Sydney Valette, ce n’est pas un seul mec. Impossible. C’est un genre de supergroupe, mais en bien. Genre Daniel Darc, période « Paris c’est de la merde » au chant, Prison Food Sucks aux claviers et aux noises, le tout produit chez Jean-Louis Costes. Improbable Oui. Donc c’est bien une seule et même personne. Ou un robot. On se pose la question, parce que son album est vraiment novateur. Il mêle un groove puissant, langoureux, des explosions Game Boy Color et du spoken word nonchalant hanté par le manque de sérotonine d’un lendemain de soirée difficile. Qui plus est, l’usage du français dans cette musique électronique dansante est réjouissante.
Ça commence dans l’appartement d’un clubber endormi. On assiste au réveil difficile de celui-ci qui, les rythmes de la veille encore résonants, comprend que, quoi qu’il fasse, sa journée sera merdique. Cette Frustration Oniriquedonne le ton de l’album : la pâteuse. C’est là le propos de ce CD. Pas la vraie grosse dépression, mais ce mélange de flemme, de fatigue et de crasse qui ne donne vraiment pas envie de se bouger, qui nous engage à rester larver toute la journée après une nuit trop intense. Dimanche est, à ce jour, la meilleure description de cet état unique, ponctuée de phrases qui sonnent vrai. Alors, certes, c’est pas la nouvelle grosse plume française, mais c’est très suffisant pour que le chant soit plus qu’une simple piste en plus, qu’on y fasse attention, qu’on s’y reconnaisse. On s’attristera seulement du fait que l’artiste n’assume pas son rôle de chanteur, qu’il masque sous des filtres salissant à la sauce Costes.
L’album se poursuit, avec Paradise et surtout Tiger Jogging. On rejoint notre clubber après une bonne douche, qui se décide à aller évacuer toutes les toxines de son corps. Le morceau est très expressif : la respiration tabagique samplée sur l’attaque hydrocanon dans Pokémon Rouge (ou quelque chose du genre), la douleur d’un beat vraiment crade, des synthés agressifs, suraigus : on en chie avec lui, mais nous, on se déhanche devant nos enceintes.
Vient le temps de la régression, avec Peurs Viscérales, puis carrément de la candeur avec Ballade Joyeuse. On sent qu’il est dans le déni : sa journée n’est pas ratée, il n’avait rien d’autre à faire que de jouer à Zelda, en attendant d’aller à l’école le lendemain. Pendant cet interlude sauce Peter Pan, la musique est plus toy. Les synthés ont l’air d’avoir été passés dans un genre de micro jouet, comme celui avec lequel Babet chante Justice. Mais, malgré tout ça, on n’oublie jamais ce gros beat qui tabasse, quoi qu’on aurait pu imaginer là une réelle ode à l’enfance, plus douce, avec tous ces sons, ces petites mélodies…
Dans My Bike, climax des enfantillages : il délire comme tout enfant sur son vélo, qui est d’ailleurs, au choix, une grosse moto Power Ranger ou une fusée intergalactique. Et ça le fait bien kiffer. Les grosses basses jouissives Miami Vice style font bien plaisir. Il se sent clairement le maître du monde. Mais le grand enfant fatigue : voici l’heure d’une sieste complémentaire à sa courte nuit. Une Libération Spirituelle aux réverb’ kitsch et à une douceur devenue inhabituelle dans cet album. Dans son rêve, il se voit habillé en Klaus Nomi, et nous tente un Tiger or Tiger presque martial, comme un héros mécanisé de comics. Manquerait plus que de l’allemand et on aurait qualifié le morceaux de « New Krautrock».
Retour au français avec son Mode de Vie qui fait revenir illico la référence aux dandys parisiens des années 80. Cette voix est vraiment pénétrante, le morceau est à se tirer une balle: Le danseur sort de son délire infantilisant, il se rend compte de ce qu’il est – un cadavre – tourne en rond dans son salon, à peine réveillé, perdu. L’album se conclue sur cette prise de conscience et nous offre un super retour 8bits à la réalité, Variation Allchimiquepermettant finalement de revenir dans sa vraie vie à soi.
Ce disque est profondément touchant. Il est fort d’être suffisamment crade pour être dur à écouter en boucle sans devenir dingue, tout en étant pourvu de textes et de mélodies marquées d’une grande douceur triste. La candeur de certaines phrases répétées (« Aujourd’hui c’est dimanche ») est d’une tendresse adorable. Malgré tout, on ne s’attardera réellement que sur les morceaux en français, pour cette façon de poser le texte, pour la densité qu’ils amènent aux tracks. Les deux titres les plus forts seraient donc, à notre sens, Dimanche et Mode de Vie, parce qu’il y a vraiment quelque chose de transcendant dans ces chansons. Ça nous surpasse et donne une nouvelle lecture à nos fins de week-end difficiles. Une vraie bonne découverte que ces 11 titres qu’on aurait nommés par quatre mots de l’avant dernière chanson : « Le brouillard de janvier ».
On l’ose : vivement dimanche !
Tracklist
Sydney Valette – Plutôt Mourir que Crever (deBonton, 2011)
1. Frustration Onirique
2. Dimanche
3. Paradise
4. Tiger Jogging
5. Peurs Viscérales
6. Ballade Joyeuse
7. My Bike
8. Libération Spirituelle
9. Tiger Or Tiger
10. Mode de Vie
11. Variations Allchimique
Audio
Vidéo