Ce panneau (un peu penché sur la photo : problèmes de repères, moi aussi) prévient les visiteurs du 104 (jusqu'au 9 décembre), attention aux modifications de perception, ils pourraient vous causer des problèmes. On pourrait
trouver cet avis à l’entrée d’un Luna Park : la différence est ici que, si on peut en rire, on peut aussi s’inquiéter, s’interroger, voire se perdre ou se décomposer. Si l’installation de Leandro Erlich à l’entrée (Bâtiment) est la plus spectaculaire, ce n’est pas la plus préoccupante : le dispositif est visible et compréhensible par tous, et ce jeu de basculement est onirique et déroutant, mais on en ressort indemne. De ce maître de l'illusion, je revois aussi ici ses Changing Rooms, déjà vues au Moulin, dont le labyrinthe pervers induit le trouble : que ces lieux faits pour le déshabillage ne soient peuplés que de personnages (habillés) égarés, que les éventuels fantasmes qui pourraient naître en ces lieux laissent place à une certaine angoisse, certes amusée mais néanmoins bien réelle, que la perception du lieu soit ainsi modifiée, ce n’est peut-être pas cela qui émouvra les personnes sensibles, blasées des labyrinthes de miroir, mais là aussi c’est une collision du réel et du rêve. L’installation d’Ann Veronica Janssens (104.0.2), bien dans la ligne de ses travaux antérieurs, semble d’abord bien plus inquiétante. On entre dans une succession de salles remplies de brouillard, ici blanc gris, là rouge, plus loin vert, d’autres couleurs encore ; de crainte d’un obstacle invisible, on avance à tâtons, les mains en avant, voyant à peine le bout de son bras tendu. Les sons sont étouffés, mais de temps en temps, on perçoit un bruit, une voix, sans doute quelqu'un qui parle fort pour clamer son angoisse, soudain une ombre grise apparaît, un autre corps, tout près, trop près, à se toucher. Prudent, on longe les murs, suivant un parcours anguleux, des recoins tortueux, jusqu’à la sortie. Mais, au lieu d’en finir, devenu plus audacieux, on se lance droit devant, au centre présumé de l’espace, on tourne sur soi-même pour ajouter au vertige, on se croit dans l’antimonde, l’antimatière, les limbes peut-être. Là sont les audacieux, ceux qui profitent de l’opacité intime pour s’exhiber, ceux qui, autour, soudain reculent d’un pas dans la brume et redeviennent invisibles. Est-ce un jeu, une expérience enchanteresse ? Ou est-ce une descente aux Enfers, une presque-mort, douce, rassurante, trompeuse ? Le temps n’existe plus, les repères ont disparu, l’angoisse aussi, on flotte longuement dans cet espace sans consistance. La première installation (Shaft) du troisième artiste, Lawrence Malstaf, souffre du fait que le dispositif en est visible avant même de l’expérimenter : la magie s’évapore à regarder la préposée au lancement d’assiettes et le dispositif de feinte. Mais son autre pièce, Mirror, est fascinante : on entre un par un dans une pièce, on s’assoit dans un fauteuil face à un miroir, on presse le bouton rouge sur l’accoudoir. Imperceptiblement (Aurais-je des problèmes de vision ? Mes lunettes -rouges- me trahissent-elles ?), mon reflet dans le miroir se décompose, se délite, mon corps tremble, mes chairs deviennent flasques, grises, tordues, déformées (Francis Bacon sans doute), puis mon corps maltraité disparaît complètement, je suis devenu invisible, le fauteuil devant moi est désormais vide, le miroir ne me reflète plus, j’ai vendu mon âme au diable, je suis devenu succube, pur esprit, je ne suis plus de ce monde, dans ce monde, j’ai peur. Ca ne dure que deux minutes et on en sort secoué. Déconseillé aux âmes sensibles, donc.Photos 1, 3 & 4 de l'auteur; photos 2 & 4 avec l'auteur. Ann Veronica Janssens étant représentée par l'ADAGP, la photo de son installation sera ôtée du blog à la fin de l'exposition.