D'après Maupassant
Elle avait vécu en province jusqu’ici
Sans avoir rien connu de la vie
Sinon ces occupations régulières
Qui constituent le bonheur des ménagères.
Elle voulut donc monter à Paris
Où elle se fit inviter par des amis.
Dans une boutique parisienne,
Elle vit toutes sortes de porcelaines.
Elle entendit le marchand
Dire à un monsieur élégant :
-Hier, j’ai vendu à M. Alexandre Dumas
Deux vases de Chine. Et si M. Zola
Voyait ce pique-fleurs,
Il s’en portrait acquéreur.
Elle s’approcha :-Vous êtes bien achalandé.
J’ai vu Monsieur regarder
Cette bien jolie statuette.
Il n’y a pas d’étiquette.
Quel est son prix ?
Le marchand répliqua surpris :
-Quinze cent francs.
-Je la prends.
Une femme qui
Peut mettre un tel prix
N’est pas la première venue.
Le dandy se retourna,
La regarda, la détailla.
Elle avait reconnu
Jean M., écrivain réputé
-Je l’ai achetée parce qu’elle vous plaisait
L’homme sourit, visiblement flatté :
-Vous me connaissez ?
Elle lui dit toute son admiration.
Parler à une personne aussi importante
Lui donnait une grande satisfaction.
Elle cita ses œuvres, fut éloquente.
-Permettez-moi de vous offrir
Cette statuette en souvenir
D’une femme qui vous admire passionnément
Et que vous n’aurez vu juste qu’un instant.
Il refusa. Elle insista
Il résista.
Alors, elle demanda au vendeur
L’adresse du célèbre auteur
-Je vais vous la livrer de ce pas !
Il la rattrapa.
Dans le fiacre, il s’assit à son côté
Elle continuait d’insister.
Il refusait toujours le cadeau.
Alors, elle proposa bientôt :
Je vais vous le laisser
Si vous obéissez
À toutes mes volontés.
La condition de l’entêtée
L’amusa tant qu’il accepta.
-À cette heure-ci que faites-vous ?
-Je me promène, et vous ?
-Alors…au Bois ! Ils partirent. Le soir tomba.
-À cette heure, que faites-vous ?
-Je prends l’absinthe.
Et vous ?
-Allons prendre l’absinthe !
Au Café du Lac ils entrèrent.
Il y rencontra des confrères.
Il les lui présenta.
Le temps passait ; elle demanda :
-Est-ce l’heure de votre dîner ?
Si oui, allons dîner !
Ils dînèrent. –Et après, que faites-vous ?
-Je vais parfois au théâtre,
J’avoue.
-Eh bien, allons au théâtre !
La représentation finie, elle dit :
-Que faites-vous à cette heure-ci ?
-Mais…mais…je rentre chez moi.
Elle fut prise d’un certain émoi
Mais se reprit :-Allons chez vous !
Elle voulait aller jusqu’au bout.
Arrivés, elle se déshabilla,
Se glissa
Dans le lit
Et attendit.
Mais lui n’ayant pas saisi
S’endormit.
À l’aube, il s’éveilla :
-Pourquoi avez-vous fait tout ça ?
Je n’ai pas compris.
Elle répondit doucement :
-J’ai voulu connaître la vie,
Tout simplement… !
Connais le monde, et sais le tolérer
Pour en jouir, il le faut effleurer.
Voltaire