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Crise financière : mauvaises questions, bonnes réponses

Publié le 30 septembre 2011 par Copeau @Contrepoints

Si autant d’observateurs restent aveugles aux causes de la crise financière actuelle, c’est parce qu’ils persistent à se poser de mauvaises questions. Voici une réfutation de 18 idées reçues concernant la crise (1).

Par Michel Kelly-Gagnon, depuis Montréal, Québec

1. La crise financière prouve bien que le capitalisme, lorsqu’il n’est pas contrôlé, mène à des dérapages et des crises.

Crise financière : mauvaises questions, bonnes réponses
Ça dépend de ce que l’on entend par « capitalisme ». Depuis longtemps – peut-être un demi-siècle –, nous vivons dans un régime d’économie mixte. Dès avant la crise de 2008-2009(2), les États accaparaient entre 35 % et 50 % (ou plus) de ce que les gens produisent et gagnent, et peu d’activités industrielles ou personnelles échappaient à quelque forme de réglementation. Il y a plusieurs décennies que des universitaires réputés « de gauche », comme Paul Samuelson (Prix Nobel de sciences économiques en 1970), autant que réputés « de droite », comme Friedrich Hayek (Prix Nobel de sciences économiques en 1974), s’entendent pour dire que nos économies sont mixtes. Il n’est donc pas toujours facile de savoir si ce qui se produit relève de la moitié capitaliste ou de la moitié socialiste du régime.

De plus, quand on parle de contrôle, il faut s’interroger sur les contrôleurs. Les organismes de réglementation et les banques centrales de nos économies mixtes n’ont pas vu venir la crise mieux que le secteur privé qu’ils surveillent. La plupart des économistes s’entendent pour dire que la politique monétaire laxiste de la Fed (la banque centrale américaine) entre 2001 et 2004 a contribué à la bulle financière et immobilière qui a finalement provoqué la crise. Plusieurs autres politiques publiques ont contribué à déclencher ou alimenter la crise financière.

Finalement, qui contrôlera les contrôleurs? Les électeurs n’ont que peu de pouvoir face aux politiciens et aux bureaucrates qui dominent le système.

2. Est-ce qu’on ne pourrait pas sacrifier un peu de liberté pour avoir la sécurité d’une gestion macroéconomique sans crise?

On risquerait alors d’avoir le pire de tous les mondes. Des dérapages et des crises, parfois beaucoup plus violents, caractérisent les économies plus contrôlées. Le Venezuela, malgré ses dirigeants socialistes, n’a pas échappé à une forte récession en 2010-2011. La Corée du Nord semble avoir subi une « crise économique » en 2006-2008(3) et les choses ne se sont pas améliorées depuis. De plus, dans les économies planifiées, la pauvreté est souvent endémique : il n’y a pas de « crise économique » comme on en connaît ailleurs parce qu’il n’y a pas de croissance économique.

3. La crise financière de 2008 aux États-Unis a quand même été causée par une industrie financière trop peu réglementée.

Il est difficile de prétendre qu’à l’aube de la crise financière récente, l’industrie bancaire et financière n’était pas réglementée. Les tenants de cette thèse ont souvent de la difficulté à citer des exemples précis. Même aux États-Unis – certains diront : surtout aux États-Unis –, l’industrie bancaire et financière était lourdement contrôlée. Les organismes de réglementation bancaire foisonnaient : Fed, FDIC, OTS, Comptroller of the Currency, la SEC (qui réglementait les banques d’investissement), les organismes de contrôle spécialisés dans certains marchés (la Commodity Futures Trading Commission, par exemple); sans compter les organismes de réglementation au niveau des États. Wal-Mart, pour ne citer qu’un exemple, s’était vu interdire d’ouvrir une banque.

L’atomisation et la fragilité mêmes des 8 500 banques américaines actives à l’aube de la récente récession remontaient à des lois des États et à des lois fédérales qui, depuis le 19e siècle, interdisaient aux banques d’ouvrir plus d’une succursale et/ou d’étendre librement leurs opérations dans d’autres États. Ces lois ne finirent d’être abrogées qu’une décennie ou deux avant la crise, et continuent d’exercer leurs effets délétères.

4. Les banques canadiennes n’ont-elles pas mieux tiré leur épingle du jeu justement parce qu’elles étaient plus réglementées?

C’est sans doute le contraire. D’une part, les banques canadiennes n’ont jamais été soumises à la sorte de réglementation qui, aux États-Unis, les empêcha de croître. C’est pourquoi, à l’aube de la récession, il y avait (et il y a toujours) six grandes banques au Canada, en comparaison des milliers de banques aux États-Unis.

D’autre part, selon la base de données de la Banque mondiale, les banques américaines étaient, dans bien des domaines, plus contrôlées qu’ailleurs dans le monde, y compris au Canada. Toutes proportions gardées, le nombre de fonctionnaires affectés au contrôle des banques était deux fois plus élevé aux États-Unis qu’au Canada; les budgets de réglementation, sept fois plus. Le Wall Street Journal estime à plus de 2 000 le nombre d’inspecteurs dont les organismes américains de réglementation bancaire disposaient, parmi lesquels quelques centaines occupaient des bureaux permanents à l’intérieur même des firmes réglementées. Chacune des plus grandes banques hébergeait ainsi sur place quelques dizaines de contrôleurs gouvernementaux(4). Et tout cela, avant la crise financière.

5. Est-ce que vous n’oubliez pas la déréglementation bancaire et financière qui a précédé la crise?

Les données disponibles ne vont pas vraiment dans ce sens. Aux États-Unis, les budgets des organismes de réglementation bancaire et financière ont été multipliés par 11 en dollars constants entre 1960 et 2007, soit plus que la croissance qu’a connue l’industrie financière. Cette évolution des budgets de réglementation incorpore un plateau à partir du milieu des années 1990, mais plateau ne signifie pas déréglementation. Absence de nouveaux contrôles n’est pas synonyme de déréglementation.

Il est vrai que quelques domaines de la finance avaient été lentement libéralisés à partir des années 1980. Aux États-Unis, on a lentement mis fin à l’interdiction de l’expansion des succursales bancaires. La séparation forcée entre les fonctions de banque d’investissement et de banque commerciale a été abrogée. Mais notez bien que ces mesures ne firent que donner aux banques américaines (et canadiennes, dans le cas des fonctions de banque d’investissement) des libertés qui existaient presque partout ailleurs dans le monde civilisé, notamment en Europe.

Grosso modo, la tendance à long terme de la réglementation bancaire et financière est demeurée haussière depuis probablement un siècle.

6. Les produits toxiques comme les titres adossés à des créances et notamment les titres adossés à des créances hypothécaires (« mortgage backed securities », ou MBS comme on dit habituellement), s’ils avaient été mieux réglementés, auraient été mieux compris et moins dommageables pour les banques.

L’ironie est que ces fameux produits toxiques avaient été créés par le gouvernement américain lui-même afin d’augmenter les fonds disponibles pour les prêts hypothécaires résidentiels. Ginnie Mae, un organisme du gouvernement fédéral américain, se vante d’avoir, en 1970, « résolu le problème » de l’offre insuffisante de prêts hypothécaires résidentiels et « révolutionné l’industrie américaine du logement en étant le premier à émettre des titres adossés à des créances hypothécaires »(5).

De plus, la détention de MBS par les banques était activement encouragée par la réglementation. La réglementation internationale du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, qui regroupe les organismes de réglementation bancaire d’une trentaine de pays, considérait les MBS comme étant moins risquées que les hypothèques traditionnelles (facteur de risque de 20 % au lieu de 50 %) et exigeait moins de capital bancaire en contrepartie. C’est en bonne partie pourquoi les banques, américaines et étrangères, détenaient près de la moitié des MBS.

Autrement dit, c’est la réglementation même et la subvention du risque qui a généré les problèmes du marché hypothécaire et son financement par des « produits toxiques ».

7. Mais est-ce que des titres garantis par des créances ne constituent pas, en eux-mêmes, des produits dangereux?

Ce ne sont pas les titres adossés à des créances qui, comme tels, sont dangereux. La preuve en est qu’il existe, depuis plusieurs décennies, des titres du même genre adossés à des créances sur cartes de crédit, à des prêts automobiles et à des prêts étudiants, et ce, sans poser aucun problème, y compris dans la crise récente.

Le risque des MBS venait des créances auxquelles ils étaient adossés, soit des prêts hypothécaires consentis à des emprunteurs fragiles pour financer un marché immobilier dont les prix avaient été gonflés par les politiques publiques, notamment l’encouragement de l’État à la propriété immobilière et une politique monétaire expansive qui avait entraîné les taux d’intérêt à la baisse (les taux d’intérêt à court terme, en tout cas).

8. Comment le gouvernement américain a-t-il encouragé le risque sur le marché immobilier résidentiel?

Pour commencer à comprendre cette affaire, on n’a pas à aller plus loin que le site du ministère américain du Logement et du Développement urbain, qui rapportait fièrement une mesure adoptée en 1999 par le ministre d’alors, Andrew Cuomo :

Le ministre Cuomo a établi de nouveaux Objectifs de Logement Abordable qui exigent que Fannie Mae et Freddie Mac […] achètent 2 400 milliards de dollars de prêts hypothécaires au cours des dix prochaines années. Cela signifie que quelque 28,1 millions de familles à revenus faibles et modestes pourront s’offrir un logement à prix abordable. Cette mesure historique augmentera de 42 % à un nouveau sommet de 50 % en 2001 – une augmentation de 19 % – la proportion, dans les portefeuilles des deux entreprises, des prêts hypothécaires réservés aux familles à revenus faibles et modestes(6).

Le développement des subprimes – prêts hypothécaires consentis à des clientèles ne respectant pas les normes usuelles de crédit – répondait à la volonté du gouvernement américain de favoriser la propriétaire immobilière. Ce développement découlait également d’obligations réglementaires (en vertu notamment de la Community Reinvestment Act de 1977, renforcée en 1995) obligeant les banques à favoriser les gens à faibles revenus.

Autrement dit, le gouvernement américain a poussé le marché à consentir des prêts hypothécaires à un grand nombre d’individus et de familles qui n’en avaient pas les moyens.

9. La crise a quand même été provoquée par la finance, n’est-ce pas?

La crise s’est d’abord manifestée dans le secteur financier, mais cela ne signifie pas que la finance en soit la cause. La finance n’est, après tout, qu’un moyen de connecter emprunteurs et prêteurs, investisseurs et épargnants, dans l’économie « réelle ». Il faut voir, derrière le voile de la finance, quel marché exactement fut à l’origine de la crise : c’est le marché américain de l’habitation. Or, aux États-Unis, ce marché était étroitement contrôlé par le gouvernement américain.

Il y eut, d’une part, les MBS, qui ont bénéficié de l’encouragement actif de l’État américain et ont constitué la courroie de transmission de l’incertitude face aux marchés résidentiels.

De plus, le gouvernement fédéral américain ne s’était pas contenté d’en­couragements législatifs, il participait activement au financement de la propriétaire immobilière. Avant la crise, près de la moitié des prêts hypothécaires résidentiels étaient financés ou garantis par des organismes fédéraux américains, notamment Fannie Mae et Freddie Mac. Avec des actifs de 1 000 milliards de dollars, Fannie Mae était la deuxième plus grande institution financière aux États-Unis(7).

10. Les erreurs des politiciens ont été commises de bonne foi.

Sans doute, mais n’oublions pas que les politiciens, comme tout le monde, recherchent d’abord leur propre intérêt.

De toute manière, il reste que les politiciens ont directement encouragé la bulle immobilière. En 2003, pour ne prendre qu’un exemple, Barney Frank, représentant au Congrès américain, réitérait les objectifs de la politique fédérale du logement en parlant de Fannie Mae et de Freddie Mac :

À mon avis, le gouvernement fédéral, loin d’avoir exagéré, a probablement fait trop peu pour les pousser à atteindre leurs objectifs de logement abordable et établir des objectifs raisonnables. […] Je souhaite amener Fannie et Freddie à s’impliquer plus à fond dans le logement pour les gens à faibles revenus et possiblement dans quelque chose qui ressemblerait plus à des subventions. […] Je veux lancer les dés un peu plus en faveur du logement subventionné.

La crise de 2007-2009 n’aurait pas existé sans le krach du marché immobilier provoqué par l’État américain qui jouait aux dés.

11. Les banques ont pris trop de risques.

Avec le recul, il est clair que presque tout le monde a pris trop de risque – y compris les politiciens, les fonctionnaires et les banques. Les banques se sont fiées à des modèles de gestion du risque qui donnaient trop peu de poids à des événements très improbables. Mais l’accroissement du risque des banques a été encouragé et stimulé par de nombreuses politiques publiques, notamment :

1) les incitations données aux banques pour qu’elles consentent des prêts hypothécaires à des clientèles risquées;

2) les incitations réglementaires qui amenaient les banques à détenir des MBS;

3) la lourde réglementation des banques qui encouragea un repli des investisseurs et de certains déposants vers les quasi-banques, plus risquées;

4) les taux d’intérêt à court terme que la Fed (émulée par d’autres banques centrales) s’est efforcée de maintenir entre 2001 et 2004. Ces taux incitaient les investisseurs, notamment les banques, à investir à court terme pour prêter à long terme, notamment dans l’immobilier;

5) l’aléa moral créé par l’assurance-dépôts, système qui détruit les incitations des déposants à s’assurer de la solidité de leur banque et les incitations des banques à maintenir leur solidité financière pour garder leurs déposants;

6) l’aléa moral créé par la doctrine du « too big to fail », une autre intervention qui socialise les risques tout en maintenant les profits privés;

7) l’atomisation et la fragilisation des banques américaines, au nombre de 8 500 avant la récession, presque toutes plus petites que la plus petite des banques canadiennes, qui avaient été causées par plusieurs décennies de réglementation et d’interdictions de développement – le « unit banking » dans plusieurs États ainsi que les contraintes au développement inter-États des banques. Il s’agit du reste de comparer les banques américaines, dont quelques centaines ont fait faillite ou ont été rachetées durant la crise, aux banques canadiennes, plus concentrées et donc plus diversifiées, qui ont bien résisté à la crise.

12. L’assurance-dépôts n’est-elle pas une garantie incontournable dont on ne peut se passer?

Le problème de l’assurance-dépôts est non seulement que tout le monde doit payer pour ce régime obligatoire, mais que celui-ci génère un aléa moral de taille. L’assurance-dépôts a été inventée par le gouvernement fédéral américain en 1933 (longtemps après que certains États de la fédération eurent essayé la formule sans succès). Dans ce pays, le régime a entraîné une réduction du ratio des fonds propres aux actifs des banques de 10 % à quelque 6 %, illustrant le problème de l’aléa moral. On oublie souvent que le monde industrialisé a survécu et prospéré durant des décennies, voire des siècles, sans assurance-dépôts. En 1960, il n’y avait encore aucun autre pays développé où cette forme d’assurance publique était en vigueur; en 2004, la moitié des pays n’en avaient toujours pas. Même les économistes qui appuient l’assurance-dépôts admettent généralement que le régime engendre un problème d’aléa moral.

13. Le fait que les banques maintenaient des fonds propres insuffisants n’a-t-il pas joué un rôle crucial dans la crise?

Avec le recul, il est évident que des fonds propres additionnels auraient été préférables et auraient empêché la faillite, le rachat ou d’autres formes de sauvetage public des banques menacées, que ce soit aux États-Unis ou dans d’autres pays. Il faut cependant nuancer cette observation, car il ne s’ensuit pas qu’une réglementation plus sévère des fonds propres aurait réglé le problème ou qu’elle serait de nature à prévenir sa répétition future. Il importe à cet égard de comprendre trois choses.

Premièrement, un choix entre différents objectifs est inévitable. Plus les fonds propres des banques sont importants, moins le rendement des actionnaires sera élevé, toutes choses étant égales par ailleurs, puisqu’elles devront limiter leurs emprunts et leurs prêts. Ce rendement inférieur amènera les investisseurs à investir ailleurs, éventuellement dans des activités plus risquées du secteur financier, notamment celles des quasi-banques. Selon le professeur Gary Gorton de l’Université Yale, c’est ce qui s’est passé : « Les organismes de réglementation peuvent forcer les banques à faire des choses, comme de détenir plus de fonds propres, mais ils ne peuvent prévenir le ralentissement de leurs activités si elles ne sont pas profitables. […] La réglementation bancaire détermine la taille du secteur bancaire, c’est tout(8). » Essayez d’éliminer le risque quelque part, et il se déplace ailleurs, parfois sous des formes plus dangereuses. C’est comme quand on essaie de coller une pellicule de plastique sur une surface lisse où se glisse une bulle d’air qui se déplace quand on appuie dessus. De fait, les banques d’investissement ont été plus atteintes par la crise que les banques commerciales.

Deuxièmement, les fonds propres ne sont qu’un facteur parmi tous ceux qui expliquent la solidité ou la fragilité des banques. Trois économistes, James Barth (Auburn University), Gerard Caprio (Williams College) et Ross Levine (Brown University) ont effectué une analyse économétrique de 50 crises bancaires survenues entre 1988 et 1999 (États-Unis, Suède, Norvège, Russie, Brésil, Japon, etc.)(9). Leurs résultats montrent que la quantité de fonds propres n’a pas exercé d’impact significatif sur la solidité des banques. Notez, à cet égard, comment les banques canadiennes, qui étaient soumises à des ratios de fonds propres à peine plus élevés que ceux des banques américaines, ont mieux survécu à la crise : aucune n’a été menacée d’insolvabilité ni n’a eu besoin de subvention directe.

Troisièmement, c’est souvent la réglementation même qui a rendu les banques fragiles, les a incitées à prendre plus de risques et a amené les investisseurs à favoriser le secteur des quasi-banques.

14. Si la réglementation des ratios de capital n’existait pas, les banques seraient très mal capitalisées.

Non : elles seraient capitalisées juste assez pour maintenir la confiance de leurs épargnants, ce qui implique sans doute des ratios de fonds propres plus élevés que ceux des banques actuelles, dont l’État garantit la solvabilité de multiples manières (notamment par l’assistance de la banque centrale, la doctrine du too big to fail et l’assurance-dépôts). En effet, la réglementation des banques s’est accompagnée d’une réduction du ratio des fonds propres : à la fin du 19e siècle, la banque américaine typique maintenait un ratio de fonds propre de base (maintenant dit « Tier 1 ») de près de 25 %, en comparaison de quelque 5 % depuis 1980.

15. Il faudrait donc une meilleure réglementation que celle qui a précédé la crise.

Cela est vrai dans une vision angélique du monde. Mais la réglementation que l’on a sur le plancher des vaches exerce souvent des effets contraires à ceux de la réglementation idéale à laquelle certains rêvent. Cette réalité n’est pas le fruit du hasard, mais la conséquence inévitable des processus politiques et bureaucratiques qui produisent la réglementation. Il est vain d’espérer qu’une réglementation des fonds propres venue d’en haut puisse miraculeusement sauver les banques.

En fait, les efforts réglementaires des dernières décennies et la crise économique qu’ils n’ont pu prévenir démontrent qu’il est risqué de mettre tous ses œufs dans le panier de la réglementation.

16. Si les gouvernements n’étaient pas intervenus dans l’économie durant la crise économique pour sauver GM, les banques, les compagnies d’assurances, racheter les prêts hypothécaires, soutenir l’emploi, la situation aurait été bien pire car un effet domino désastreux pour l’économie s’en serait suivi.

C’est ce que certains soutiennent. Steve Forbes soutient que la crise ayant été provoquée par l’État (et surtout par l’État américain), il était normal que celui-ci adopte des mesures d’urgence pour éviter que la récession ne se transforme en dépression(10). On ne peut rejeter cette thèse a priori, mais elle soulève plusieurs problèmes.

Il est difficile de savoir ce qui serait arrivé, par rapport à ce qui s’est effectivement produit, si quelque chose avait été différent dans le système – si, en l’occurrence, l’État n’était pas intervenu en gonflant les dépenses et en jouant avec la masse monétaire(11). Pour tenter de répondre à la question, on ne peut qu’examiner ce qui s’est produit dans des circonstances semblables à la lumière de ce que nous savons du fonctionnement de l’économie. Autrement dit, on doit examiner la théorie et l’expérience.

Du côté de la théorie, les économistes n’en savent pas autant que certains le prétendent, comme le montre la quasi-certitude, répandue avant la crise, que les outils modernes de la politique budgétaire et monétaire permettaient désormais de maîtriser le cycle économique. Et les connaissances que nous avons ne justifient pas un grand optimisme concernant les vertus curatives de l’intervention étatique, qu’il s’agisse de la stabilité macroéconomique ou des autres questions de politique économique et sociale. Du reste, les plus grands partisans de l’intervention de l’État ne s’entendent généralement pas sur les formes qu’elle devrait prendre ou le niveau où elle devrait s’exercer : chacun veut sa propre politique (qui est la plupart du temps celle qui favorise ses propres intérêts).

Du côté de l’expérience, un minimum de scepticisme est également de mise. On a vécu des situations où des crises potentiellement graves ont été évitées sans intervention massive de l’État, et d’autres situations où une intervention massive a été incapable de prévenir la crise.

17. Y a-t-il vraiment des crises qui ont été évitées sans intervention étatique et d’autres que l’intervention étatique a exacerbées?

Malgré une intervention massive de l’État fédéral américain, d’abord sous Herbert Hoover et ensuite sous Franklin Roosevelt, la Grande Dépression s’est étirée sur plus d’une décennie. Plusieurs des institutions créées à cette époque – comme Fannie Mae – ont continué à semer le trouble jusqu’à nos jours.

La récession de 1980-1982 fournit un exemple opposé. En incluant ses deux phases, cette récession fut, sous certains aspects, pire que la récession récente. Pourtant, les États – et notamment l’État américain – intervinrent peu, sinon par l’entremise des réductions d’impôt de Reagan, et la récession fut suivie d’une reprise rapide. Celle-ci s’accompagna d’une croissance du PIB à un taux deux ou trois fois plus élevé que le taux actuel. Après six mois de la reprise du début des années 1980, la main-d’oeuvre employée s’était remise à augmenter, ce qui ne s’est pas encore produit depuis 2009(12).

De même à l’occasion du krach boursier de 28 % en 1987, pire que celui de l’automne 2008, le gouvernement Reagan ne s’agita point et les mécanismes autocorrecteurs de l’économie empêchèrent la situation de déraper. Malgré les craintes de plusieurs, il n’y eut même pas de récession.

Est-il donc si certain que l’intervention de l’État est nécessaire ou n’est-il pas préférable de laisser la récession suivre son cours et se corriger d’elle-même?

18. Ne faut-il pas que l’État impose un peu de rationalité dans le cycle économique?

C’est une vue de l’esprit, comme la récente crise économique l’a démontré. Non seulement les politiques publiques ont-elles constitué des causes majeures de la crise, mais les politiques adoptées par l’État américain pour la contrer ont souvent été marquées par l’improvisation et le désordre. Le TARP (Troubled Assets Relief Program), par exemple, a subi trois réorientations en trois mois : on a subventionné tout ce qui bougeait – et surtout ce qui allait dans le sens des intérêts des politiciens au pouvoir.

De plus, on voit maintenant quelles sont les conséquences de l’intervention des États dans la crise : un alourdissement insoutenable de la dette publique, une intensification de réglementations déjà étouffantes, une incertitude qui déprime l’investissement, une économie toujours menacée de récession, et un taux de chômage qui demeure anormalement élevé en comparaison des reprises précédentes.

Il n’y a pas de recette magique, mais l’intervention étatique se distingue souvent du laissez-faire en ce qu’elle produit des catastrophes à plus grande échelle que les problèmes qu’elle prétend éviter. Les processus politiques et bureaucratiques qui définissent les pouvoirs publics ne sont pas plus rationnels que les marchés et leurs participants.

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Texte d’opinion publié en exclusivité sur le site de l’Institut Économique de Montréal, reproduit avec l’aimable autorisation de l’IEM.

Notes :
1. Les réponses aux questions posées dans ce texte s’inspirent fortement de Pierre Lemieux, Une crise peut en cacher une autre (Paris, Les Belles Lettres, 2010) et, du même auteur, Somebody in Charge? A Solution to Recessions? (New York, Palgrave-Macmillan, 2011). Le lecteur s’y reportera pour plus d’explications, de références et de sources documentaires.
2. Aux États-Unis, on parle de la récession de 2007-2009 puisque, dans ce pays, le sommet conjoncturel se situe à la fin de 2007. Au Canada, l’économie n’a commencé à chuter qu’en 2008.
3. « North Korea’s Other Crisis: An Economy in Tatters », Time, 30 juin 2009 (visité le 21 juin 2011).
4. « The Regulator Down the Hall », Wall Street Journal, 20 juin 2011.
5. Sur son site web  (visité le 18 juillet 2011).
6. Cité dans « Blaming Bank of America », Wall Street Journal, 6 février 2010.
7. Steve Forbes et Elizabeth Ames, How Capitalism Will Save Us, New York, Crown Publishing Group, 2009, p. 71.
8. G. Gorton, Question and Answers about the Financial Crisis, texte préparé pour la Commission américaine d’enquête sur la crise financière, 20 février 2010.
9. J. R . Barth, G. Caprio et R. Levine, Rethinking Bank Regulation. Till Angels Govern, New York, Cambridge University Press, 2006, notamment p. 214-224.
10. Steve Forbes et Elizabeth Ames, op. cit., p. 84.
11. Dans quelle mesure exactement les banques centrales ont-elles augmenté la masse monétaire durant et depuis la crise demeure une question controversée.
12. John B. Taylor, «The End of the Growth Consensus », Wall Street Journal, 21 juillet 2011.


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