressent les festivités.
A l'infiniment grandiose de la catastrophe annoncée répond le désastre infiniment grotesque du mariage de Justine.
S'ensuit un enchaînement inéluctable vers la destruction de la planète.
Les arrogantes certitudes de John, la perfection sociale de Claire sont progressivement balayés.
Le rapport de force s'inverse au "profit" de Justine qui semble se synchroniser avec Melancholia.
Seul submerge de ce bourbier dépressif, Leo, le fils de Claire et John, en même temps qu'allié de Justine, drapé dans l'innocence (l'inconscience?) de l'enfance.
Le geste ultime de Justine, l'accomplissement de sa mission sur Terre, est de trouver la réponse esthétique, le soin palliatif adéquat pour Leo, en construisant une cabane magique qui abritera les derniers instants de la famille avant sa fusion dans Melancholia.
Mon avis
Tree of Life comme Melancholia dévoilent rapidement leur jeu.
Dans le poème chrétien de Malick, la puissance de la beauté du Big Bang originel suggère que la fin ne peut qu'être heureuse. Du moins l'espérance a-t-elle sa place.
De plus, comme à son habitude, Malick sort la grosse artillerie sur le plan formel. Qu'on approuve ou pas la métaphysique du film, on peut se laisser bercer par la beauté des images, contempler la maîtrise du réalisateur. Contrairement à ce que j'ai pu lire, on ne s'ennuie absolument pas devant Tree of Life.
De son côté, Lars Von Trier met en scène sa dépression. Il indique dans son prologue l'inéluctable destruction du monde. Le reste du film n'est là que pour confirmer le message : il n'y a aucune place pour l'espoir.
Formellement, on retrouve le style naturaliste "Caméra sur l'épaule" du Dogma et les lumières jaunes dans la nuit qui rappellent The Element of Crime.
Le réalisateur danois accorde tout de même une grande place à la musique en ponctuant son film d'extraits de "Tristan et Iseult" de Wagner dont le romantisme souligne la mélancholie des personnages.
Verdict
On peut décrier la naïveté de la démarche philosophique de Malick mais diable, cela ne manque ni de lyrisme ni de panache.
A choisir, même si j'aime bien le romantisme allemand et le style danois, je préfère toujours ça au marécage dépressif de Lars von Trier.
Avantage à Tree of Life, donc.
Melancholia (2011)
Film franco-danois de Lars von Trier. Avec Kirsten Dunst, Charlotte Gainsbourg, Kiefer Sutherland.
(2 h 10.)
Tree of life (2011)
Film américain de Terrence Malick avec Brad Pitt, Jessica Chastain, Sean Penn, Hunter McCracken.
(2 h 18.)