Voici un extrait du billet de Pierre FOGLIA publié dans l...

Par Placebo
Voici un extrait du billet de Pierre FOGLIA publié dans la Presse du 29 septembre 2011 et intitulé Résister fatigue. Je me sens très proche de ce propos sur la critique et le marché de la culture.
« Je viens de voir un mauvais film québécois que les critiques, mes préférés comme les autres, ont encensé unanimement, pas forcément pour de mauvaises raisons - en fait, je soupçonne qu'ils ont aimé ce film par sympathie pour son auteur. Qu'importe. C'est un mauvais film.

Critiquer, c'est bien des affaires, mais c'est aussi, c'est d'abord un acte de résistance. Résistance à la mode, à la facilité, aux idéologies, à la morale, au milieu, à la pub. Résister pour ne pas devenir un singe.

Résister surtout aux techniques de plus en plus raffinées et efficaces de mise en marché de l'objet culturel et de la performance culturelle.

Ce qui est effrayant, dans la pub de McDo dont je vous parle, c'est le rapport entre le génie - j'exagère à peine - qu'on a montré pour la concevoir et la médiocrité de son objet: le hamburger en question. Pareil dans l'industrie de la culture. La big machine à produire des enthousiasmes en amont du produit culturel qu'on veut nous vendre est très souvent plus inventive, plus géniale que le putain de hamburger culturel qu'elle veut nous faire avaler.

J'ai parlé l'autre jour d'un presque mauvais livre que je venais de lire en vous soulignant avec quelle impatience je l'avais attendu comme le chef-d'oeuvre du siècle. Je ne me reconnais pas dans cet imbécile qui attend un nouveau livre avec impatience. J'en ai assez d'anciens à relire sur mes tablettes pour ne pas avoir à acheter un seul nouveau livre d'ici à ma mort. Il y a forcément quelqu'un quelque part qui m'a pris pour un singe, qui s'est mis à bouffer une banane devant moi, et j'ai marché à fond. Il faudra donner le Goncourt du livre étranger à l'auteur du plan, pas à l'auteur du livre.

Pour vous dire comme le mal est profond, depuis ce livre-là, j'ai déjà récidivé en achetant un autre mauvais livre dont la critique québécoise chouchoute l'auteur ces jours-ci. Un livre qu'on nous présente non pas comme un chef-d'oeuvre, mais comme l'événement sympathique de la rentrée littéraire au Québec. Qui n'a pas envie de lire un petit livre sympathique au lieu d'un gros chef-d'oeuvre? Au bout de 20 pages, j'ai compris que je venais encore de me faire fourrer. Il faut féliciter l'agent littéraire responsable de cette remarquable mise en marché, un cas d'école à enseigner dans les cours de marketing: le coup du petit livre sympathique.

Je sais que je vous énerve en ne vous nommant ni le film ni le livre qui m'ont servi de petit bois pour allumer cette chronique. C'est voulu. Pas de vous énerver. Le problème n'est pas un mauvais film, de mauvais livres. Le problème, c'est que nous sommes en train de devenir des singes. Le problème, c'est la «bananisation» de la culture. »