Entretien avec Jean-Paul Klée, 5 & fin (par Jean-Pascal Dubost)

Par Florence Trocmé

ENTRETIEN AVEC JEAN-PAUL KLÉE, 5 & fin   

Lire la première partie, la deuxième partie, les troisième partie et quatrième partie de cet entretien – un PDF de l’intégralité de l’entretien est proposé aujourd’hui en téléchargement (voir à la fin de l’entretien) 
 
Jean-Pascal Dubost : Te questionnant, j’ai le sentiment de l’inanité de la chose, car plus que quiconque autre auteur, tout, pour reprendre ma question précédente, tout semble être dit dans tes divers écrits. Un entretien avec toi n’est-il pas superfétatoire, sinon vain ? N’y a-t-il pas risque d’affadir, d’aplatir ou de t’obliger à la répétition ? 
 
Jean-Paul Klée : Cette question-là aussi – décidément – me plaît beaucoup. Non seulement tes questions m’ont passionné, mais elles ont fée remonter de très loin des trücs importants à demi oubliés, que le souvenir grâce à toi réunit, fédérera, comme une petite « polynésie » avec sous l’eau grisâtre le cordon de corail de la nécessité…. Il n’y a eü, comme tu dois le sentir, ni répétition ni affadissement ni aplatissement !... Bien au contraire : tu es, cher Jean-Pascal, le premier, objectivement le premier à me poser « les » questions essentielles qu’un poète poserait (s’il en a la générosité) à un poète plus âgé que lui. Bénie soit donc ta minutieuse lecture & cette sympathie vive & si fidèle qui, depuis longtemps, te fée te pencher sur mes modestes publications. De tout mon cœur merci d’être le découvreur de cet auteur si longtemps caché parmi les roseaux de son alsacienne marécagie !... Grâce à toi je ressors au grand jour national & loin des tombeaux d’ici. Oh fünèbres fümées !... Dans Bonheurs d’Olivier Larizza, il y a un poëme sur la mort de mon père (« à raymond-lucien Klée », page 98), un autre sur la mort de ma mère (« décédée le 29 avril 2010 », page 231), un poëme sur la cathédrale de Strasbourg (« grimpé kathédrali », page 76), un autre sur Verlaine (« lisant Verlaine j’ai », page 219), sur Dadelsen (« éveillé par Dadelsen », page 119) & aussi un art poétique développé (« art poétique », page 227), dont je suis heureux. Une grande partie des 240 pages est consacrée à Olivier Larizza, de qui on devra reparler vraiment (nous l’avons à peine abordé jusqu’ici). Tant il y a, grâce à toi, de choses à dire !... 
 
 
J.-P.D. : Tu écris, dans Journal du fiancé : « Oui, danger, dans la poësie, de la rhétorique ; de l’effort à dire ; de “l’échafaudage du souffle ?” », penses-tu toujours cela ? Pourquoi cette défiance (que je sais largement partagée) à l’égard de la rhétorique, de la fabrication ? Tout, dans la langue, n’est-il pas rhétorique ? 
 
J.-P.K. : Je ne me souviens plus du tout de cette phrase du Fiancé (1985) sur la…. rhétorique en poësie. Elle est beaucoup trop brève…. Il y avait peut-être « rhétorique » dans la Noirceur de l’Occident (1998), que ne je n’aime plus trop (Patrick Poivre d’Arvor l’avait en télévision promue). Mais maintenant, depuis 2002 ou 2003, tout squelette trop apparent a disparu de ma poësie, tout s’est assoupli, englué, digéré, harmonisé dans cette nouvelle « voix »… Il n’y a plus (comme semble-t-il dans la Noirceur) d’échafaudage visible. Après tout, j’ignore assez ce qu’est vraiment la rhétorique ?... Je n’ai pas ta connaissance (ni celle d’un Jude Stéfan) concernant les grands baroques des XVe ou XVIe siècles français. Sans doute (le Fiancé) voulais-je dire que la rhétorique se devait d’être le moins visible possible…. On ne voit pas non plus sous la peau des hommes les müscles, les nerfs, les vaisseaux sanguins ni les articulations & charpentes osseuses !... 
 
 
J.-P.D. : Écris-tu pour écrire, du moins, pour la seule (vraie ?) joie d’écrire ? 
 
J.-P.K. : Cette question j’y ai répondü (me semble-t-il) en filigrane des onze précédentes. J’ai toujours eü (en écrivant) une joie énorme. Je n’ai jamais déclenché de l’écriture, prose ou poësie, que tressaillant aux prémices de cette joie !... Claude Vigée (le très cher) m’a dit un jour la même chose : il n’a jamais écrit dans l’ennui, le commandé, mais toujours par plaisir & jubilation. Jamais il n’a (moi non plus) tiré à la ligne, forcé son « dire ». On sent ce frémissement vital & nécessaire à chaque page de chacun de ses 50 volumes, Le Panier de houblon, Le Parfum et la Cendre ou celui qui me le fit rencontrer : Moissons de Canaan (j’écrivis sur Canaan à 25 ou 26 ans, dans la très attentive revue Saisons d’Alsace). Jamais je ne me suis forcé ni creusé. Toujours j’ai terminé comme en souriant le texte commencé : l’arc-en-ciel de l’écritüre va jusqu’au bout ; jamais l’aqueduc n’est resté un seul pied en l’air. J’ai eü, par la grâce de quels demi-dieux, cette force-là & je n’y avais jusqu’à ce jour-ci (ta question) jamais pensé !... Vois-tu cher Jean-Pascal, tout le bien que tu nous fées ?... 
 
 
J.-P.D.
 : La critique ou tes lecteurs auraient tendance à te considérer comme un poète lyrique ? L’opposition commune, et peut-être critiquable, lyrisme/formalisme a-t-elle un sens pour toi ? En quoi le lyrisme donnerait-il un sens à ton œuvre ? 
 
J.-P.K. : Bien sûr qu’avant tout j’ai publié en poësie (dès 1970, chez Guy Chambelland, avec une préface somptueuse & décisive de mon très cher Claude Vigée). Je ne dirai pas comme Bernard Noël dans un récent n° du Matricule des Anges, « suis-je vraiment poète ?... » (à 80 ans passés, plusieurs livres chez Gallimard)…. Oui, depuis 2000/2002 je ne suis plus que poëte & poësie (grâce à l’amitié si vive d’Olivier Larizza), je la respire (ma poësie, la poësie) 365 fois l’année, même la nuit & plusieurs fois par jour !.. Ce n’est ni obsession ni « addiction », mais manière de célébrer toute vie & tout mystère ; manière de danser avec ou sans Dieu ; manière de combattre mort & maladie & oubli,… manière de fraterniser, de vaincre les misères affectives,…. manière d’aimer un peu mieux mes pauvres glorieux contemporains !... Mon journal en prose (deux volumes parus) est à jamais interrompu (il reste quatre ou 5 volumes à publier) c’est-à-dire que ce journal continüe sous la forme plus mystérieuse & tellement plus gratifiante de mes milliers de poëmes !... 
À mes yeux il n’y a de poësie que lyrique…. La poësie épique, dramatique ou comique n’existant hélas plus guère ?... Lyrisme contre formalisme je ne connais (comprends) pas : Michel Deguy s’est-il déclaré formaliste ?.. Il ne peut y avoir poësie qu’à partir de l’émotion (Jean Breton publia un jour une anthologie Poètes de l’émotion). Si je comprends bien ta question il y aurait encore (à l’exemple de Mallarmé ou René Char) des poètes qui mettant sous le boisseau leur émotion travailleraient d’abord à partir dü formulé, de l’abstraction ?... Mais Mallarmé éprouvait de l’émotion, non ?... 
« L’azur !... l’azür !... l’azur !... l’azür !... » 

©Jean-Paul Klée, Poezibao & Jean-Pascal Dubost

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