MARROCA
(d'après Maupassant)
À Beni-Saf, j’allais en bord de mer.
Elle était calme. Aucun embrun.
Derrière un rocher brun,
Une grande fille nue, solitaire.
Se baignait et sautillait gaiement.
Le tableau était étonnant.
Cette femme dans l’eau transparente
Sous une lumière aveuglante
Tourna la tête vers moi, me vit,
Poussa un cri
Et moitié nageant
Moitié marchant
Alla se cacher
Derrière le rocher.
Comme il fallait bien qu’elle en sortit,
Je m’assis et attendis.
-Partez, allez-vous-en !
Je ne bougeais pas.
-Ce n’est pas bien de rester là.
Au bout d’un moment,
Tout doucement,
Elle montrait sa tête par instants.
Elle avait des lèvres retroussées
Et de grands yeux foncés.
Je me levai
Et m’en allai.
Le lendemain à la même heure,
Je revenais, et pour mon bonheur
Je la vis nue prendre son bain
Huit jours après, elle devint
Mon amie. Huit jours de plus
Et on ne se séparait plus.
Elle s’appelait Marroca
Et avait épousé un français,
Employé de l’État.
Je ne sais quelles fonctions il remplissait.
Elle venait faire ses siestes chez moi.
Quelles siestes, ma foi !
Jamais dans ses flancs
Femme ne porta autant
D’inapaisables désirs.
Que d’ardeurs, d’étreintes, de soupirs…
Un jour au réveil, elle me dit :
-Viens dormir chez moi.
-Comment chez toi ?
-Oui, quand mon mari sera parti,
Tu viendras dormir à sa place.
-Pourquoi ça, petite bécasse ?
-C’est pour me faire un souvenir
Lorsque tu seras parti.
En embrassant mon mari
Ou s’il vient contre moi se blottir,
Il me semblera que se sera toi.
-Mais …, je préfère te voir chez moi.
Je n’ai en effet aucun goût
Pour les rendez-vous
Sous un toit conjugal.
Ce sont des souricières
Où est toujours pris le rival.
Mon attitude lui parut si singulière
Qu’elle me pria, me supplia, pleura :
-Tu verras comme on s’aimera !
Puis je compris.
Elle voulait se venger de son mari,
Le tromper chez lui, dans ses draps.
-Ton mari n’est pas gentil ?
-Oh ! Si…si…
-Mais tu ne l’aimes pas ?
-Si, mais pas autant que toi.
Tu viendras chez moi,
Dis ?
-Non. Un peu fâchée, elle partit.
Trois jours plus tard, elle reparut
Et m’appela de la rue :
-Viendras-tu ce soir chez moi ?
Deux-heures après,
Dans sa chambre on pénétrait.
Marrocca semblait folle de joie :
-Te voilà chez nous ; te voilà chez toi !
J’aurais dû agir comme chez moi en effet
J’étais gêné, à l’évidence.
Alors, elle déboutonna mes effets.
Je repris enfin mon assurance
Et lui prouvais…
Quand la sonnette d’entrée fut activée.
Une forte voix d’homme cria :
-C’est moi, Marroca !
-Mon mari !
Vite, cache-toi sous le lit.
Je cherchais mon pantalon
Mais elle me poussait : -Va donc !
Je me glissai comme un vaurien
Sous le lit sur lequel j’étais si bien.
Marrocca posa un objet quelque part
Avant d’aller ouvrir au lascar.
-J’ai oublié mes clés et mon porte-monnaie.
Un baiser à sa femme, et il repartait.
J’étais sauvé.
Je sortis de ma retraite un peu énervé
Tandis que Marroca riait et dansait.
Je m’asseyais,
Et me relevais d’un bond.
Une chose froide gisait sous mon fond.
Comme je n’étais pas
Plus vêtu que Marroca,
Ce contact froid
Me saisit.
Je m’étais assis
Sur une hache à fendre le bois.
-Et si ton mari m’avait vu ?
-Pas de danger, penses-tu !
-Comment ! il lui suffisait
Pour me trouver de se baisser.
-Il ne se serait pas baissé.
-S’il avait fait tomber son chapeau,
Il l’aurait bien ramassé…
-Il ne se serait pas relevé de si tôt.
Avec malice, elle cligna de l’œil,
Me montra la hache posée sur le fauteuil
Et mima le geste qui l’aurait décapité.
Voilà comment, pif-paf,
On comprend l’hospitalité
À Beni-Saf !
L’infidélité est comme la mort, elle n’admet pas de nuances.
Mme de Girardin