Entre Art et développement économique, l’Afrique s’individualise. C’est ainsi que le Metropolitan Museum de New York restitue aux Africains leur visage et leur identité en même temps que des Africains se libèrent de la pauvreté.
Par Guy Sorman, depuis New York, États-Unis
À ne regarder que l’Asie, on en oublie que l’Afrique change aussi : 250 millions d’Africains (selon la Banque mondiale), au sud du Sahara, constituent maintenant une véritable classe moyenne, équivalente en nombre, en aspirations individuelles et en pouvoir d’achat à l’Inde et à la Chine. Cette Afrique s’industrialise, s’urbanise et pour employer le vocabulaire de l’économie contemporaine : elle « émerge », par ses exportations de matières premières mais aussi par ses usines, ses commerces. De grandes fortunes se constituent, des super riches apparaissent, singulièrement sur le marché de la téléphonie mobile. Ces super riches agacent, mais ils sont symptomatiques de l’intégration de leurs nations dans l’ère mondialiste.
Le Metropolitan franchit heureusement un pas supplémentaire en présentant uniquement des portraits, en bois, en bronze, en terre cuite, en pierre : portraits d’hommes, de femmes, de dieux, c’est-à-dire d’individus singuliers. L’art africain, tel qu’il séduisit initialement les amateurs, masques, sagaies, tabourets et autres ustensiles, profanes et sacrés, soudain se personnalise : l’art africain, c’est aussi ou c’est d’abord, des visages. Les portraits de terre cuite, striés, provenant de la ville de Ife en pays Yoruba (actuellement au Nigeria), sans doute du XIIe siècle, sont aussi magistralement détaillés et idéalisés que tout portrait hellénistique ou qu’un Bouddha du Gandhara. On découvre dans cette même exposition que les tabourets creusés dans le bois, si populaires chez les Bamilékés (aujourd’hui au Cameroun) et chez les collectionneurs, sont le plus souvent le socle de statues tout aussi anthropomorphiques que l’art occidental.
Ces œuvres d’Afrique et non plus africaines, ne sont pas l’émanation magique de quelque enthousiasme collectivement tribal : pour certaines, la signature de l’artiste, tout à fait individualisé, est restée apparente. Longtemps en Europe aussi, on voulut croire que les cathédrales n’avaient pas d’auteurs mais représentaient une foi collective pétrifiée : on sait maintenant que Chartres ou Conques sont signées puisqu’il n’est pas d’art sans artiste. L’art africain ne saurait suivre d’autres lois : c’est seulement la recherche de l’auteur qui n’intéressait pas le « voyeur » occidental.
Un musée restitue ainsi aux Africains leur visage et leur identité en même temps que des Africains se libèrent de la pauvreté. Pas tous les Africains bien entendu puisque nombre d’entre eux se débattent encore à l’intérieur des frontières et découpages absurdes qui leur ont été imposés par la colonisation. Mais, bon, tout État est un artifice historique dont des peuples bigarrés au départ finissent par s’accommoder : ce que l’on appelle le développement exige la reconnaissance des droits de l’individu, par-delà sa culture d’origine, et des États prévisibles. De la Tanzanie au Mali, à l’Ouganda, à la Zambie, au Ghana, ces deux conditions commencent à converger : la croissance s’en suit, presque naturellement. Avec cette exposition de visages, je n’aurais qu’une seule querelle : pourquoi Africains héroïques ? Africains normaux eut été un titre moins clinquant, mais plus réel. Bienvenue aux Africains réels.
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