Magazine Culture
Antoine Kingué est Snow. Rien que sur ce surnom on pourrait disserter sur les questions identitaires qu'il soulève. Ce jeune homme est d'ascendance subsaharéenne pour reprendre la formulation de l'écrivaine Léonora Miano. Il est né en France. Il côtoie le milieu de la mode et du show-business, il fait attention à son image, use de tous les stratagèmes possible pour paraître à son avantage. Si avec sa coiffure peroxydée, sa stature svelte, Snow est un personnage qui attire le regard, il cache très bien les zones d'ombre de sa vie personnelle.
En toute circonstance, Snow ne laisse rien paraître de ses sentiments les plus profonds, du sadisme, de la rage et de la haine qu'il nourrit à l'égard de sa mère et qu'il réduit à l'état de mendicité. Il couvre avec maestria ses activités louches consistant à racketter des sans-papiers travaillant sous son identité, dont son propre frère aîné, Maxime. Léonora Miano développe la violence sourde qui motive les actions manipulatrices de Snow, elle met en scène son rapport à l'autre complètement biaisé par sa propre histoire, son rapport contrarié à l'Afrique, une incompréhension des choix affectifs de sa mère, du rejet de son beau-père blanc, baroudeur ou mercenaire qui a usé de sa mère comme d'une propriété un poil exotique à exhiber.
De fil en aiguille, la romancière pose la trame d'une saga familiale entre la France et le Mboasu, ce pays d'Afrique centrale d'où vient la mère de Snow et Maxime. Léonora Miano arrive admirablement à définir les rapports entre quatre générations pour remonter à la source du mal, de la malédiction.
Le texte est équilibré avec des rebondissements, des situations que l'on a dû mal à comprendre parfois, les éternelles attentes de l'amour et le positionnement sur la question de l'identité. En cela, cette écrivaine reste fidèle à sa réflexion sur le rapport à l'Afrique des différents migrants venus de gré ou de force en Occident.
La structure de ce roman n'est pas linéaire. Elle renforce la complexité de ce texte. Elle permet de cerner d'appréhender les personnalités de Snow, de Maxime, de Thamar (la mère) ou de Modi, la grand-mère débonnaire. Non-dits, malédiction, haine, amour, ces âmes chagrines ont besoin d'être restaurées. Comment? Lisez le bouquin.
Si le personnage froid, implacable de Snow que l'on suit avec attention dans les méandres de ses calculs mesquins, occupe une place centrale, les autres figures sont tout aussi denses, nuancées et tandis que celles portées par une forme d'angélisme béat et d'un désintérêt exceptionnel se voient rattraper par des années de contenance.
Comme d'habitude, j'ai pris du plaisir à lire ce nouveau roman de Léonora Miano qui éclairera beaucoup sur l'écartèlement de certains français noirs confrontés à des questions identitaires, traumatisés par une Afrique mal expliquée et plus perçue comme un lieu de pénitence qu'autre chose.
Bonne lecture,
Léonora Miano, Ces âmes chagrinesEditions Plon, 1ère parution en 2011, 281 pages
Vous pouvez également lire les chroniques de Bric à book, Lecturissime, Senego ou encore la critique de Christian Eboulé sur Cultures Sud.
Léonora Miano présente "Ces âmes chagrines" par blogsdeplon