Les biturbopropulseurs régionaux ont le vent en poupe.
Le constructeur franco-italien ATR annonce qu’il a vendu 145 avions depuis le début de l’année, pour un montant de 3,6 milliards de dollars. S’y ajoutent des options sur 72 appareils supplémentaires, des succès qui confirment la bonne santé éclatante de cette entreprise dont le carnet de commandes, 275 avions, correspond actuellement à 4 ans de production. On devine qu’il lui faudra rapidement accroître sa cadence de fabrication pour continuer à proposer des délais de livraison raisonnables.
Cette montée en puissance des biturbopropulseurs régionaux ne constitue plus un phénomène nouveau mais s’est considérablement amplifiée, les compagnies spécialisées y trouvant la possibilité de se maintenir malgré l’envolée du prix du pétrole. Aucun jet ne peut en effet rivaliser avec un biturboprop quand le baril se maintient aux environ de 120 dollars et qu’il est susceptible de monter davantage. De leur côté, les voyageurs ont oublié une fois pour toutes leurs préjugés à propos des avions à hélices, ayant compris qu’ils bénéficient, eux aussi, de grandes avancées technologiques, y compris la maîtrise et l’élimination des vibrations.
L’aviation régionale obéit de toute manière à des règles qui lui sont propres : compagnies spécialisées à structures légères, grilles tarifaires un peu élevées qu’accepte une clientèle qui se déplace principalement pour des raisons professionnelles. En Europe, l’étape moyenne, en croissance lente mais régulière, est longue de 630 km environ. Au-delà, le temps de vol risque de devenir dissuasif et le petit jet reprend ses droits.
Bien sûr, ATR n’est pas seul sur le marché. Partout dans le monde, il se heurte à la concurrence de Bombardier mais marque régulièrement des points. Tous deux se préparent par ailleurs à s’affronter sur une extension du marché qui prendra bientôt corps, celle des avions à 90 places. Pour l’instant, indiquent les responsables de l’ERA, groupement des compagnies régionales européennes (70 millions de passagers par an), la capacité moyenne des avions est de 77 sièges, tirée vers le haut, précisément, par les jets d’Embraer et Bombardier et de quelques nouveaux venus comme le Superjet 100 de Sukhoi et, bientôt, l’ARJ 21 du Chinois Comac
D’autres prétendants biturbopropulseurs apparaissent et Comac, précisément, fonde de grands espoirs sur le MA700 qui vise d’ores et déjà le créneau des 90 places. Reste à savoir s’il pourra s’installer hors marchés captifs, limites qui n’ont guère été franchies par un modèle antérieur, le MA600 ou encore des productions d’Antonov et Iliouchine qui, quelles que soient leurs qualités, souffrent d’une image encore et toujours très «soviétique», sans avoir fait leurs preuves en matière de support après-vente. C’est là qu’ATR suscite d’entrée la confiance puisqu’il s’agit d’une filiale commune d’EADS et de Finmeccanica/Alenia. Du lourd.
ATR a raté jadis le virage du jet et a souffert de cette erreur stratégique de ses actionnaires. Lesquels, à l’époque, étaient trois, BAE Systems ayant rejoint le couple franco-italien et avait d’ailleurs failli y semer la zizanie. Les Anglais ne voulaient pas entendre parler de jet, tout à la fois pour protéger leur petit quadriréacteur BAE-146 et pas manque de conviction à l’idée d’investir dans un programme plutôt continental. Quand les Anglais sont repartis, il était trop tard.
Les progrès enregistrés par les motoristes et héliciers, d’une part, la stratégie haussière des pays membres de l’OPEP, d’autre part, ont imperceptiblement façonné un contexte nouveau. D’où cette nouvelle jeunesse d’ATR, surprenante par son ampleur, mais sans être inattendue pour autant.
Pierre Sparaco - AeroMorning
(Photo: Daniel Faget)