- Graoulliennes, Graoulliens, amical bonjour de la pointe Bretagne !
- Bonjour, monsieur Blequin ! Alors, comment ça va, avec ce beau temps ?
- Ben justement, madame Kervella, ça ne va pas si bien que ça…
- Bah ? Vous n’aimez pas le soleil ?
- Si, mais pas en cette saison ! Vous comprenez, il est déjà bas dans le ciel, et du coup, il me tape sur les nerfs plutôt qu’autre chose ! En plus, tout ce que j’ai du mal à supporter pendant l’été joue les prolongations : les gosses qui braillent dans les rues, les crétins qui roulent fenêtres grandes ouvertes pour faire profiter les passants non consentants de la musique « boum-boum » ou « ouech-ouech » qu’ils passent à fond la caisse sur leurs autoradios, les jeunes qui sourient jusqu’aux oreilles et font de la moindre conversation avec leurs potes un concert public de « j’le crois pas » et de « trop chanmé », le tout accompagné de l’exposition permanente des membres supérieurs et inférieurs disgracieux dépassant des oripeaux bariolés à manches courtes qui peuvent se permettre d’attendre encore avant d’être remisés au fond du placard… Moi qui aime tant, quand arrive l’automne, pouvoir marcher dans la rue emmitouflé dans un pull confortable, sentir le souffle profond de l’océan sans être perturbé par le spectacle de mes semblables que la fraîcheur invite à ne pas s’attarder hors de leurs clapiers ; là, le soleil lâche la bride à leur exhibitionnisme et leur fait perdre tout pudeur ! Et dans le bus, c’est encore pire, puisque la représentation de leur spectacle s’y fait en odorama, si vous voyez ce que je veux dire…
- Faites attention, monsieur Blequin, vous devenez méprisant, là !
- Je sais, madame Kervella, mais comme tous les artistes, je suis un peu égoïste ; ça m’arrange qu’il fasse frais, couvert et pluvieux puisque je peux alors me claquemurer dans ma mansarde et m’isoler suffisamment pour pouvoir me consacrer entièrement sur mon ouvrage ; or, présentement, il fait trop chaud pour que je puisse fermer la fenêtre, ce qui laisse entrer dans mon atelier tous les bruits du dehors, y compris tous ceux que font les jardiniers d’occasion en tondant leur pelouse mesquine ou en taillant leur haie de déshonneur. J’ai vraiment besoin de m’isoler du monde extérieur, pour pouvoir créer ! Notez, ce n’est pas encore ça qui est le plus grave…
- Ah, quand même ! Et c’est quoi, le plus grave ?
- Le plus grave, madame, c’est que s’il f ait 26 degrés à Brest un 27 septembre, c’est bien la preuve, n’en déplaise à Claude Allègre, qu’il y a un vrai problème de réchauffement climatique ! Les glaces des pôles fondent, les spécialistes annoncent la fin de la banquise pour 2016, les ours polaires sont menacés d’extinction, les modes de vie des habitants de ses régions sont déjà perturbés, le niveau des mers monte et le désert avance, menaçant les cultures, même les paysans de nos contrées commencent à avoir des problèmes sérieux… Bref, ce cataclysme en cours d’avènement, nous avons la preuve tangible de sa réalité sous les yeux, et au lieu de paniquer et d’agir pour limiter la casse, on se chante « Ami, le soleil brille, brille, brille ! » et, dans la foulée, on aggrave la situation en allant en voiture à la plage, histoire d’émettre encore plus de CO²… Comme disait l’autre, « la maison brûle et on regarde ailleurs ! » Là où vous pensez apéros en terrasse et bronettes, je pense effet de serre et crise alimentaire ! Les gens sont si inconséquents et frivoles face à la catastrophe qui nous menace que je me sens seul au monde avec mes inquiétudes. Comment voulez-vous, madame Kervella, que l’été indien me donne le sourire, dans ces conditions ?
- Hum ! Finalement, vous n’êtes pas aussi égoïste que je le pensais, monsieur Blequin ! En revanche, vous êtes un peu paniquard…
- C’est possible, mais j’aimerais quand même savoir si ceux qui profitent du soleil aujourd’hui souriront toujours quand leur maison sera engloutie par les mers dont le niveau aura exponentiellement monté…
- Toujours aussi pessimiste ! Mais je sais pourquoi vous dites ça : vous n’aimez pas le soleil d’automne, et comme la plupart des gens sont contents alors que vous ne l’êtes pas, l’impression d’être ostracisé vous agace ! En plus, si le soleil vous énerve, ça n’arrange pas les choses… Allez prendre un bain de mer ! Même par ce temps, ici, l’eau reste fraîche, ça vous calmera !
- Je vous promets d’y penser, madame Kervella… Allez, kenavo !