Les Etats-Unis exigent du Pakistan qu’il agisse contre le réseau du chef insurgé afghan Jalaluddin Haqqani. Mais selon un quotidien pakistanais, l’état-major de l’armée a décidé de résister aux pressions américaines.
Paru dans la Libre Belgique le 28 septembre.
Nouveau coup de froid dans les relations américano-pakistanaises. L’assassinat de Ben Laden par un commando des Navy Seals avait déjà provoqué des tensions diplomatiques en mai. Les attaques de Kaboul ont aggravé le contentieux. Le 13 septembre, durant 20 heures, les talibans afghans ont attaqué des bâtiments officiels ainsi que l’ambassade américaine et le quartier général de l’Isaf, au cœur de la capitale afghane.
Lors d’une audition devant le Sénat américain jeudi dernier, le chef d’état-major inter-armées, l’amiral Michael Mullen, a rendu l’ISI, l’agence de renseignement militaire pakistanaise, responsable : « Le réseau Haqqani [accusé d’avoir orchestré les attentats] agit comme le véritable bras de l’ISI », a t-il déclaré. Jamais un haut responsable américain n’avait soulevé des accusations aussi graves en public. Jalaluddin Haqqani est un des principaux commandants insurgés. Il entretient des liens avec Hafiz Gul Bahadur, un chef de tribu pakistanais proche de l’armée. C’est notamment lui qui offre aux combattants de Haqqani un refuge sur son territoire du Nord-Waziristan, une région semi-autonome proche de la frontière afghane.
Depuis quelques années, l’administration américaine insiste auprès du général Kayani, le chef de l’armée pakistanaise, pour qu’il lance une opération au Nord-Waziristan. Kayani s’y est toujours opposé. Le réseau Haqqani est un allié du Pakistan. Les militaires redoutent de voir l’Inde, son ennemi numéro 1, accroître son influence en Afghanistan et en Asie centrale. Alors que l’Otan commence à retirer ses troupes, les généraux pakistanais ne veulent pas perdre un allié politique. Ils considèrent l’Afghanistan comme stratégique. L’Asie centrale, en particulier le Kazakhstan, le Turkménistan et l’Ouzbékistan, possèdent d’importantes réserves de gaz et de pétrole. Mais ces pays sont enclavés. Le Pakistan veut avoir suffisamment d’influence auprès de Kaboul pour être en position de signer des contrats portant sur la construction de pipelines qui, partant d’Asie centrale, traverseraient l’Afghanistan jusqu’au Pakistan.
Le pays deviendrait alors une voie de transit entre l’Asie centrale d’une part, le Golfe persique et l’Inde d’autre part. En 2002, avec le soutien de la Chine, le Pakistan a lancé la construction du port en eaux profondes de Gwadar. Situé au bord de la mer d’Oman, dans le Sud du pays, Gwadar a vocation à devenir un complexe portuaire doté d’un aéroport, d’un terminal pétrolier, d’une raffinerie Reste que la politique afghane du Pakistan risque de lui aliéner les Etats-Unis qui ont accordé 8 milliards de dollars d’aide civile et militaire depuis trois ans. En juin, l’administration Obama a gelé 800 millions de dollars de crédit. Mais les militaires ne se laissent pas impressionner. « Ils ont besoin de nous pour lutter contre le terrorisme« , assure un membre de l’ISI. Il y a encore un an, le général Athar Abbas, le porte-parole de l’armée, indiquait qu’il n’était pas question de « cibler des groupes qui ne constituent pas une menace pour notre sécurité« .
Pour Simbal Khan, spécialiste de l’Afghanistan à l’Institute of Strategic Studies d’Islamabad, le nœud du problème est là : « Le réseau Haqqani est en contact avec de multiples groupes de combattants afghans et pakistanais. Si l’armée décidait d’attaquer Haqqani, tous ces groupes se retourneraient contre le Pakistan. Cela déclencherait une guerre dans le Nord-Ouest du pays. Ce qui est en jeu ici, c’est la sécurité intérieure du Pakistan dans toute sa région frontalière avec l’Afghanistan.«
Les liens entre l’ISI et le réseau Haqqani sont connus depuis longtemps. Dès le début de la guerre en 2001, les talibans afghans trouvent refuge au Pakistan, en particulier dans la province occidentale du Balouchistan, au vu et au su des militaires occidentaux présents sur le terrain. Encore aujourd’hui, des insurgés afghans résident à Quetta, la capitale du Baloutchistan. Les plaintes américaines se succèdent.
En vain. Lundi, le quotidien pakistanais « The Express Tribune » indiquait que l’état-major avait décidé, lors d’une réunion à huis clos dimanche, de résister aux pressions américaines quant à une opération au Nord-Waziristan.
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