Suite du texte du catalogue de l'exposition Naturae de Paolo Gioli à Rome.
![naturacri4[1] Les fleurs de l’enfer et la magie de l’écran (Paolo Gioli 2)](http://media.paperblog.fr/i/490/4907801/fleurs-lenfer-magie-lecran-paolo-gioli-2-L-2G9Wf3.jpeg)
Mais n’est-il ici question que de plaisir ? La féminité ne se manifesterait-elle pas ici plutôt par ses fluides corporels, urine peut-être (la miction est un sujet rare en art, à part la Pisseuse de Rembrandt) ou, plus probablement menstrues qui se seraient soudain figées, gelées, solidifiées. Là aussi le tabou est fort, la représentation rarissime, et la gêne à son comble. Aux tout débuts du féminisme, l’autrichienne VALIE EXPORT fut sans doute la première à oser affirmer la présence de ses règles dans son art, annonçant le ‘cunt art’ de Judy Chicago dans les années 70 . Depuis, Paul-Armand Gette a réalisé, avec force fraises et framboises écrasées, sa série des Menstrues de la Déesse, Diane ou Vénus. Mais ces fleurs-ci ne semblent guère être dans ce registre, elles sont plus rétives à des interprétations aussi imaginatives.
![naturacri3[1] Les fleurs de l’enfer et la magie de l’écran (Paolo Gioli 2)](http://media.paperblog.fr/i/490/4907801/fleurs-lenfer-magie-lecran-paolo-gioli-2-L-c917D0.jpeg)
Mais on ne voit point d’Apollon ici, nulle présence masculine autre que celle des regardeurs qui, se reflétant dans le verre qui protège les photographies accrochées aux murs, deviennent eux aussi partie prenante. Paolo Gioli a autrefois, dans sa série ‘Autonanatomie’ , laissé sa propre main entrer dans le champ, s’aventurer près du corps convoité, manifester sa présence et son désir ; mais ici il est resté invisible. La seule main que l’on verra dans cette exposition est celle de l’affiche de l’entrée, image moins explicite, aux tons plus bruns, mais c’est là la main du modèle tenant un chiffon rougeâtre sur son ventre. La main de Paolo Gioli, elle, reste hors champ, elle n’est pas, comme d’autres visible, active, intervenante, elle n’est ici qu’un instrument invisible, mais ô combien présent : c’est sa main qui a transféré les photos avec ce rouleau capricieux, c’est sa main qui, touchant la pellicule plutôt que la chair, y a laissé des marbrures violacées, c’est sa main enfin qui a tenu brosse et pinceau et a repeint certaines de ces photographies.
![naturacri2[1] Les fleurs de l’enfer et la magie de l’écran (Paolo Gioli 2)](http://media.paperblog.fr/i/490/4907801/fleurs-lenfer-magie-lecran-paolo-gioli-2-L-bNm3_C.jpeg)
![naturacri5[1] Les fleurs de l’enfer et la magie de l’écran (Paolo Gioli 2)](http://media.paperblog.fr/i/490/4907801/fleurs-lenfer-magie-lecran-paolo-gioli-2-L-yxuYjz.jpeg)
Et ce mariage des deux médiums, cette manifestation manuelle de l’artiste, c’est sur un écran que nous la voyons, sur un écran qui dissimule en partie la photographie : non point la partie du corps la plus scandaleuse, la plus ob-scène, qui serait dès lors hors-scène, mais au contraire celle qui pourrait sembler la plus anodine, ventre et nombril. C’est un écran qui incite, qui donne à voir et non pas un cache censeur. Quand Khalil Bey commanda ‘L’Origine du monde’ à Gustave Courbet, il l’accrocha dans sa salle de bain et fit confectionner une tringle munie d’un rideau vert qu’il pouvait faire coulisser à loisir devant le tableau ; si le baron de Havatny préféra une autre toile de Courbet, ‘Le Château de Blonay’ pour dissimuler ce sexe qu’on ne saurait exhiber, Jacques et Sylvia Lacan, quand ils acquirent l’œuvre de Courbet, demandèrent à leur ami André Masson un écran-écho : pour recouvrir le tableau, Masson réalisa une autre toile (‘Terre érotique’) représentant le même sujet dans la même position, mais de façon moins réaliste, plus linéaire et moins sculpturale, un double et un cache à la fois, un écran magique en quelque sorte. C’est un dédoublement de même nature qui me semble être à l’œuvre dans ces écrans peints de Paolo Gioli. Eux nous incitent à voir et non à cacher : ils me semblent avoir la même fonction que les deux œilletons de la vétuste porte en bois qui, au Musée de Philadelphie, commande la vision par un spectateur unique de ‘Étant Donnés : 1° la chute d’eau 2° le gaz d’éclairage’ de Marcel Duchamp, un autre corps féminin sans tête, un autre sexe exhibé, et, là aussi, quelques plantes, sinon des fleurs des champs. En somme, il y a dans ces ‘Naturae’, entre fleurs de l’enfer et écran magique, ce que Gioli montre et ce qu’il dissimule, ce qui est obvie et ce qui est implicite, et c’est à nous d’en faire la part.
Photos provenant du site de Paolo Gioli.