Les gaz de schiste reviennent dans l'actualité française. Du 6 au 11 octobre, l'Assemblée nationale doit débattre en séance publique d'une nouvelle proposition de loi, déposée par l'opposition et relative à l'interdiction des hydrocarbures non conventionnels - les gaz et huiles de schiste. Peu aprés, le 13 septembre, le Gouvernement doit publier la liste des permis exclusifs de recherche qui auront été abrogés conformément à l'article 3 de la loi n°2011-835 du 13 juillet 2011. Analyse.
La proposition de loi n°3960, déposée par l'opposition a déjà été rejetée en Commission et n'a que peu de chance d'être votée en séance. Elle présente cependant un intérêt en ce qu'elle démontre que le droit est lui aussi victime des gaz de schiste.
Pour mémoire, le 13 juillet dernier, le Parlement avait adopté la propositon de loi déposée par Christian Jacob. Celle-ci avait été trés critiquée, notamment par l'opposition au motif principal que la nouvelle loi n'interdit pas clairement toute exploration et exploitation d'hydrocarbures mais se borne à interdire - en principe - le recours à une technique précise : la fracturation hydraulique.
L'article 3 de cette loi prévoit notamment que "Dans un délai de deux mois à compter de la promulgation de la présente loi, les titulaires de permis exclusifs de recherches de mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux remettent à l'autorité administrative qui a délivré les permis un rapport précisant les techniques employées ou envisagées dans le cadre de leurs activités de recherches. L'autorité administrative rend ce rapport public". La publication de ces rapports et de la liste des permis abrogés suffira-t-elle à mettre un terme à la controverse ?
Les rapports ont d'ores et déjà été remis aux ministres en charge de l'énergie et la liste des permis abrogés devrait être bientôt révélée.
A titre personnel, j'ai pu écrire ici que la loi du 13 juillet 2011, votée rapidement n'est pas satisfaisante, tout au moins sur le plan juridique.
La nouvelle proposition de loi a donc pour objet, à lire son exposé des motifs, à être plus claire et à prévenir tout risque de voir se développer l'exploitation des gaz de schiste en France.
Paradoxalement, la proposition de loi qui sera débattue du 6 au 11 octobre est tout aussi complexe que la loi du 13 juillet 2011 et souffre donc des mêmes défauts. La défense de la qualité du droit ne progresse pas.
Que deviendrait la loi du 13 juillet 2011 ?
elle ne prévoit pas l'abrogation de la loi du 13 juillet 2011 alors que telle est sans doute l'intention de ses auteurs. En conséquence, deux textes avec le même objet subsisteraient en droit... Autre problème : la proposition de loi ne prévoit qu'une modification du code de l'environnement et aucune du code minier..comment s'articuleront alors ces deux codes sur un même sujet ?
Le paradoxe de l'article 1er
L'article 1er de la proposition de loi comporte un paradoxe. Son premier alinéa dispose :
"I. En application de la Charte de l’environnement, et du principe d’action préventive et de correction prévu à l’article L. 110-1 du code de l’environnement, l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels sont interdites sur le territoire national".
Ainsi, l'exploration et l'interdiction des hydrocabures non conventionnels est interdite. A priori, cette disposition est donc plus claire et plus large que la loi du 13 juillet 2011, centrée sur la seule fracturation hydraulique.
Les choses se gâtent cependant à la lecture du deuxième alinéa de l'article 1er de cette proposition de loi :
"II. Sont considérés comme non conventionnels les hydrocarbures, liquides ou gazeux, qui seraient piégés dans la roche ou dans un réservoir à perméabilité particulièrement faible ou qui sont enfouis dans un gisement situé en eaux profondes, et dont l’exploration et/ou l’exploitation nécessitent soit d’utiliser des moyens d’extraction pour fracturer, fissurer ou porter atteinte à l’intégrité de la roche, soit de recourir à des plateformes flottantes ou à des navires de forage ancrés au fond de l’eau et/ou maintenues en position grâce à des moteurs commandés par un GPS".
Les hydrocarbures non conventionnels sont ici définis en fonction de plusieurs critères dont...celui de la technique de recherche et d'exploitation. Le risque de retour à la case départ est donc grand : l'interdiction générale des hydrocarbures non conventionnels est en réalité fonction de la technique employée. Sans doute conscients de cette difficulté, les auteurs de ce texte ont pris soin de citer plusieurs techniques et d'élargir à tout ce qui "porte atteinte à l'intégrité de la roche". Ce faisant la généralité du texte et le recours à plusieurs concepts trés peu juridiques - comme celui de GPS - en rendent trés complexe l'application et font naître un risque contentieux élevé.
Autre difficulté, cet article 1er de la proposition de loi mélange des enjeux trés importants mais qui ne peuvent pas avoir le même traitement juridique, c'est ainsi que la définition des hydrocarbures non conventionnels intègre des éléments relatifs aux forages en mer, par référence sans doute projet "Tullow Oil" au large de la Guyane. Le droit devient ici de plus en plus complexe.
Une abrogation.... rétroactive
Les juristes connaissent deux procédures pour qu'une décision administrative cesse de produire des effets e droit. La procédure de l'abrogation permet de sortir une décision administrative de l'ordonnancement juridique pour l'avenir. La procédure de retrait permet - rétroactivement - de faire disparaître ladite décision depuis son origine.
L'abrogation n'a donc pas de caractère rétroactif. Sauf pour les auteurs de la proposition de loi laquelle créé donc la procédure de l'abrogation rétroactive : "En application de l’article 1er, les permis exclusifs de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux non conventionnels sont abrogés avec effet rétroactif".
Au demeurant, l'utilité de cette création juridique n'est pas évidente. Une simple abrogation aurait suffit. Dés lors que le permis n'est plus, la prospection doit cesser.
L'empilement des procédures de concertation
Les articles 3, 4 et 5 de la proposition de loi proposent de soumettre à plusieurs concertations du public la délivrance des permis exclusifs de recherche. Il est pourtant préférable d'améliorer la qualité et non la quantité de procédures de participation du public. Surtout, il est préférable d'avoir une position politique claire- interdire telle activité jugée dangereuse - plutôt que de rendre plus compliquée une procédure dans l'espoir qu'elle aboutisse au même résultat : une interdiction.
Par ailleurs, n'oublions pas que la procédure du permis exclusif de recherches n'est pas employée pour la seule recherche de gaz de schiste. Le développement d'une énergie propre, la géothermie, en dépend également. Il serait dommage que la géothermie soit une victime collatérale d'une complication de la procédure du permis exclusif de recherches.
Le chantier du code minier
En réalité, l'enjeu n'est pas de voter des lois de circonstance les unes aprés les autres. L'enjeu est de repenser le droit applicable à l'exploitation du sous sol. Pour ce faire, les députés pourraient reprendre l'examen du projet de loi relatif à la ratification de la partie législative du code minier qui, pour l'heure, ne fait l'objet d'aucun calendrier connu.
Mais une réforme du code minier ne suffira pas. A l'instar de ce que vient de proposer l'association NegaWatt, c'est d'un véritable scénario énergétique global dont nous avons besoin. Les hydrocarbures non conventionnels n'y ont pas leur place.