Marco Ricci (Belluno, 1676-Venise, 1730),
Paysage avec tempête, 1701.
Huile sur toile, 89 x 146 cm, Madrid, Musée Thyssen-Bornemisza.
Il y a quelques semaines, Passée des arts rendait compte du travail mené par Leonardo García Alarcón sur un compositeur obscur, actif à Rome et à Lisbonne au XVIIIe siècle, Giovanni Giorgi. La curiosité insatiable du chef, nourrie par les travaux des musicologues Giuseppe Donato et surtout Nicolò Maccavino, auquel cette chronique doit beaucoup, nous permet de découvrir aujourd’hui un musicien de la seconde moitié du XVIIe siècle assez complètement oublié, Michelangelo Falvetti, au travers d’Il Diluvio universale, dont l’enregistrement vient de paraître aux Éditions Ambronay, festival qui a vu la recréation mondiale de l’œuvre à l’automne 2010.
Pour rencontrer Michelangelo Falvetti, il faut mettre le cap vers l’extrême sud de l’Italie où sa carrière s’est intégralement
déroulée. Né à Melicuccà, en Calabre, le 29 décembre 1642, on ignore tout de son milieu d’origine, excepté le nom de ses parents, Antonio Falvetti et Francesca Crisafi, ainsi que l’existence
d’un frère prénommé Vespasiano. Les conditions de sa formation restent également incertaines, car mentionnées dans une source unique, la Notitia de’ contrapuntisti e compositori di
musica, écrite par Giuseppe Ottavio Pitoni entre 1695 et 1713, l’année même où il est ordonné prêtre demeure un mystère, on sait simplement qu’il était diacre du diocèse de Mileto en 1666.
Si l’on en croit Pitoni, Falvetti a été l’élève de Vincenzo Tozzi (c.1612-1675), un compositeur originaire de Rome qui occupa les fonctions de maître de chapelle à la cathédrale de Messine de
1648 à sa mort. On peut, en suivant cette hypothèse, conjecturer un séjour du jeune musicien dans la cité sicilienne au cours des décennies 1650-1660, qui lui aurait permis de côtoyer, outre
son maître dépositaire de la tradition romaine, des compositeurs sans doute un peu plus progressistes, tels Bernardo Storace ou Giovanni Antonio Pandolfi Mealli, deux hommes à la vie largement
obscure, puisque les repères chronologiques les concernant, 1664 pour le premier, 1652-c.1669 pour le second, sont principalement déduits des dates de publication, mais ayant pour point commun
d’avoir travaillé à Messine et utilisé, respectivement pour le clavier et le violon, un langage musical riche en inventions, voire en bizarreries, comme en expressivité ; Pandolfi aurait
même dédié à Falvetti un Capriccetto a 3 dans un recueil de pièces publié à Rome en 1669 dont l’attribution est parfois contestée. À partir des années 1670, le parcours du Calabrais
devient un peu mieux documenté, même si la date exacte de sa nomination en qualité de maître de chapelle de la cathédrale de Palerme demeure inconnue.
Si on le compare avec ce que l’on connaît des oratorios composés dans le dernier quart du XVIIe siècle en Italie, Il Diluvio universale apparaît, sur bien des points, comme une partition assez atypique. Le choix d’un sujet tel que le Déluge, quelles que soient les intentions politiques qui aient pu, par ailleurs, le déterminer, imposait obligatoirement un traitement fortement dramatique, une exigence parfaitement comprise aussi bien par le musicien que par son librettiste, Vincenzo Giattini (1630-1697), dont le texte délaisse toute velléité de bavardage au profit d’une densité et d’une efficacité remarquables. Il faudrait, pour mesurer avec toute la précision souhaitable l’originalité de cette mise en musique, pouvoir la remettre en perspective avec les autres oratorios de Falvetti, mais circonscrite à elle-même, elle présente déjà bien des traits fascinants. Tout en se souvenant de la tradition romaine d’un genre fortement marqué par Carissimi, ce que démontrent, par exemple, certains airs accompagnés par la seule basse continue mais surtout le poids accordé aux interventions du chœur, considéré comme un acteur du drame à part entière, le compositeur déploie une inventivité assez formidable soutenue par un très solide métier qui lui permet de varier ses effets à l’infini. Tournures opératiques, rythmes de danse, comme dans cette extraordinaire tarentelle de la Mort, référence évidente aux danses macabres (« Ho pur vinto »), effets illustratifs (Sinfonia di tempeste), chromatismes appuyés (comme dans l’impressionnant chœur « E chi mi dà aita »), syncopes, tout est bon pour viser à une expressivité maximale, pour exacerber le théâtre, quitte à frôler parfois la grandiloquence, afin de provoquer chez l’auditeur un maelström d’émotions propre à exciter sa crainte de Dieu et à le faire réfléchir sur sa propre condition de mortel.
Enregistré dans la foulée de la recréation de l’œuvre lors du festival d’Ambronay (photographie ci-dessous), ce disque
préserve l’enthousiasme qui irradiait de la captation réalisée durant le concert, toujours visible sur les sites de partage de vidéos, tout en offrant un degré de finition supérieur dans un
certain nombre de détails. Disons-le d’emblée, cet enregistrement est une complète réussite, non seulement grâce à la qualité de la partition exhumée, mais également à celle des interprètes
réunis, dont le talent est un constant enchantement. Le plateau soliste est homogène et d’un excellent niveau, la soprano Mariana Flores, dont la voix ne cesse de s’épanouir, est une Rad
conjuguant de façon très touchante douceur, sensualité et luminosité, le ténor Fernando Guimarães incarne un Noé vaillant de timbre comme d’expression, aussi convaincant dans la supplique que
dans la tendresse, le contre-ténor Fabián Schofrin campe, en utilisant avec beaucoup de discernement des capacités vocales parfois fluctuantes, une Mort persifleuse à souhait, la contralto
Evelyn Ramirez Munoz est une Giustizia Divina d’une grande noblesse, qualité que partage le Dio de la basse Matteo Bellotto, tandis que, du côté des « seconds rôles », il faut
absolument souligner la prestation de Caroline Weynants dont la Natura Humana radieuse est un régal.
Cappella Mediterranea
Keyvan Cheminari, zarb, oud, darf
Chœur de Chambre de Namur
Leonardo García Alarcón, direction
1 CD [durée totale : 64’35”] Ambronay Éditions AMY 026. Incontournable Passée des arts. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. « Le nubi funeste »
Magali Arnault, soprano (Acqua)
2. « Il Gran Dio di pietà »
Mariana Flores, soprano (Rad), Fernando Guimarães, ténor (Noé)
3. « Ho pur vinto »
Fabián Schofrin, contre-ténor (Morte)
4. « Ecco l’Iride paciera »
Mariana Flores & Caroline Weynants, sopranos
Illustrations complémentaires :
Salvator Rosa (Naples, 1615-Rome, 1673), L'Umana Fragilità, c.1656. Huile sur toile, 197,4 x 131,5 cm, Cambridge, Fitzwilliam Museum.
La photographie de la Cappella Mediterranea et du Chœur de Chambre de Namur, dirigés par Leonardo García Alarcón lors de la recréation d’Il Diluvio universale au Festival d’Ambronay est de Bertrand Pichène, utilisée avec autorisation.
Je remercie sincèrement le musicologue Nicolò Maccavino de m’avoir communiqué une partie de ses travaux afin de nourrir la partie biographique de cette chronique.