Durant ces dernières années, la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la Justice ont été trop
souvent bafouées, les libertés publiques rognées, au nom d’une prétendue politique sécuritaire.
Paupérisée et outragée, marquée par la frénésie législative et répressive dont chacun a compris, à présent,
qu’elle n’est pas dénuée de considérants électoralistes, cette Justice, malmenée, la Gauche au pouvoir devra la libérer.
Attention toutefois à ne pas sous-estimer la tâche, en considérant, par exemple, qu’une simple pratique
différente suffirait.
La Justice est un élément fondamental du processus de reconstruction que doit initier la Gauche
d’alternative.
Recréer les conditions du respect et de la confiance perdue constitue aujourd’hui un facteur essentiel tant
de la reconquête démocratique que de l’élan psychologique nécessaire au redressement.
Certes, dans ce domaine, la Gauche au pouvoir a toujours porté des réformes et des avancées parfois
audacieuses, mais l’action à entreprendre, cette fois, nécessite un effort idéologique et éthique plus important, et des références emblématiques :
Pour les Grecs, à l’origine de la cité, la Loi était indissociable de la Justice.
Ils y ajoutaient une dimension sacrée, consubstantielle.
Pour eux, « l’accès au Droit », marquait l’acte de naissance de leur citoyenneté, en tant
qu’hommes libres inter pares, la garantie de leur protection, par la Loi, face à l’arbitraire et à la barbarie.
Le rétablissement de la grandeur de notre Justice républicaine passe, en premier lieu, par la réaffirmation
de l’égalité citoyenne, source d’adhésion, d’autorité et de légitimité.
La vision judiciaire de la Gauche, après tant d’années d’opposition, doit être animée par une ambition plus
grande encore : il lui faut promouvoir une perspective nouvelle, un nouvel humanisme, une exigence plus grande et plus forte sur la question de la dignité humaine.
En la circonstance, l’inspiration forte qui doit guider notre action, c’est celle de François Mitterrand et
de Robert Badinter au moment de l’abolition de la peine de
mort quand il s’agissait d’ouvrir, et ce, contre l’opinion si nécessaire, une nouvelle voie de progrès.
C’est bien à un véritable changement de paradigme que la Gauche doit s’atteler, conformément à son identité
idéologique et en rompant radicalement avec les approches et les discours sécuritaires actuellement dominants.
Certes, dans le contexte actuel, face au crash historique auquel nous a amené la crise du libéralisme et de
la spéculation, à l’approche de l’échéance de 2012, le régime sortant a tendance à redécouvrir, que la sécurité est la valeur politique refuge par excellence.
Mais face à la surenchère du tout répressif, nous, Socialistes, devons justement représenter une véritable
alternative, être porteurs d’une autre politique marquée par la générosité et l’espérance.
Nous devons en appeler à une société, non pas de la défiance, mais de la confiance et du dialogue, en ne perdant jamais de vue que les lois et la Justice s’adressent à tous et constituent la principale protection de ceux qui vivent, de la manière la plus aiguë précisément, l’insécurité et l’injustice sociale.
Car, si l’un des objets de la Loi est certainement de définir la règle et la sanction, il s’agit également de se souvenir que la Loi, en tant que norme politique, a été inventée pour protéger les citoyens pauvres contre l’arbitraire des plus riches, pour préserver leur liberté, non pas la sécurité, terme devenu hautement péjoratif, mais le Droit à la sûreté citoyenne, telle qu’elle trouve son origine dans la déclaration des Droits de l’homme de 1789.
Nous ne devons donc pas avoir peur d’affirmer, parce que ce sont nos valeurs, nos convictions, nos
engagements, que dans le contexte actuel, si difficile, ne pas créer d’emplois, ne pas créer les conditions et la possibilité de vivre décemment est un facteur générateur de
délinquance.
Du même, afficher exclusivement une volonté de fermeté et de répression est également contre
productif dans la mesure où l’on ne fait que développer une dynamique produisant toujours plus de fractures et de violence, tout en négligeant l’ensemble des jeunes susceptibles de sortir
de l’exclusion sociale.
Que l’on nous préserve aussi de caricaturer la prétendue naïveté ou le laxisme de la Gauche : des sanctions doivent bien évidemment être prononcées et appliquées ; mais à la condition qu’elles soient issues de l’appréciation en conscience du Juge, en fonction de la personnalité du prévenu, qu’elles apparaissent nécessaires et proportionnées et qu’elles s’inscrivent, de manière plus générale, dans un dispositif global équilibré.
Il s’agit, pour la Gauche, d’appeler à soutenir un projet, une inspiration ambitieuse, certes, mais surtout de disposer d’un fil directeur qui lui permette à nouveau de pouvoir évoquer des thèmes trop discrédités et qui doivent pourtant être au cœur de notre philosophie profonde comme ceux de la prévention, de l’éducation et de la réinsertion.
De ce point de vue nous devons, en amont et sans complexes, soutenir le travail fondamental de terrain des
associations, rétablir la police de proximité à l’action bénéfique et dont la suppression était purement d’origine dogmatique.
En aval, il s’agit de rétablir les prérogatives des Juges de l’application des peines, notamment en matière
d’alternatives à l’emprisonnement et de libération conditionnelle.
S’agissant de la dignité en milieu carcéral, l’état lamentable des prisons françaises, à présent dénoncé
régulièrement et unanimement, n’est tout simplement plus acceptable.
Cette question illustre d’ailleurs parfaitement, et bien au-delà de la seule question pénale, le problème plus général de la faiblesse insigne du budget alloué à la Justice, qu’il conviendra impérativement de revaloriser sensiblement.
Quelques chiffres indiquent l’affaissement récent des moyens et les carences actuelles en la
matière :
En 2011, 58 € par an et par français étaient consacrés au budget de la Justice, ce qui correspond à une
somme deux fois moins importante qu’en Allemagne !
A titre d’illustration encore, nous disposons de 3 procureurs pour 100.000 habitants en France alors qu’ils
sont pour le même nombre d’habitants 13 au Portugal !
De même, nous comptons 11 juges pour 100.000 habitants en France alors qu’il y en a 24 pour le même nombre
d’habitants en Allemagne !
La protection judiciaire de la jeunesse, les personnels des greffes et de manière plus générale les moyens
de fonctionnement des tribunaux ont été sacrifiés par les budgets de la Droite libérale depuis dix ans.
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que la Commission européenne nous ait classés pour l’efficacité de notre Justice au 37ème rang des 43 pays d’Europe étudiés en 2010 !
Enfin, autre enjeu important pour la Gauche au pouvoir en 2012 : restaurer un véritable respect des
Juges, en assurant une véritable indépendance de la Justice.
La pratique politique et la volonté de contrôle absolu des instances, sous le Président sortant – chacun a
plusieurs affaires présentes à l’esprit -, ont été marquées par des interventions et des conflits incessants avec le corps judiciaire.
Il est pourtant indispensable de conserver la plus grande considération pour l’ensemble des magistrats qui sont des grands serviteurs de l’Etat.
Tandis que le gouvernement s’efforce de reprendre en main les magistrats du Parquet, ce qui a fait
craindre, à juste titre, leur manipulation par le pouvoir exécutif, le projet socialiste propose d’instituer leur indépendance.
Sur cette question précise, et afin d’assurer un véritable cloisonnement, pour notre part, nous préconisons
d’aller plus loin encore :
Tout en maintenant le lien hiérarchique interne, nécessaire à l’homogénéité de la politique pénale sur le
territoire national, nous proposons d’aligner le statut des magistrats du parquet sur celui du siège en créant un Parquet général de la Nation, seul destinataire des instructions générales
d’action publique du gouvernement.
Par cette réforme, nous rétablirons et continuerons ainsi l’œuvre d’Elisabeth Guigou, ancien Garde des Sceaux et nous serons enfin en concordance avec la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et plus particulièrement avec son article 6 relatif au droit à un procès équitable : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial ».
Dans le même ordre d’idée, indépendamment de la préservation du Juge d’instruction, il est nécessaire
d’organiser des moyens d’investigation qui garantissent pleinement la séparation des pouvoirs, la présomption d’innocence et les droits de la défense.
Sur l’ensemble de ces éléments, la France porte des valeurs universelles qui ont à un moment de l’histoire,
inspiré le monde.
Elle est détentrice de ce précieux héritage et c’est bien la raison pour laquelle elle se doit, non d’être
seulement irréprochable, mais exemplaire et ambitieuse.
C’est donc avec la conscience aiguë et le sentiment bien compris de cette responsabilité que notre
pays retrouvera son statut et sa place particulière, celui de Pays des Droits de l’Homme.
Auteurs : Fabienne ABOUAF Etudiante en Droit et Maixent LEQUAIN Avocat
Publié sur le blog du Groupe Riposte
Merci à Section du Parti socialiste de l'île de ré