Il avait huit ans, le petit garçon, lorsqu’il a déclaré cela à son père. Qui est tombé des nues ce dimanche matin là, au début du printemps. Être moine zen, c’est renoncer à la vie normale, préférer la méditation, dépasser la dualité, s’anéantir en nirvana à terme dans le grand tout, en aidant les autres avant. En bref, la voie de l’ascétisme : pas de femme, pas de désirs, une existence frugale.
Le gamin avait pris l’habitude d’accompagner son père aux séances de zazen, cette méditation en tailleur sur un thème défini par l’abbesse du temple, avant le déjeuner communautaire. Il était turbulent et sa mère accusait le père de ne pas s’en occuper assez. L’enfant jouait, imitait les adultes, ne pouvait pas tenir longtemps la position. Qu’importe : il aimait ça et, avec les années, s’est accoutumé. A douze ans, il méditait une heure ou deux en tailleur comme un grand.
Et il n’avait aucunement changé d’avis : « Je veux devenir moine zen ! ». Il a douté à la puberté, en même temps qu’il ouvrait son col d’uniforme, sortait des magazines pornos de son cartable et cassait le talon de ses chaussures de sport pour les porter comme des mules. Classique rébellion adolescente. Il est même devenu chef de bande pour tabasser les élèves du collège voisin. Ses parents envisagent de le changer de collège et en parlent à l’abbesse. Celle-ci a de l’intuition et même les animaux viennent en confiance auprès d’elle.
Le jeune garçon n’est pas sûr de sa vocation parce qu’il sent que ses parents ne le croient pas capable de s’y faire. Mais l’abbesse croit en lui et c’est ce qui le décide. Rien de tel qu’une personne extérieure aux parents pour orienter la jeune pousse et lui servir le temps qu’il faut de tuteur. Ryôta décide lui-même de confirmer sa décision d’enfant et devenir moine. A quatorze ans, la tonsure. Elle le distingue des autres garçons au collège, mais ne font pas de lui un paria. La voie noble n’est pas donnée à tout le monde mais n’est aucunement moquée au Japon.
De dernier de la classe dans le collège précédent, le garçon reconquiert des places. Il sait ce qu’il veut et, conscience apaisée par le but, s’intéresse au travail. L’abbesse lui sert de parent, allant même jusqu’à l’adopter en lui donnant son nom, comme c’est la coutume. Elle ne s’intéresse absolument pas à ses notes mais reste ferme sur l’objectif long terme : rien de tel pour que l’adolescent ne se sente pas contraint et qu’il travaille de lui-même pour devenir ce qu’on attend de lui. Avis aux parents trop obsédés de notes régulières à court terme !
Le garçon deviendra moine parce qu’il l’a voulu, et peut-être parce que tel était son destin dans le grand mouvement du monde. Mais cela implique une série de ruptures douloureuses pour tout le monde. Ryôta doit changer de prénom pour devenir Ryôkai-san ; il doit changer de nom de famille pour être adopté par l’abbesse du temple qui en fera son successeur ; ses parents doivent renoncer à tout droit sur lui, y compris celui de lui parler durant trois ans. Quand on a seize ans, c’est dur. Peut-être moins pour le novice lui-même, qui croit en sa vocation, que pour son entourage : sa mère qui l’a mis au monde pour qui il est comme mort, son père qui a enclenché l’engrenage et se demande s’il a pris la bonne suite de décisions, sa sœur qui l’imitait en tout bien que le chamaillant, les voisins et parents qui ne comprennent pas le renoncement au monde.L’attrait de ce petit roman contemporain est celui des contes. Écrit simple, il délivre des leçons comme des koans zen, ces textes à méditer pour comprendre le sens de l’existence. Regarder ce qui est à ses pieds est l’essence du zen, est-il calligraphié dans le temple. Le gamin est turbulent et vole des gâteaux chez les voisins ? « C’est parce qu’on leur interdit de faire ceci ou cela que les enfants se mettent à faire les quatre cents coups, dit l’abbesse. Je suppose qu’on lui fait manger des choses bonnes pour les lapins, du genre diététique, esthétique, écologique, et je ne sais quoi encore. C’est quand un enfant en pleine croissance ne peut pas manger chez lui ce qu’il aime qu’il va ailleurs et prend ce qui lui fait envie ». Se prendre par le bout du nez et regarder en bas, à ses pieds, au fond c’est ça le zen. Tout le reste est illusion : les liens, les craintes, les espoirs, les peut-être, les « et si »…
Un petit livre grave sous ses airs facétieux.
Kiyohiro Miura, Je veux devenir moine zen !, 1988, Picquier poche 2005, 143 pages, €5.70