Robert Krulwich : Pourquoi ne marchons-nous pas droit?

Publié le 02 octobre 2011 par Taupo


A son habitude, qu’il nous parle des escapades aériennes des insectes ou, comme ici, d’un curieux phénomène sur l’inaptitude des humains à marcher droit lorsqu’ils ont les yeux bandés, Robert Krulwich a le don de rendre tout sujet passionnant. Si en plus l’artiste Benjamin Arthur complète la narration avec une sublime animation, on nous offre alors un beau cadeau pour clore ce weekend:

Transcription:

De nombreuses personnes se sont intéressé à ce sujet depuis longtemps. Si vous remontez dans le temps, il y a un exemple frappant d’une expérience menée dans les années 20. Un jeune scientifique appelé Asa Schaeffer demande à un ami
- Peux-tu te bander les yeux: je vais t’emmener au bord d’un champ et ce que je veux que tu fasses, c’est de marcher tout droit à travers ce champ. Essaie de marcher le plus droit possible.
Donc, l’homme commence à marcher et voici une carte de ce qui s’est passé ensuite:



L’homme s’est mis a marché et vous remarquerez que son parcours commence à s’incliner très légèrement vers la droite. On va accélérer un petit peu. Remarquez que maintenant l’homme aux yeux bandés commence à tourner de manière conséquente ce qui va l’amener vers la route dont il vient, et ensuite à travers la route et ensuite il fera un nouveau tour et encore un et un nouveau tour et il fait des boucles de plus en plus petites jusqu’à ce qu’enfin, il butte sur une souche d’arbre… et s’arrête.
Et pendant tout ce temps, il pensait marcher parfaitement droit! Etrange? Et bien il y a de nombreuses études comme celle-ci!

En 1928, voici l’histoire de 3 personnes qui quittent une grange, un jour de grand brouillard, et ce qu’ils veulent faire c’est se rendre dans un endroit qui se trouve à 800 mètres de là. Voici ce qui s’est passé, vu sur une carte. La grange se trouve ici, la destination est ici. Maintenant regardez: ils partent, ils pensent marcher droit mais en fait ce qu’ils font c’est tourner, tourner et tourner pour finir, bizarrement, exactement là d’où ils viennent: à la grange.
Ce type d’expérience a été menée dans plein de conditions différentes.
Voici une étude de 1928 où on bande les yeux d’un homme qui plonge ensuite dans un lac et doit nager selon une ligne droite vers la rive opposée. Et voici comment il a nagé…
Il y a, apparemment, une inaptitude tenace chez les humains, à pouvoir rester sur une ligne droite lorsqu’ils ont les yeux bandés… Ou, quand il n’y a pas de point de repère: pas de soleil, pas de lune, pas de montagne à l’horizon pour les guider.
Dans cette dernière affaire, on demande à un homme aux yeux bandés de monter dans une voiture et de conduire tout droit dans un champ (totalement plat comme ça le conducteur n’est pas en danger). Tout ce qu’il doit faire c’est de rester sur une ligne droite. Voici la carte de ce qui s’est passé ensuite…
Depuis 80 ans, des scientifiques ont essayé d’expliquer cette tendance à tourner tout en pensant aller tout droit. Certains on avancé l’hypothèse qu’il s’agit d’une forme de biais de latéralité, du fait d’être gaucher ou droitier, ou bien peut-être qu’il s’agit d’un phénomène du à nos deux hémisphères cérébraux, où l’un des hémisphère est légèrement plus dominant que l’autre et cette dominance s’affirme quand on lui laisse le temps. Peut-être qu’il s’agit d’une simple asymétrie, certaines personnes étant plus fortes sur un côté de leur corps, dotées de bras de tailles différentes ou des jambes de tailles différentes. Malgré tous leurs efforts (et pourtant nous continuons à mener de telles expériences), personne pour l’instant n’est arrivé à trouver une raison satisfaisante expliquant pourquoi nous ne pouvons pas marcher droit!

Voici maintenant la description et les méthodes employées pour les expériences les plus récentes, menées par le chercheur Jan Souman, du Max Planck Institute: les sujets testés sont cagoulés et placés dans différents environnements comme le désert du Sahara, la forêt ou encore une plage…


Puis on leur demande de marcher droit sur plusieurs centaines de mètres. TOUS se mettent à tourner. 100% des sujets! L’un des résultats les plus robustes dans les études comportementales humaines…
Et même quand les sujets ne sont pas cagoulés, il suffit qu’ils soient dans un environnement inconnu et que par exemple le ciel soit couvert pour qu’ils se mettent à faire des cercles:


Comparez les chemins parcourus par temps nuageux (bleus – RF, PS et KS) et celui parcouru par temps ensoleillé (jaune - SM). Impressionnant, n’est-il pas?
Les trois hypothèses avancées dans la vidéo précédente (latéralité, région cérébrale et taille des membres) ont été testées par l’équipe de Jan Souman… et infirmées! Pour l’instant, il semble qu’il n’y ait pas de réponses simples à cette question et qu’il s’agisse d’un phénomène multifactoriel…

C’est ça aussi, la science: une observation étrange, une question simple, et des décennies de recherche à se gratter la tête!

Référence:
J.L. Souman, I. Frissen, M.N. Sreenivasa, M.O. Ernst, Walking Straight into Circles, Curr Biol, Vol 19, 18, 2009, 1538-1542

Lien:
Article sur le blog de Robert Krulwich
Robert Krulwich sur Radiolab
Benjamin Arthur