Il est de bon ton, dans certains médias bien pensant, d'assimiler le candidat du Front de gauche à celle du Front National. Ne nous y trompons pas, l'objectif n'est pas de rejeter les deux, mais de discréditer le premier est donner de la crédibilité à la seconde.
En effet, dans le même temps se produisent deux mouvements significatifs. Le premier est d'essayer de montrer qu'avec Mme Le Pen, l'extrême-droite française aurait changé, qu'elle serait devenue fréquentable, voire compatible avec les idéaux républicains. De fait, Mme Le Pen depuis un an est invitée sur tous les plateaux et bénéficie de la part des journalistes d'une certaine bienveillance, voire sympathie. Le second consiste à faire passer Mr Mélenchon pour un dangereux populiste incapable de contrôler ses nerfs et dont l'obsession serait de se faire le journaliste qu'il a en face de lui, permettant ainsi d'occulter son discours. La séquence récente, filmée à son insu et diffusée largement, où on le voit s'en prendre à un militant communiste participe à cette tentative de décrédibilisation, alors qu'il s'agit ni plus ni moins d'une séquence normale liée à la tension qui précéde les meetings et les grands discours.
Pour comprendre cette différence d'attitude des médias et des élites en général, il convient de revenir sur le contenu du discours de ces deux candidats déclarés à la présidentielle.
Certes, Mme Le Pen a quelque peu modifié son propos en comparaison de celui de son père. Elle parle désormais de valeurs républicaines, de services publics et s'adresse aux classes populaires. Des notions dont Jean-Marie Le Pen n'avait cure et qui permettent à certains de croire que le FN est désormais compatible avec la démocratie. Pour autant, le fond du discours est le même. L'insécurité reste le fond de commerce privilégié, l'immigré sert toujours de bouc-émissaire avec cette fois-ci un soupçon d'islamophobie qui correspond à l'air du temps.
Le fond nauséabond est toujours là, et les légères modifications du discours ne suffisent pas à comprendre l'attitude complaisante des médias. A mon sens, c'est plus pervers que cela. Il s'agit d'un réflexe de survie du système et de ses partisans. Je m'explique. Même si Mme le Pen séduit une part importante de l'électorat, la bipolarisation de la vie politique française et le système électoral à deux tours rendent quasiment impossible son accession au pouvoir. Elle est donc nuisible, mais pas dangereuse. Du coup, la stigmatisation des immigrés, désignés comme coupables de tout, l'obsession sécuritaire qui serait le problème majeur, permettent de détourner l'attention des vrais responsables de la crise, et donc laissent tout loisir à ces derniers de continuer leur travail de destruction de tout ce qui fait lien et sens dans notre société.
Ce n'est pas un hasard, alors que Nicolas Sarkozy semble définitivement discrédité, si Mr Strauss-Kahn puis Mr Hollande ont eu la faveur des médias (bien qu'étant supposément de gauche, ils sont tous deux libéralo-compatibles), dans le temps même où Mme Le Pen bénéficiait elle aussi d'une exposition extraordinaire. Elle est utile au système puisqu'elle lui permet de continuer à exister.
Il en va tout autrement de Jean-Luc Mélenchon. Certes, il est régulièrement l'invité des médias. C'est parce qu'il s'agit d'un bon client qui fait beaucoup d'audience. Mais l'attitude à son égard est bien plus agressive. Pour s'en rendre compte, il suffit de voir l'attitude vindicative voire haineuse de mesdames Polony et Pulvar à son égard dans l'émission de Laurent Ruquier. Ses petites phrases, ses colères, les dissensions au sein du Front de gauche, rien ne lui est épargné.
A cela, une raison essentielle. Si comme Mme Le Pen, il espère lui aussi bénéficier de la crise pour prospérer politiquement, il ne désigne pas de faux coupables. Mr Mélenchon (et le Front de gauche, il n'est pas seul) désigne les vrais coupables, ceux qui sont responsables de la crise et nous la font payer. A savoir, les banquiers, les grandes entreprises, et les politiques qui refusent de prendre leurs responsabilité.
En cela, Mr Mélenchon est dangereux. Parce que son discours participe d'une prise de conscience de la population sur la façon dont elle est gouvernée et exploitée, mais aussi parce qu'il renoue avec ce qui faisait la force du parti communiste d'après-guerre, c'est à dire un vrai discours ancré dans la réalité des problèmes des Français, mais aussi où l'espoir et l'utopie d'un changement possible et probable sont présents. Chacun sait que si la gauche du PS se remet à bouger électoralement, cela aura des conséquences en termes de mouvements sociaux et de revendications. Jean-Luc Mélenchon est donc dangereux, il convient donc de le discréditer.