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Jean Rolin, Le ravissement de Britney Spears, POL

Publié le 27 septembre 2011 par Irigoyen
Jean Rolin, Le ravissement de Britney Spears, POL

Jean Rolin, Le ravissement de Britney Spears, POL

Certains critiques littéraires (ont-ils seulement lu le livre ?) voudraient faire croire que le dernier roman de Jean Rolin a pour seule et unique ligne d'horizon l'interprète de Baby one more time – n'étant pas familier du répertoire de la future trentenaire blonde américaine, j'ai dû chercher sur internet le titre d'une de ses inoubliables chansons -. Dire cela est faire offense, me semble-t-il, à ce dernier opus et à l'auteur en général dont la démarche est précisément de repousser toujours un peu plus loin les frontières, qu'elles soient narratives ou géographiques.

Le livre commence d'ailleurs à Murghab, localité tadjik au carrefour avec le Pakistan et la Chine où a été exilé le narrateur,

sous le futile prétexte, peu susceptible de dissimuler le caractère punitif de cette affectation, d'y relever les numéros d'immatriculation de tous les véhicules franchissant dans un sens ou dans l'autre la frontière chinoise. Parfois, il m'arrive de me demander si Shotemur, peut-être à son insu, n'est pas appelé à devenir l'instrument de ma perte ou, qui sait, de ma résurrection.

S'il existe bel et bien un Shotemur dans l'histoire politique du Tadjikistan, celui-ci semble avoir peu de choses en commun avec l'homme qui tient compagnie au narrateur. D'ailleurs, disons plutôt qu'il lui témoigne une attention toute particulière, ce qui n'est guère étonnant quand on lit ses états de service :

responsable du Kismat-i Amniyat-i Milli, le service de sécurité que tout le monde ici persiste à désigner sous son ancien nom de KGB.

Le lecteur apprend au fil des pages les raisons de cet exil. Le narrateur est en effet lui-même un membre des services, français en l'occurrence, et dont la mission, débutée à Los Angeles, a capoté. Mais tout cela n'était-il pas joué d'avance ?

J'étais arrivé à Los Angeles dans la soirée du 1er avril. A la réflexion, je me demande dans quelle mesure le colonel Otchakov n'avait pas choisi lui-même, ou quelqu'un de haut placé, envisageait la mission qui m'avait été confiée comme un gag. (Des collègues m'ont d'ailleurs confirmé qu'elle figurait dans le planning, après mon départ, sous le nom de code « Poisson d'avril », ce qui, à proprement parler, ne prouve rien.)

Assurément moins James Bond qu'OSS 117, le narrateur est dominé par l'espace et le temps. Rien ne s'enchaîne selon une mécanique bien huilée comme chez le célèbre agent crée par Ian Fleming. Ici, les heures et les paysages s'étirent enfermant l'espion dans un quotidien où il n'y a plus d'autre choix que de revenir sur le passé.

Tant que je continuerai d'émarger au budget des services, même au titre d'un travail aussi vain que celui dont je m'acquitte à Murghab, il me sera impossible, au moins par écrit, d'entrer dans le détail de la mission qui m'avait conduit à Los Angeles.

Sans connaître Murghab, le lecteur se construit des images grâce à la plume de Jean Rolin. Il peut dès lors affirmer - sans grand risque de se tromper - qu'il n'y a pas deux localités à travers le monde plus éloignées que ces deux-là. Ici, les montagnes d'Asie centrale aux paysages sans fin. A Los Angeles une autre immensité, urbaine cette fois, où les stars essaient d'échapper aux regards des paparazzi quand ce n'est pas à d'autres griffes. Enfin, c'est ce que croit le narrateur et sa bande :

ma mission consistait à prévenir une tentative d'assassinat de Britney Spears, ou d'enlèvement de celle-ci, par un groupuscule islamiste : averti de ce projet, par des voies que je continue d'ignorer, avant les services américains, les nôtres ambitionnaient de retirer de cette circonstance de grands avantages de prestige, en soustrayant, in extremis, fût-ce au prix d'un enlèvement – mais pour la bonne cause -, la chanteuse à ses ravisseurs (ou à ses assassins), et en la faisant réapparaître, au moment de l'inquiétude du public et des autorités aurait atteint son apogée, en un point du territoire français qui vraisemblablement, afin de ne pas l'avoir trop longtemps sur les bras, et de ne pas risquer de l'abîmer en la trimballant çà et là, aurait été choisi quelque part dans les Antilles, en évitant si possible la Guadeloupe en raison du climat politique et social prévalant sur cette île.

Si vous avez lu Le Monde magazine cet été, vous aurez, comme moi, accompagné Jean Rolin à LA. N'ayant pas le permis de conduire – voir l'interview ci-dessous -, il a donc emprunté les transports en commun – il en existe, même si l'on a tendance à l'oublier – et il a croisé des Américains. La lenteur d'un voyage permet les rencontres, y compris les plus improbables. Dans Le ravissement de Britney Spears il est par exemple question d'un informateur du nom de Fuck qui aime se balader au volant d'une voiture de collection et

dont le sobriquet, en dépit d'apparences trompeuses, était bel et bien composé des initiales de ses noms et prénoms, dans l'ordre, puisqu'il s'appelait réellement François-Ursule de Curson-Karageorges, sa famille, aristocrate et française, s'étant alliée jadis à celle du porcher qui régna quelque temps sur la Serbie -, Fuck ne travaillait pour nous qu'en qualité de pigiste, à peine rémunéré, ou pas du tout, motivé plutôt par l'aura d'exotisme qui nimbe depuis toujours les activités de renseignement.

Ce livre dit aussi le contraste entre la capacité de tout connaître sur une chanteuse comme Britney Spears (81 millions d'entrées dans Wikipédia, rappelle le narrateur) sans jamais bouger de son siège et celle d'aller au devant de gens rencontrés sur une ligne de bus ou de métro, d'échanger avec eux. D'autant que celui qui parle dans ce livre a, rappelons-le, le temps. Et que le temps aussi s'étire aux Etats-Unis, mais différemment.

J'ai toujours eu un faible pour tout ce qui assure un service continu, tout ce qui préserve au cœur de la nuit une forme quelconque de vie, qu'il s'agisse d'un bar ou d'une chapelle consacrée à l'adoration perpétuelle du Saint-Sacrement, même si j'ai fréquenté les premiers, il faut en convenir, plus assidûment que les secondes.

Quand le contact avec l'autre n'est plus possible, le narrateur entame une discussion avec lui-même. Il y a d'ailleurs quelques moments particulièrement cocasses dans ce livre qui ne sont pas sans rappeler certaines remarques d'Olivier Rollin – le frère de Jean – dans ses voyages à Bakou ou à Khartoum.

De jour en jour, me disais-je, se réduisait le nombre des handicaps ou des imperfections dont on n'avait pas lieu d'être fier, et dont je m'amusais à dresser cette liste non exhaustive, par ordre croissant de gravité : avoir des boutons, sentir de la bouche ou des pieds, se masturber régulièrement, désirer charnellement des mineurs de l'un ou l'autre sexe, nourrir des préjugés racistes ou sexistes.

Pas de jugement a priori, pas d'ethnocentrisme, pas d'affirmation gratuite : Jean Rolin montre. Ce qu'il en pense, il le garde pour lui. On sent de l'amusement, de la surprise mais il ne l'exploite pas littérairement. Il partage avec le lecteur des scènes comme ce défilé du 1er mai avec des Latinos. Il donne à entendre la rhétorique maoïste de Bob Avakian, chef du microscopique Parti Communiste Révolutionnaire des Etats-Unis. Au détour d'une phrase, il dit avoir croisé un petit juif à calotte, sosie d'Ahmadinejad. Ce gens-là, le narrateur les rencontre, comme il rencontrera Wendy, péripatéticienne de son état. Et puis viendra Britney Spears, un moment « délaissée » pour Lindsay Lohan, chanteuse et actrice américaine encore plus jeune.

Il y a de l'altruisme chez Jean Rolin qui ne frise pas pour autant l'angélisme. Et c'est précisément parce qu'il y a cette distinction, cette frontière en somme que les mots prennent une résonance particulière, qu'on écoute le romancier avec attention.

On peut penser tout le mal qu'on veut des Etats-Unis : mais il me semble que nulle part ailleurs, dans le monde, on ne rencontrera dans un bar autant de gens différents – des hommes et des femmes, des jeunes et des vieux, des beaux et des moches, des gringalets et des colosses, des Noirs et des Blancs, des anglophones et des hispanophones, des militaires et des civils – communiant dans un tel climat d'innocence, si difficile que puisse être la définition de cette qualité, ou de cet état d'esprit.

On est loin de l'image uniforme des Américains, rednecks bouseux, racistes et incultes qui sont des chatouilleux de la gâchette. Il y en a bien sûr. Mais il y en a aussi du côté de Murghab qui partent chasser le léopard des neiges avec un Tokarev de calibre 7.62.

Pour comprendre ces derniers mots, il vous reste à lire le livre et à vous abandonner à ce bien singulier voyage à l'autre bout du monde. Qu'il soit là-bas, à l'ouest. Ou encore là-bas, à l'est.

Et voici l'interview de Jean Rolin. Bonne écoute.


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