Je ne reviendrai pas en détail sur les innombrables sources d'informations sur les dérapages des dossiers du ministère des transports du Québec qui coûtent des milliards de dollars aux contribuables québécois depuis près de dix ans. Par contre, je crois utile, avant de vous inviter à lire un article fort pertinent paru la fin de semaine dernière, d'énoncer ceci, le plus simplement du monde:
Vous avez un projet d'infrastructure. N'ayant personne de compétent à l'interne, vous confiez à une firme d'ingénieurs externe le mandat d'en préparer les plans et devis. Vous procédez ensuite à un appel d'offre, et confiez le contrat des travaux au plus bas soumissionnaire conforme. N'ayant personne de compétent à l'interne, vous confiez la surveillance du chantier à la même firme d'ingénieurs. Ceux-ci, loin de voir un conflit d'intérêt à "vérifier" leur propre travail et superviser l'exécution de celui-ci par un tiers, approuvent de plus des extras qui vous coûte des millions pendant les travaux. L'ordre des ingénieurs n'y voit rien d'anormal non plus, alors que son mandat est la protection du public, et non celle des ingénieurs.
Vos conclusions? Je ne sais pas pour vos, mais les miennes sont asse claires: soit les ingénieurs de la firme ont été parfaitement incompétents et vous ont floué en autorisant des extras inutiles, soient ils ont été parfaitement incompétents en préparant les plans et devis originaux, ouvrant la porte à ces extras, et vous ont alors floués au moment de vous rendre ce premier service. Évidemment, s'ils sont compétents, ils vous ont simplement trompé, fraudé, volé, quoi.
Question: Allez-vous les engager de nouveau?
La réponse du Ministère des transport à cette question est visiblement: Oui, et les yeux fermés. Évidemment, dans le cas du Ministère, ce n'est pas le Ministre* qui paye... puisque justement, c'est vous.
Une vision
- Kathleen Lévesque, Le terreau fertile d'un état amoindri, Le Devoir du 24 septembre 2011.(Je vous invite évidemment à lire l'article dans son ensemble, il est disponible gratuitement sur le site du Devoir, sur le lien ci-haut.)
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Un constat
Aujourd'hui, tout le monde réclame une commission d'enquête publique et/ou la démission de Jean Charest. Aux élections de 2003, 46% des électeurs ont voté pour les Libéraux et Jean Charest. Après son passage minoritaire de 2007, c'est encore 42% des électeurs qui lui ont donné le mandat d'avoir les deux mains sur le volant lors des élections de 2008.
Je trouve toujours incroyable (et un peu idiot, j'avoue) les gens qui votent pour un parti clairement à droite, économiquement, dont le projet de "dégraisser" l'état et de favoriser le privé en sous-contractant les services publics n'était pas caché pendant la campagne, s'étonner par la suite que ces politiques de droite économique aient des effets secondaires qui étaient aussi prévisibles que le nez au milieu de la figure.L'interventionnisme de l'état - dénoncé par Jean Charest en 2003 - est précisément ce qui a permis de prévenir les abus que l'on connaît depuis l'élection des Libéraux.
Les firmes d'ingénieurs ont donc été consultants pour aider le gouvernement à établir le nouveau mode de fonctionnement du ministère, amaigri. Et ce nouveau fonctionnement allait leur permettre de décrocher des milliards de dollars de contrat. Personne n'y a vu le moindre conflit d'intérêt. Pas plus que les élus n'ont vu de conflit quand ils ont constaté que ces firmes étaient constitués de contributeurs importants à leurs campagnes électorales? Hum.
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Un citoyen
Depuis des années, on déplore le cynisme des citoyens... Je demande bien pardon, mais ce ne sont pas les citoyens qui sont cyniques, mais bien les politiciens. En tout cas, il faut être particulièrement cynique depuis une semaine pour refuser de reconnaître que le problème dépasse les capacités d'enquêtes policières. Il faut être particulièrement cynique pour prétendre que tout va bien au Ministère des transport. Il faut être incroyablement cynique pour annoncer qu'il faut procéder à des coupures massives en santé et éducation pour boucler un budget défoncé par les extras aux ministères des transports. Il faut être d'un cynisme à toute épreuve pour prétendre que l'appareil politique n'est pas corrompu et que les fleurons de jadis qu'étaient les firmes d'ingénieurs du Québec ne sont pas impliqués dans cette corruption. Pour reprendre mon analogie avec votre projet et celui du Ministre, non seulement ce n'est pas le Ministre qui paye les extras, mais vous, mais en fait, le Ministre* retire probablement quelques gains de toute l'affaire lorsqu'il prépare une campagne pour sa réélection. Et il faut être d'un cynisme extrême pour refuser de voir que ce sont les politiques mêmes du gouvernement Libéral qui ont menées à ce navrant constat**.
Je ne suis pas cynique. Au contraire, je dirais même que je suis... lucide, si ce terme n'avait pas été lui aussi approprié par la droite économique québécoise pour faire croire au bon peuple que l'entreprise privée est toujours plus efficace. Malheureusement, ils ont oublié de dire qu'elle est surtout plus efficace pour elle-même et les politiciens corrompus et non pour la société québécoise et les finances de l'état.
Un avenir... noir
Aujourd'hui, le Parti Libéral continue de s'accrocher à cette idéologie entrepreneuriale de l'état et refuse de reconnaître que ce sont ses politiques qui ont permis le gâchis que l'on connaît. On pourrait être soulagé de voir dégringoler leurs appuis dans les sondages, mais la CAQ, grande gagnante de ces mêmes sondages, prône elle aussi le passage du public vers le privé, même en éducation ou en santé. Vive le Québec inc. On s'entête à vouloir gérer l'État comme une business alors que les 7 dernières années ont prouvées que cette avenue comporte plus d'errances que de réussites. Je ne peux pas croire que les gens qui sont horrifiés des effets de la privatisation de l'expertise au Ministère des transports peuvent croire que cette même privatisation, appliquée à la santé et à l'éducation soit la chose à faire. Car on ne parle pas ici de ponts, de viaducs ou d'autoroutes, on parle de chirurgies cardiaques, de traumatologie, de prescriptions de médicaments commercialisés par des multinationales, on parle de l'éducation des enfants et de l'apprentissage du français. Bref, on ne parle pas de béton, mais de vies humaines. Si ces milieux sont privatisés sauvagement de la même manière, ils se rendront rapidement au point où en est l'industrie des infrastructures en transport, et cette simple idée me donne froid dans le dos. Pas vous?
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* On aura compris que j'utilise ici le terme Ministre au sens de la fonction, sans viser un ministre des transports en particulier.
** On me dira que c'est sous le PQ que le passage vers le privé a été suggéré et débuté, ce qui est vrai. On ne parle pas de la même ampleur, mais le gouvernement de Lucien Bouchard avait débuté le tout. Évidemment, rien d'étonnant à cela, compte tenu des positions économiques de droite qu'a toujours défendues Lucien Bouchard. Voir le paragraphe suivant de mon commentaire, avec les Lucides, justement.