« Contre le chômage, on a tout essayé » avait déclaré François Mitterrand. Il voulait dire par-là qu’il avait multiplié les relances keynésiennes, sans succès. Il avait tout essayé, certes. Sauf la liberté.
Par Jean-Yves Naudet
Publié en collaboration avec l’ALEPS(*)
On se souvient de la formule de François Mitterrand : « Contre le chômage, on a tout essayé ». Aujourd’hui notre classe politique, en dépit de ses gesticulations, en est au même point. Il y a une cause et une seule du chômage qui poursuit sa course folle : « C’est la faute à la crise. » La réalité est tout autre. Certes, la crise n’arrange pas la situation de l’emploi, mais l’emploi n’est pas seulement corrélé à la croissance. C’est un marché et un marché, fût-il celui du travail, a besoin de liberté. Et si l’on essayait la liberté ?
Entre 2,7 et 4,1 millions de chômeurs
Quelle est la situation de l’emploi ? Il faut d’abord savoir ce qu’on entend par « chômeur ». Or, les statisticiens ont plusieurs façons de le définir ; cela ne facilite pas les choses.
En France, la statistique la plus fréquente est celle de la catégorie A, personnes sans emploi, inscrites à l’ANPE, et n’ayant même pas travaillé une heure au cours du mois. Mais quelqu’un qui a travaillé quelques heures, voire même plus de la moitié du temps (catégories B et C) est tout autant chômeur à la fin du mois, même s’il a eu une activité réduite. Ainsi, pour le dernier chiffre connu (situation à fin juillet), il y a en France 2 756 500 demandeurs d’emplois (catégorie A) et 4 128 000 en tout (catégories A, B et C). Et cela sans inclure les chômeurs d’Outre-mer. Entre 2,7 et 4,1 millions, il y a de la marge.
Mais, en gardant la même définition, c’est l’évolution qui inquiète ces derniers mois : 36 100 chômeurs de plus (catégorie A) pour le seul mois de juillet et presque 90 000 de plus en trois mois : le chômage s’aggrave, c’est indiscutable. Il y a avait bien eu légère baisse du chômage en début d’année 2011 : elle est plus qu’effacée. Il y a deux sujets majeurs d’inquiétude : d’une part le chômage des jeunes continue à augmenter (en dépit des contrats aidés ou autres), mais aussi celui des seniors ; d’autre part la durée moyenne de chômage augmente, passant à 453 jours, en hausse de 60 jours en un an.
Cette situation n’est pas propre à la France. L’OCDE, dans un communiqué du 13 septembre, annonce pour juillet 2011 un taux de chômage moyen de 8,2%. Il était encore de 6,1% en 2008 ; mais il y a un léger mieux par rapport à 2010 où il était monté à 8,6%. Il faut nuancer suivant les pays. En juillet 2011, le taux de chômage est de 7,8% pour le G7 (moins que l’ensemble de l’OCDE) en raison du taux du Japon (4,7%) ou de l’Allemagne (6,1%). Cela devrait donner à réfléchir. En revanche, il est de 9,5% dans l’Union européenne (à 27) et même de 10% dans la zone euro (à 17). La France est juste dans la moyenne de la zone euro (9,9%), mais la situation s’y dégrade, alors qu’elle reste stable dans la zone euro. Notons qu’en dehors des pays déjà cités, certains s’en sortent bien : 3,7% en Autriche, 4,3% aux Pays-Bas, 3,3% en Corée du sud, 6,5% en Nouvelle-Zélande. Les USA enfin sont à 9,1%.
Malthusianisme et keynésianisme
Pour chercher un remède il faut trouver le mal. Écartons une piste suggérée par certains de nos ministres. Le Figaro-économie explique que « le gouvernement relève la très forte progression de la population active » pour expliquer cette dégradation. Trop de personnes voudraient travailler, elles seraient donc nombreuses à chercher un emploi, d’où la hausse du chômage. C’est la vieille lune malthusienne : il n’y a pas assez de place pour tout le monde, l’emploi est un gâteau fixe qu’il faut se partager. C’est absurde. Les pays à démographie ou immigration dynamique (de gens cherchant véritablement un travail) sont en général les pays qui ont le moins de chômeurs. L’emploi n’est pas une donnée a priori qui tombe avec un chiffre précis du ciel.
La seconde explication est plus sérieuse : c’est la crise. Il y a une part de vérité, surtout dans les pays où le marché du travail est rigide. Cela semble logique : moins de croissance, c’est moins de production, moins de production, c’est moins d’emplois.
La réalité est plus complexe. En effet, il n’y a pas, contrairement à l’idée répandue chez les keynésiens, de lien « mécanique » entre niveau de production et emploi. Le travail n’est pas le seul facteur de production ; on peut remplacer du travail par du capital ou inversement. Ce qui se produit souvent, c’est qu’en période de récession, le salaire, sous la pression des syndicats, ou des réglementations, ne diminue pas et ne joue pas son rôle d’ajustement par les prix (le salaire est le prix du travail). Au contraire, on peut très bien imaginer qu’en produisant moins, l’emploi ne diminue pas si le coût salarial diminue.
Mais surtout cette idée suivant laquelle le niveau d’emploi ne dépendrait que du niveau de production aboutit à une erreur que nous n’avons cessé de dénoncer : pour créer de l’emploi, il suffirait de relancer l’économie, donc la croissance, et cette relance passerait par les politiques d’augmentation des dépenses publiques et de déficit budgétaire. Jamais la relance keynésienne n’a relancé la croissance et, en toute hypothèse, encore moins l’emploi. Quand François Mitterrand, ou ses successeurs disent « on a tout essayé », ils veulent dire : on a pratiqué relance sur relance. Mais il y a derrière une double erreur d’analyse (et sur le lien emploi/croissance et sur l’efficacité d’une politique de relance).
Le marché du travail… est un marché
Il reste bien entendu que la création d’emplois est plus facile quand l’économie est dynamique que lorsqu’elle stagne. Or l’erreur principale des politiques de l’emploi (qui sont en fait souvent des politiques de « traitement social du chômage ») consiste à vouloir camoufler le chômage en transformant les chômeurs en stagiaires, emplois aidés, ou encore – mais c’est passé de mode – en préretraités. Pourquoi ? Parce que l’on cherche à diminuer artificiellement le chômage sans aller au fond du problème, qui est celui du marché du travail. Qu’on le veuille ou non, c’est un marché, avec une offre, une demande et un prix.
Le prix est toujours l’élément régulateur d’un marché. Ici, le prix du travail, c’est le salaire. Il doit donc être libre, un vrai prix. En ce sens, et l’OCDE l’a souvent montré, tout blocage du prix, par exemple par un salaire minimum rigide, crée du chômage. Certes, cela garantit théoriquement un revenu plus élevé au salarié, mais à ce prix-là, beaucoup ne trouvent pas d’emplois. D’où l’explosion du chômage pour les catégories les moins productives : le SMIC n’est pas un facteur « social », c’est un facteur d’exclusion du marché du travail. Ce qui compte, c’est que le prix du travail lui-même, pour l’entreprise, soit un vrai prix.
Ce prix doit donc être flexible, et pas seulement pour le salaire minimum ; les rigidités des salaires (accentuées par les syndicats, les conventions collectives trop contraignantes) empêchent de s’adapter à la conjoncture. Et ce n’est pas un hasard si le chômage est plus faible au Japon, pays où une part du salaire est flexible. En outre il y a un gouffre, qui accentue les dysfonctionnements du marché du travail, entre le salaire net que perçoit le salarié et le coût salarial payé par l’employeur. Le salaire complet, dont nous avons déjà parlé à partir des statistiques d’Axel Arnoux, montre cet écart : un ouvrier qui touche net 1228 euros par mois coûte à son employeur 2305 euros ! Le patron peut dire : « c’est trop cher pour que j’embauche » et le salarié se plaindre de ne toucher « que » 1228. Il devrait toucher en réalité 2305, puis assurer sa protection sociale. Enfin, si les indemnités de chômage rapportent plus qu’un salaire net, pourquoi travailler ? La faiblesse du chômage en Allemagne s’explique en partie par les réformes courageuses dans ce domaine (troisième loi Hartz).
Essayer la liberté
La loi de l’offre et de la demande joue sur le marché du travail. L’offre émane du salarié (qui demande un emploi). Ici, la mobilité et la formation sont la clef de tout. Faire des études dans des domaines sans débouché, alors qu’on manque d’artisans par exemple, est la voie la plus sûre vers le chômage. Par contraste, la formation par alternance en Allemagne diminue le chômage des jeunes. Tout ce qui réduit la mobilité des salariés est également facteur de chômage. En France on assimile la mobilité à la « précarité » ; vive l’emploi à vie !
La demande de travail (l’offre d’emploi) émane de l’entreprise. Elle est la seule à créer des emplois marchands, rémunérés par des ventes. Le reste (à commencer par l’administration) fonctionne par transferts et la création d’emplois publics (ce que l’on voit) est compensée par la perte d’emplois privés à cause des impôts (ce que l’on ne voit pas). Seules les entreprises libres suscitent une création nette d’emplois. Par conséquent, il faut les libérer des carcans fiscaux, sociaux, administratifs, réglementaires qui les paralysent.
Chômage ? Non, on n’a pas tout essayé : on a « oublié » d’essayer la liberté.
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Sur le web.
(*) L’ALEPS, présidée par le Professeur Jacques Garello, est l’Association pour la Liberté Économique et le progrès social, fondée il y a quarante ans, sous l’autorité de Jacques Rueff, dans la tradition intellectuelle française de Jean Baptiste Say et Frédéric Bastiat.