Le Bal des plagiaires

Par Gerard

"O temps suspends ton vol, et vous heures propices..." : qui sait que la postérité de ces vers, si on la doit à Lamartine, ne vaut en rien certificat d'origine ; et qu'un obscur poète, dont d'ailleurs j'ai oublié le nom, en est l'auteur véritable ? C'est le paradoxe du plagiat : l'inventeur est parfois de voix trop faible pour assurer par lui-même le devenir de son texte, il y faut un porte-voix qui, profitant à la fois de sa renommée et de son pillage, emmènera la parole confisquée jusqu'à l'éternité. Tout ça parce qu'il dispose d'un capital social plus important ; et qu'au fond on ne respecte pas l'art, mais la puissance.

D'où ce sentiment de grisante innocence et d'impunité qui étreint nos plagiaires. Après tout, sans eux, le passage dérobé serait resté à tout jamais ignoré de tous. Chez les éditeurs peu scrupuleux (il y en a), cela s'appelle "faire les poches" : on retourne un manuscrit avec force compliments ("de vrais bonheurs d'écritures"), tout en statuant un "oui mais non" un peu embarassé au prétexte d'un marketing impossible pour un texte de cette nature. On le retournera donc à son auteur (qui restera donc un "expéditeur" de textes plus qu'un auteur), non sans lui avoir dérobé ses fameuses trouvailles, dont un autre saura mieux profiter. Après tout quand on naît gueux, on reste avec les gueux.

La récente affaire Macé-Scaron (du nom de l'incontournable Joseph qui dirige Marianne, Le Magazine Littéraire et anime un certains nombre de talk-shows un peu partout, et a donc besoin en plus d'écrire des livres) nous rappelle que dans notre beau pays, on peut assez éhontément piller le travail d'autrui sans passer ni pour foncièrement malhonnête ni pour authentiquement incompétent.

On ne s'étonnera donc pas que des mallettes pleines de grosses coupures passent des dictateurs africains à la main manucurée de nos édiles politiques les plus moralisateurs, qu'on voit là prêtes à tout pour asseoir un peu plus leur empire sur la société. Une illustration de plus du cynisme ambiant, recuit dans ses pratiques farcesques de prévaricateurs hautains et méprisants. Des fous paradant avec leur merde au cul.

En quel mépris faut-il tenir autrui pour lui avouer que oui, on a bien aimé telle ou telle expression personnelle qu'il emploie, qu'on ne manquera pas de la reprendre à son compte pour l'utiliser dans un prochain bouquin - comme si être pillé par lui valait reconnaissance ? Il me souvient soudain que mon expression "écriture au larsen" avait tapé dans l'oeil d'un auteur adepte de l'écriture au larsin. Le bougre s'était exclamé : "Celle-là je la reprends !" Qu'il se rassure, je ne poursuivrai pas : des expressions comme ça, j'en ai bien d'autres ! Mais tout de même : tout ça manque singulièrement de style.

Ces petits barronets à tête creuse (les PPDA, les Atali, les Scaron, il faudrait publier un palmarès complet...) sont bien agaçants. Collants comme des mouches. Ils écument les livres, les articles, les manuscrits, les blogs... Et osent sans rire, lorsqu'ils sont pris la main dans le sac, incriminer leurs nègres ! Ce qu'ils nous disent d'un certain état de l'édition, c'est que les auteurs obscurs ne seraient rien d'autres qu'un vivier dont on pourrait se servir en toute impunité, une compagnie de clones dociles qu'on abat au fur et à mesure pour récupérer les organes plus performants lorsque la célébrité omnimédiatique ne parvient plus à triquer.  

  

On lira

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