Ce billet ne va pas parler d’incendies ni de pompiers, même si j’aurais des choses à dire là dessus (la semaine dernière j’ai vu une fuite de gaz énorme sur un trottoir prendre feu et l’immeuble entier bruler en quelques dizaines de minutes. Avant hier j’étais aux premières loges pour assister à l’accident de métro à Shanghai qui a fait des centaines de blessés).
Non je vais parler d’un désastre un peu plus intime.
Vivre et travailler en Chine, c’est s’exposer à une série continuelle d’incendies qui vous font croire que tout est foutu. Il faut des nerfs solides. Mais c’est aussi vivre à un endroit où tout incendie peut s’éteindre grâce à des solutions providentielles, des mobilisations étonnantes, des pompiers sortis de nulle part, des miracles quoi.
Aujourd’hui j’avais plusieurs rendez vous importants. Je monte le matin dans un taxi, une de ces volkswagen santana bleues qui font partie du paysage shanghaien. Elles ont les sièges très bas, très inconfortables. Je suis grand et j’ai les genoux qui remontent au niveau des pectoraux quand je suis assis à l’arrière. La porte arrière gauche est condamnée, ce qui complique la tâche de monter à plusieurs dans un taxi. Il faut prendre le réflexe de couper le son de la petite télévision qui vous serine ses rengaines sur le dossier de devant (parfois je débranche carrément la petite télé). Les amortisseurs et les boîtes de vitesse sont souvent très très amortis, fatigués par des années de tournée jour et nuit (les chauffeurs se relaient ; les voitures roulent).
Ce matin de septembre j’étais seul, j’avais oublié de mettre une ceinture à mon pantalon de costume. Je monte dans mon taxi et là CCRAAAAC, mon pantalon se craque par la couture du milieu, sur plus de vingt centimètres, à l’endroit le plus indécent que l’on puisse imaginer.
Horreur. J’étais déjà en retard pour mon premier rendez vous (avec un bon ami). N’ayant pas le temps de changer de pantalon je file, courant droit au désastre.
Heureusement pour moi, Ayi (阿姨 “signifie” tante et désigne la nounou qui s’occupe de la maison. A Hongkong on l’appelle plutôt Amah 阿妈 qui signifie “maman”), Ayi donc avait mis du temps à laver mes habits car la machine à laver était cassée ; j’avais du enfiler un maillot de bain noir, plutôt qu’un caleçon (attribut que je porte normalement plutôt clair). Difficile pour moi d’inspecter mon arrière train, mais apparemment le noir sur noir limitait les dégâts.
Se passe mon premier rendez vous avec un ami sufisamment proche pour que je puisse lui raconter mes déboires. Il me dit qu’il n’avait pas remarqué mais qu’il observe peu les postérieurs masculins. Attention aux filles toutefois, me prévient il. Un passage aux toilettes de son bureau me confirme que la déchirure se voit. Pas autant que le nez au milieu de la figure, mais elle se voit quand même.
Alors vite je regarde le dictionnaire sur mon téléphone pour voir comment on dit “recoudre”. On dit feng et on écrit 缝, ce qui est facile à retenir car la partie droite se prononce feng et donne le son, alors que la partie gauche représente la soie et indique donc le sens.Je vais donc dans la rue après mon rendez vous, et trouve en vingt mètres un magasin qui peut 缝衣服, recoudre des habits. C’est une toute petite échoppe devant laquelle une dame est justement en train de coudre à la main. Je lui explique mon drame, elle rigole et m’aide à m’installer au fond du magasin, là où les passants me verront le moins. J’ôte mon pantalon ; elle me le recoud en moins de temps qu’il faut pour raconter cette histoire, comme on le voit sur la photo. Elle me le rend avec un grand sourire en me disant “tu as de la chance” ! Je lui pose quelques pièces sur la table alors qu’elle ne m’avait rien demandé. Elle me remercie en disant que c’est trop et me voilà reparti pour mes rendez vous, heureux d’être sorti de ce pétrin presque aussi vite que je n’y étais entré.
Merci à toi, couturière qui a sauvé mon honneur et ma pudeur. Tu n’as pas d’équivalent française mais tu m’as rendu un fier service.