En effet, le nouveau film de Vincent Garenq relate la tragique Affaire d’Outreau avec force et réalisme. Philippe Torreton y incarne parfaitement le personnage réel d’« Alain Marécaux », un huissier de justice poursuivi, ainsi que sa femme Edith, à tort par le ministère public pour chef de viols sur mineurs. « Présumé coupable » occupe nos esprits et travaille nos corps durant 1h47. 1h47 de labeur, de pertes, et de souffrances conjugués au règne chaotique de l’arbitraire et de l’injustice.
Le spectateur chemine en citoyen ému, les contours sombres de l’appareil judiciaire et ce, du début de l’instruction de l’affaire d’Outreau ayant débuté en 2001 (qui a abouti à une ordonnance de mise en accusation en 2003 jusqu’à la condamnation injuste de Alain Marécaux ) à 18 mois de prison avec sursis par la Cour d’Assises de St Omer en 2004.
Tous les archétypes du « procès » Kafkaïen s’accordent au gré d’un juge d’instruction cynique (Fabrice Burgaud) instruisant uniquement à charge, d’une enquête policière ressemblant plus aux méthodes du lieutenant-colonel Armand du Paty de Clam lors de l’affaire Dreyfus qu’à celles de l’inspecteur Navarro. L’enquête préliminaire ne se fonde sur aucune preuve matérielle et repose uniquement sur de faux témoignages. Enfin les conditions de détention d’Alain Marécaux méconnaissent profondément le respect des libertés fondamentales.
Un long processus de déshumanisation
Alain Marécaux oscille entre les « films X » projetés par ses compagnons de cellule peu fréquentables de la maison d’arrêt et les lampes cliniques de l’hôpital psychiatrique où il est interné provisoirement. Aux yeux de la justice, il n’est plus un homme, seulement un « violeur », un monstre que l’on se doit d’enfermer à tout jamais pour sauvegarder l’intérêt collectif ; pour préserver du moins en apparence, cette unité légendaire selon laquelle l’humanité toute entière serait vertueuse pourvu qu’un seul des membres de cette communauté de destin ne connaisse les murs étroits d’une geôle où une poignée d’hommes étoufferaient à dessein, le socle de nos libertés individuelles.
Plongés au cœur de ce cauchemar judiciaire, la vérité juridique tient donc lieu de conjectures, de constructions aléatoires, de non-respect de la procédure pénale et enfin, d’infâmes techniques policières visant à obtenir de précieux et de compromettants aveux du mis en examen.
Le détenu fond en larmes, multiplie les tentatives de suicide, les grèves de la faim et ne croit plus aux promesses salutaires de son avocat dont les multiples demandes ont été infirmées à plusieurs reprises en APPEL. Durant trois longues années de détention, celui-ci se raccroche à de minces filets d’espoir, au seul fil d’Ariane qui lui garantit encore un réel contact avec sa condition antérieure : les photos de ses enfants ; les lettres adressées par sa famille; enfin, les visites régulières de sa sœur.
Cette effroyable instruction s’est faite la servante du temps : au fur et à mesure qu’avance l’enquête, le « Présumé coupable » apparaît amaigri, dépressif, les joues creusées, le regard plongé dans le vide tant l’innocence contenue dans son mal être ne veut être entendue par des magistrats dont, comme disait Camus, « sur leurs lèvres retroussées l’on peut lire l’ébauche de sa propre condamnation ». D’autant que durant la longue période de détention de son fils, la mère d’Alain Marécaux finira par y laisser sa vie pendant que son fils lui, endossera le manteau de honte et d’effroi trainé par une mort judiciaire.
Le paradoxe des libertés fondamentales
Il ressort de cette affaire une altération et une méconnaissance profondes du principe de « présomption d’innocence » (article 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 ayant valeur constitutionnelle). En conséquence, l’affaire « d’Outreau » a t-elle permis un infléchissement des pratiques judiciaires et a t-elle plaidé en faveur d’une meilleur protection des libertés individuelles ?
A priori oui, la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 semble conférer dans notre droit positif des évolutions notables. Sans rentrer dans le « caractère technique » de ces évolutions on peut citer :
- La possibilité nouvelle pour tout justiciable de saisir le Conseil Constitutionnel d’une question relative à la Constitutionnalité d’une loi (sous réserve de certaines conditions précises et sous les agissements de certains filtres judiciaires).
- L’instauration d’une voie de recours nouvelle au cours d’un procès : La saisine du « Conseil Supérieur de la Magistrature » (CSM) permettant à tout justiciable de faire respecter ses droits et libertés.
- L’émergence d’une nouvelle Autorité Administrative Indépendante (AAI) dotée d’une valeur constitutionnelle : Le « Défenseur des droits » (nommé par le président de la République : actuellement l’Ancien Maire de Toulouse et directeur de l’Institut du Monde Arabe, Dominique Baudis).
Pour autant, cette vision « progressiste », ce caractère d’irréversibilité des libertés fondamentales est à remettre en question. En ce sens il paraît important d’adresser quelques griefs à cette évolution constitutionnelle :
- La Question prioritaire de constitutionnalité fait du juge judiciaire une sorte de « filtre » qui, a désormais la main mise sur la Constitution, chose qui était jusqu’alors réservée au Conseil Constitutionnel. D’autant que les conditions qui encadrent la saisine du Conseil Constitutionnel par tout justiciable demeurent strictes et tiennent lieu d’interprétation.
- Le défenseur des droits lui, a une action plus limitée puisqu’en réalité, son champ de compétence est celui de l’ancien Médiateur de la République. C’est le champ d’action qui concerne les relations entre l’administration et les administrés.
Donc par conséquent, les anciennes prérogatives dont jouissait la Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité) n’ont pas été intégrées à celle du défenseur des droits, notamment celles concernant les discriminations constatées dans le secteur privé.
- La saisine du CSM pourrait laisser planer l’idée d’une « autolimitation » des juges siégeant au Conseil Supérieur de la Magistrature dans leur protection effective des libertés fondamentales au cours d’un procès car si une atteinte est constatée, ce seront les agissements de leurs pairs que de tels magistrats devront juger.
Néanmoins, la réforme de la « garde à vue » intervenue en Juin 2011 afin d’accorder notre droit national au diapason du droit européen, constitue quant à elle à une autre échelle, une véritable avancée historique en matière de droits de la défense tendant à renforcer la présence des avocats dès la première heure de garde à vue de leur client.
L’absence de remise en question du monde de la magistrature
Il ne m’a fallu que quelques minutes après avoir visionné le film en salle pour me convaincre de l’invraisemblable absence de remise en question des juges envers les actes condamnables perpétrés par l’appareil judiciaire.
Tout d’abord, l’on prend note à la fin du film sur une bande qui apparaît à l’écran que le juge d’instruction Burgaud continue d’exercer impunément son métier de magistrat (bourreau sanguinaire) à ce jour et qu’aucune sanction effective n’a été prise contre lui.
Cela tendrait à affirmer en filigrane qu’au fond, même l’honnête magistrat, normalement prudent et diligent, puisse se sentir solidaire à l’égard du juge d’instruction Burgaud.
« Il n’a fait qu’accomplir son devoir » annonce la rumeur plaintive d’un « droit à l’erreur » qui croît à l’instar des propos tenus par Eichmann lors de son procès à Jérusalem.
D’autant que le hasard fait bien les choses, pour l’anecdote, en sortant de la salle de ciné, j’aborde une charmante jeune fille qui se trouvait à coté de moi lors de la projection et je cherche à lui extirper ses impressions sur le film.
Loin d’elle l’idée d’avoir une vue « personnelle » sur le sujet, celle-ci tout en prenant l’air soudain distante et supérieure, se rétracte et me rétorque en endossant ses lunettes D&G qu’elle est » étudiante à l’Ecole Nationale de la Magistrature…»
Il s’ensuit que je lui réponds avec ma franchise habituelle un gentil « Et alors ? ».
Et là sortent de sa bouche ces mots :
« On nous a dit de rien dire sur ce sujet, on a été briefés collectivement ; donc j’ai pas d’avis »
Alors on mettra tout le monde d’accord, c’est sur ce sentiment de consensus, de mensonge à peine contenu, de silence alourdi par la condescendance et l’absence de jugement de ceux qui constituent la « prudence » du droit que nous dirons que finalement, visionner ce film peut-être important pour certains mais que finalement, dans ce bas monde tout est relatif et est une question de point de vue.
Mais enfin, soyez tranquilles, si le film ne vous a pas ému, sachez qu’en 2011 rien ne peut vous arriver car comme le disait si justement Lacordaire du tréfonds du XIXème siècle « Entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Je plaisante. C’est sur, ça fait toujours moins bien de vivre en révolté comme Balavoine, mais lui, les juges et les lois, ça lui faisait pas peur…
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