Ambition revue à la baisse pour le Che ? Après l’Élysée, le Plateau, ou,
plus modestement, une présidence de commission au Sénat serait sa nouvelle cible.
Incertitudes dans les couloirs aux pas feutrés
Le match promet d’être serré entre le Président du Sénat sortant, Gérard Larcher (62 ans), et le candidat des sénateurs socialistes, Jean-Pierre Bel (59 ans et demi, même si l’incertitude est d’autant moins grande que le Président de la République
Nicolas Sarkozy aurait jeté l’éponge dès mardi 27 septembre 2011 matin : « On perdra dans la dignité la Présidence du Sénat. » afin de ne pas être accusé de tripatouillage ou de bidouillage.
Le PS avait d’ailleurs annoncé dès dix-neuf heures dimanche dernier sa majorité à grand renfort de leaders
pour qu’on ne lui vole pas sa victoire. Et l’arithmétique lui donne raison dans une comptabilité qui oublie toutefois allègrement les centristes (radicaux et démocrates-chrétiens) : le Sénat
compte désormais 177 sièges à gauche et 171 sièges à droite sur les 348 au total (majorité absolue à 175).
Récompense du passé ou projet d’avenir ?
Il y a deux conceptions : ou cette élection couronne une carrière, récompense un parcours brillant en
politique dans un cadre de retraite dorée, ou, au contraire, elle fait démarrer une carrière politique, elle lance un nouveau projet de rénovation pour le futur.
Les sénateurs, justement, dans leur grande sagesse et sans doute par un orgueil bienvenu, n’apprécient pas
beaucoup la première option. Ils ont ainsi régulièrement fait échouer la candidature de personnalités plutôt connues au niveau national et ayant eu un parcours ministériel brillant. Les
"cadavres" sont légions : Charles Pasqua, Jean-Pierre Raffarin etc. Même René
Monory, exception à la règle en 1992, a échoué à sa seconde réélection en 1998.
Les sénateurs préfèrent en effet hisser au Plateau des sénateurs de pure souche, émanant du Sénat,
sénatophiles et pas des collectionneurs d’honneurs et de médailles.
C’est dans cette perspective que l’ancienne ministre Catherine Tasca (69 ans et demi), première
vice-présidente du Sénat sortant, proche de Martine Aubry, a renoncé le 27 septembre 2011 à concourir au
sein du groupe socialiste : « par loyauté aux valeurs de la gauche et parce qu’aucune voix ne doit manquer pour la nouvelle
majorité ». Il était logique que le PS fût entièrement réuni derrière Jean-Pierre Bel, président sortant du groupe au Sénat et véritable artisan de la victoire de la gauche aux
sénatoriales, même s'il est un proche de François Hollande.
Et les centristes ?
L’Union centriste, groupe légendaire au Sénat qui a réussi, entre 2007 et 2011 le tour de force de garder en
son sein des sénateurs du Nouveau centre et des sénateurs du MoDem, a perdu quelques plumes le 25 septembre 2011 (passant de 29 à 27 membres) mais cherche, au contraire des velléités d’Hervé
Morin à créer un groupe spécifiquement Nouveau centre, à rassembler des radicaux valoisiens encore membres au Sénat du RDSE ou de l’UMP.
À égale distance de Jean-Louis Borloo et de François Bayrou, Jean Arthuis, qui voudrait être reconduit à la
présidence de la Commission des Finances au Sénat mais qui reconnaissait le 27 septembre 2011 que ses chances seraient minimes, souhaiterait qu’un sénateur centriste se présente également à
l’élection du Président du Sénat, ce qui réduirait encore les déjà faibles chances de Gérard Larcher.
Pourtant, un autre Jean-Pierre laisse entendre une troisième voie face au premier choc de la bipolarisation du Sénat. Il est vrai que c’est la première fois que le Sénat se retrouve aussi clairement
clivé en deux camps.
L’ambition cachée de Jean-Pierre Chevènement
Il s’agit de Jean-Pierre
Chevènement (72 ans et demi), ancien candidat à l’élection présidentielle en 2002 (il était déjà le "troisième homme" pendant cette campagne présidentielle mais il a échoué avec seulement
5,3% des suffrages), qui se tâte depuis juillet 2010 et plus fermement depuis le 4 mai 2011 pour être de nouveau candidat à l’élection présidentielle de 2012. Depuis près d’un an, il envisage
sérieusement de présider le Sénat.
Après son échec aux législatives de juin 2007 (après ses réélections successives depuis 1973), Jean-Pierre
Chevènement s’était réfugié au Sénat en septembre 2008 et pour ne pas siéger avec ses anciens camarades du Parti socialiste, il s’était inscrit à ce petit groupe charnière, le RDSE (l’ancienne
Gauche démocratique), qui regroupe les radicaux valoisiens et les radicaux de gauche de Jean-Michel
Baylet.
Propos qu’il a clarifiés ainsi : « Cela vaut pour la
gauche évidemment, et cela peut valoir pour la droite : on pourrait très bien faire au Sénat ce que la droite a fait pour Jérôme Cahuzac [député socialiste élu président de la Commission des
finances à l’Assemblée Nationale en remplacement de Didier Migaud]. ».
C’est évidemment un clin d’œil à Jean Arthuis pour qu’il conserve sa présidence de commission.
Et concernant sa propre candidature à la Présidence du Sénat, Jean-Pierre Chevènement s’est voulu
énigmatique : « Je reste fidèle à l’aphorisme d’Edgar Faure : ne jamais être candidat quand on ne vous le propose pas officiellement et ne
jamais dire qu’on ne sera jamais candidat. ».
Probablement que sa candidature pourrait ravir un certain nombre de sénateurs UMP, en particulier des
gaullistes séduits par son souverainisme, ainsi que des sénateurs centristes surpris par son positionnement au centre gauche (citant Edgar Faure !), qui pourraient être tentés de faire un
ultime tripatouillage contre les socialistes mais on peut imaginer que les sénateurs socialistes ne le suivront pas puisqu’ils ont unanimement investi le 27 septembre 2011 leur candidat
Jean-Pierre Bel et de nombreux socialistes considèrent qu’il est l’un des fauteurs du 21 avril 2002.
Un parcours très à gauche
Ce positionnement de centre gauche est d’ailleurs assez étonnant puisque, dans sa longue carrière
politique, Jean-Pierre Chevènement a toujours été à l’aile gauche du PS (au CÉRÈS notamment qu’il a fondé en janvier 1966) et on se souvient que c’est grâce à son concours que François Mitterrand
avait gagné le congrès de Metz en avril 1979. Cette même aile gauche qui a été ensuite occupée successivement
par Henri Emmanuelli, puis Jean-Luc Mélenchon, et maintenant par Arnaud Montebourg.
Jean-Pierre Chevènement a fait partie de tous les gouvernements de gauche depuis le début de la Ve
République, à savoir dans les trois législatures socialistes sous François Mitterrand (à l’Élysée) et sous
Lionel Jospin (à Matignon) en cumulant un peu plus de neuf années de hautes responsabilités
ministérielles : Ministre d’État, Ministre de la Recherche et de l’Industrie du 22 mai 1981 au 23 mars 1983, Ministre de l’Éducation nationale du 17 juillet 1984 au 20 mars 1986, Ministre de
la Défense du 12 mai 1988 au 29 janvier 1991 et enfin, Ministre de l’Intérieur (il aurait voulu être nommé à la Justice) du 4 juin 1997 au 29 août 2000. Ce qui a empêché un autre camarade et
rival de Belfort, Raymond Forni, de siéger dans ces gouvernements pour raison géographique.
Son indépendance politique avait mis d’ailleurs à rude épreuve son ancien parti puisqu’il a démissionné avec
éclat à trois reprises (en 1983 à cause de la rigueur économique, en 1991 à cause de la guerre du Golfe et en 2000 à cause du statut de la Corse) et qu’il a fini par créer le 1er mai
1993 son propre parti, le Mouvement républicain et citoyen (MRC, ex-Mouvement des citoyens), qui ne représente plus grand chose à la bourse électorale.
Une candidature de consensus
Aujourd’hui, Jean-Pierre Chevènement ne veut pas être lui-même candidat. Il attend qu’on vienne le chercher…
au risque d’être oublié. Il mise sur un premier tour difficile pour Jean-Pierre Bel où au moins quatre sénateurs de gauche (probablement des radicaux) hésiteraient à accorder leur confiance à un
homme certes estimable mais peu assez connu pour devenir le deuxième personnage de l’État, prêt à assurer l’intérim à l’Élysée comme Alain Poher en cas de vacance présidentielle.
Alors au deuxième tour, Jean-Pierre Chevènement pourrait être le candidat du consensus qui rassemblerait le
centre gauche et le centre droit au Sénat.
Dans le cas contraire, Jean-Pierre Chevènement se contenterait certainement de la présidence de la
prestigieuse Commission des Affaires étrangères du Sénat (dont il est un vice-président sortant).
Dans tous les cas, devenu homme incontournable au Sénat, son collègue Jean-Pierre Bel aura bénéficié des
divisions de la droite au-delà de ses espérances, exactement comme Bertrand Delanoë à Paris (en 2001),
Gérard Collomb à Lyon (en 2001) ou encore Michel Destot à Grenoble (en 1995).
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (28 septembre
2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Jean-Pierre Bel.
Gérard Larcher.
Jean-Pierre Raffarin.
Christian Poncelet.
René Monory.
Alain Poher.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/presidence-du-senat-quand-101527