Dans le nouveau Rif Raf d'octobre, le reggae signe son retour en force avec notamment Lotek et le groupe brésilien Digital Dubs. D'autres très belles plaques seront également passées au crible, notamment celles de Piers Faccini et du duo espagnol Pedro Soler & Gaspar Claus... un disque vraiment exceptionnel! Voici quelques unes de ces chroniques en primeur!
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Pedro Soler & Gaspar Claus
‘Barlande’
In-Fine Music
Rif Raf n’a pas reçu le dernier dEUS à chroniquer parce qu’Il est boycotté par Universal. Et ce n’est pas la seule maison de disque à l’agonie qui prend la mouche. Bon tant pis on s’en passera, il y a d’autres choses toutes simples, toutes nues qui méritent bien plus de lignes que toutes leurs productions mal équarries. Ainsi ce duo guitare/violoncelle espagnol sorti sur In-Fine: père et fils se sont rejoints pour un disque, chacun avec leur instrument sans autre forme de procès. Qu’est-ce qu’un disque comme celui-là est riche ! On s’enfile d’une traite, le souffle coupé, du flamenco, du jazz, du classique contemporain… c’est ‘Barlande’ ! Ça cause à quatre main, ça surexpose les (dés)accords, ça se fracasse, ça badine. C’est incroyablement vivant, luxuriant même, tendre parfois, là où on aurait pu croire à une aridité (toute espagnole) de la rencontre des seuls deux instruments. C’est un opéra à deux sous où ils suffisent largement à tout se dire : les bases des compositions fermement cambrées par la guitare qui tangue au gré des caresses ou des aigreurs du violoncelle. Hors de tout format, loin des clichés parricides de la culture « rock’n’roll » de masse, il émane de ce disque une musique d’unisson, comme une métaphysique dure mais aérienne et par moment très émouvante. Tu quoque fili mi ? Non pas trop, non, juste un peu de musique… (jd)
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Piers Faccini
‘My Wilderness’
Tot Ou Tard
Comme quoi, faut pas se fier à la première écoute et encore moins aux dossiers de presse. Annonçant Piers comme un poète génial blablabla, ce disque était à fuir d’urgence ou du moins à placer en bas de la pile. La plage d’ouverture m’avait déjà dissuadé : merdre, voilà encore un folkeux intello qui chante avec une voix perchée en haut. Et en plus il semble avoir du talent et sûrement un chapeau panama d’artiste à la con. Non ça va pas aller. Pourtant sa voix confidente est savoureuse comme un gâteau oriental à la saveur simple mais dévoyée par une épice, du gingembre ou je ne sais quoi. Et elle se goûte cette voix, elle vous sourit déjà. Surtout quand elle s’étale de toute son amertume avec un sourire en coin, comme sur le refrain de ‘The Beggar & The Thie
f’. Vraiment renversant. Également, ‘Strange Is The Man’ est tellement inespéré… on vogue sur une mélodie d’une simplicité biblique au gré des inflexions de la voix de Piers qui vous fait monter au ciel avec quelques notes de santour, authentique marche pied pour la béatitude. Vous savez comment Jeff Buckley pouvez nous faire planer avec sa voix d’ange (‘Lilac Wine’) et bien Piers c’est parfois pas loin de ça. Dans un autre style. Plus folk. Un disque lumineux, très inspiré, totalement dépouillé mais servi par des arrangements de première classe, plein de trouvailles légères comme une gaze qui lorgnent du côté de l’Orient ou de l’Afrique sans en avoir l’air. Et surtout une voix mélodieuse, malicieuse et éthérée qui nous emmène loin, si loin sans qu’on n’a même plus à demander où et pourquoi…(jd)
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Lotek
‘International Rudeboy’
First Word Records/Rough Trade
Certains peuvent connaître Lotek pour son travail hip hop avec Roots Manuva à l’époque, ses escapades chez Big Dada ou encore pour sa force créative derrière l’album de soul acoustique de Speech Delebelle. En tout état de cause, c’est toujours le reggae qui a constitué la base de son son dont sa première sortie solo constitue un véritable point d’orgue. Musicalement, ce ‘International Rudeboy’ explore l’évolution du hip hop par le prisme de la culture des soundsystems reggae. Et ça dépote ! Sa démarche n’a rien d’une recette mais plutôt une plaque rusée d’un vieux renard qui débusque des tubes à tous les coins rues de Kingston : mâchant les samples les plus fouillés avec des productions live, il ajoute quelques couches de cuivres qui viennent couler comme une sauce caramel au sommet de certains titres (ces trombones sur ‘Never Drink Again’ ou la trompette bourdonnant sur ‘International Rudeboy’). Avec des influences allant des productions Studio One aux Specials ou au futur dub de Mungo’s Hifi (‘Don’t Want No’), chaque titre dégouline de talent et tape dans le mille, également grâce au flow graveleux de Lotek lui même (‘Dreader Than Dread’) ou de son pote Roots Manuva (‘Still Splendid’). Bref, tout ce qui fait les qualités d’un tout bon album reggae réuni avec des qualités de flow et de production hip hop de première classe. Un incontournable de la saison bien sûr et de l’année sans doute. (jd)
‘Digital Dubs’
‘#1’
Roir-USA
Black Box Revelation
‘My Perception’
PIAS
Les BBR sortent leur troisième album, celui-ci étant le premier à sortir aux Staïïites et on leur souhaite bonne chance. Après avoir démontré toute leur énergie à produire des bombes de rock garage et leur maîtrise à triturer une pâte de blues rêche ou psyché, c’est au niveau mélodique que l’ont attendait les deux kets, afin de confirmer une montée en talent et en puissance. Les quatre premiers titres sont d’un rock juvénile, à l’emporte-pièce comme ils en font depuis le début. Du bon taf, oui (‘Madhouse’ très Eagles Of Death Metal, forcément, ‘My Perception’ moins convainquant malgré le son des riffs rongés jusqu’à l’os). C’est ‘Bitter’, frustement taillé dans les sixties, qui fait le saut mélodique. Ok. Suit un riff très Canned Heat, où l’on entend aussi la volonté de sortir du carcan mélodique du blues. ‘White Unicorn’ est également un breuvage de blues poisseux mais la mélodie devient vite poussive. ‘Shadowman’ ouvre sur un riff zepplinien et on sent les deux gars très à l’aise. Un titre puissant et mature. Beaucoup de choses à dire sur la suite qui ne crève pas les plafonds mais qui se défend bien. Si on sent effectivement que les deux gars ont pris de l’assurance dans la composition, on constate néanmoins que le bas blesse souvent au niveau chant/mélodie : cette façon d’appuyer sur des syllabes ou des voyelles sans cesse est énervante et peut vite ramener les chansons à de vieilles rengaines nasillardes, pire, à un tic de langage (‘2 Young Boys’). Gageons qu’avec le travail et l’âge, viendra plus de subtilité mélodique et rythmique (là aussi souvent trop lourde). (jd)
Osvaldo Hernandez-Napoles
‘Tierra’
Home Records
Osvaldo Hernandez-Napoles est un musicien d’origine mexicaine et habite en Belgique depuis plus de vingt ans. Après avoir joué et enregistré avec divers groupes multiculturels et dans différents pays, il vient nous proposer son premier album, ‘Tierra’. Loin de s’en tenir uniquement à ses racines mexicaines, il s’est entouré de remarquables musiciens, lui permettant de s’aventurer dans des terres dont il n’aurait peut-être pas rêvé autrement. Ainsi Karim Baggili (également dans l’écurie liégeoise Home Records) s’avérait être le partenaire on ne peut plus idéal tant au niveau de la composition que des arrangements, comme en témoigne le titre éponyme. Un titre calme et poétique dont l’émotion est soulignée avec sobriété par le magnifique duduk de l’Arménien Vadran Hovanissian. C’est le troisième larron de l’affaire auquel il faut ajouter Patricia Van Cauwenberge et ses percussions aux sons les plus incroyables. ‘Tierra’ est notamment la preuve qu’avec une pléiade d’instruments traditionnels, on peut trouver une multitude de pistes musicales nouvelles et très personnelles. Une petite musique folklorique bien belle, moderne et fusionnelle. (jd)