Le Paradis sur terre

Publié le 27 septembre 2011 par Gjouin @GilbertJouin

Théâtre Edouard VII
10, place Edouard VII
75009 Paris
Tel : 01 47 42 59 92
Métro : Opéra / Madeleine / Auber
Une pièce de Tennessee Williams
Adaptée par Jean-Michel Déprats
Mise en scène par Bernard Murat
Décors de Nicolas Sire
Avec Johnny Hallyday, Audrey Dana, Julien Cottereau
L’histoire : Mississippi, années 60. Le cyclone menace. Dans une ferme du delta, deux demi-frères s’’affrontent. Ils se disputent la maison… et la femme. Tout autour, les eaux montent…
Mon avis : Avant d’aborder la prestation des comédiens proprement dite, parlons de la scénographie très originale qui sert de générique. On est au cinéma… Un homme, grand et brun, rentre chez lui à pied. En route, il croise un couple de fermier à bord d’une camionnette. Ils fuient le delta parce que l’inondation menace. Lui, il n’en a cure. Ce ne sera pas la première fois qu’il fera face aux éléments. Il tient à sa maison, pas question pour lui de l’abandonner, c’est son seul bien… Il pénètre chez lui. Et le film s’efface pour laisser place au théâtre…
Un jeune couple fraîchement marié – elle porte encore sa robe de cérémonie – entre à son tour dans un salon qu’en gloussant elle trouve très « raffiné ». Son compagnon ne semble pas partager son enthousiasme. Le garçon s’affale dans un canapé, apparemment épuisé. Il subit avec une totale indifférence l’extrême exaltation de sa jeune épouse. Elle, amoureuse et débordante de sensualité, cherche à le provoquer, à l’exciter. Mais il reste de marbre. Jusqu’à ce qu’un bruit parvienne de la cuisine interrompe le babil et les câlins de la jeune femme…
Et là, il faut parler du décor. Le salon pivote sur lui-même pour faire place à la cuisine. C’est aussi ingénieux qu’efficace. Car ces deux pièces, surmontées d’une chambre à coucher en mezzanine, vont aussi avoir leur rôle à jouer…
Le Paradis sur terre va voir s’affronter trois personnages totalement dissemblables dans un huis-clos violent et étouffant. Plusieurs menaces pèsent sur leurs têtes : l’inondation bien sûr, imminente, et la mort, car Loth, le jeune marié, est miné par la tuberculose. Il y a donc un sentiment d’urgence. Tiraillée entre les deux hommes, comment la jeune femme va-t-elle s’en sortir ?
Venons-en maintenant à ce qui fait que cette pièce bénéficie d’une attraction toute particulière : la présence de Johnny Hallyday pour la première fois sur les planches d’un théâtre… Et bien sans complaisance aucune, il tire formidablement son épingle du jeu. Il est en tout point impeccable et… crédible. Le seul reproche que je lui ferai c’est, parfois, de crier un peu trop fort (mais c’est peut-être là le vouloir du metteur en scène). Je crois qu’il serait encore plus menaçant s’il ne s’emportait pas. En dehors de cette infime remarque, il n’y a qu’à saluer une performance vraiment remarquable. Pour interpréter Chicken le Métis, Johnny s’est teint en brun. Ce qui lui permet aussi de s’éloigner de son image blonde de rock star. Très vite, j’ai oublié le chanteur pour ne plus voir qu’un acteur. Et un bon ! Il est sobre, il est juste, autant dans le ton que dans le geste. Il s’est véritablement approprié le personnage de Chicken. Dans sa violence (il se dégage de lui une force animale impressionnante et sans doute très attirante aussi pour une jeune femme), mais aussi dans la vulnérabilité que le sang noir qui circule dans ses veines lui a communiquée. Rejeté par la société, il n’a d’existence propre que dans SA maison. Une maison qui ne lui appartient hélas pas tout-à-fait. C’est là le nœud gordien de l’intrigue. Johnny a là un rôle à sa (dé)mesure. Sur une scène, il est sur son terrain de jeu de prédilection. C’est là qu’il se sent le mieux. Il est chez lui. Le voir ainsi évoluer aussi à l’aise, est une des très bonnes surprises de ce drame tennessien. On peut regretter qu’il ait pris quelques années car il serait fantastique dans la reprise de son spectacle musical Hamlet. Il en a aujourd’hui l’envergure et le potentiel…
En même temps, Johnny ne serait pas si bon s’il ne bénéficiait pas de la présence d’une comédienne proprement époustouflante en la personne d’Audrey Dana ! Quelle générosité ! Quel abattage ! Quelle prise de risques ! Elle est en permanence border line. Son personnage est un robinet à paroles. C’est comme ça qu’elle existe ; en parlant. Quitte à dire n’importe quoi et surtout des bêtises. Naturellement provocante dans ses tenues affriolantes, avec juste un poil de vulgarité, elle fait inévitablement penser aux starlettes des années 60… Plus encore que Johnny, elle est la vedette de cette pièce. Si elle n’est pas nommée pour les Molières, je n’y comprendrais plus rien.
Quant à Julien Cottereau, il est le parfait opposé de Johnny. Il campe un fi-fils à sa maman maniéré, souffreteux, fragile, et en même temps manipulateur. Il exerce sur sa jeune épouse un chantage éhonté. L’opposition entre les deux demi-frères est spectaculaire.
Avec le choix de ces trois comédiens, on ne peut que souligner la perfection du casting. Après l’avoir vue, on a du mal à imaginer cette pièce avec quelqu’un d’autre. On vit donc une fois encore – merci à cette belle rentrée – un grand moment de théâtre.
Maintenant, on ne peut passer sous silence la présence dans le public de dizaines de fans venus applaudir leur idole. A un moment, Johnny se met à fredonner une petite ritournelle en empoignant une guitare. C’est immédiatement l’hystérie. Certains font l’amalgame entre le personnage de Chicken et l’interprète de Toute la musique que j’aime. C’est une sacrée faute de goût. J’en ai vu aussi qui, malgré l’interdiction formulée avant le lever de rideau, qui ne pouvaient s’empêcher de sortir leur appareil photo pour immortaliser Leur Johnny dans ce nouvel exercice. En même temps, même si c’est parfois un peu irritant, il y a ce côté définitivement sympathique du lien qui unit Johnny à ses fidèles. Ils se méritent l’un et les autres car ils ne trichent pas. Ni lui, ni eux...