Appert - Appert © La Boîte à Bulles - 2011
Il était une fois, sept frères dont le père, trop pauvre, cherchait à les perdre dans la forêt…
Lors de la dernière tentative, le Petit Poucet, qui n’avait plus de petits cailloux blancs mais des miettes de pain, ne parvint pas à retrouver le chemin de la maison. En effet, en cette période hivernale, les oiseaux eurent tôt fait de picorer le pain, privant ainsi la fratrie de précieux indices pour s’orienter. Perdus, les enfants durent errer pendant un long moment avant d’arriver sur seuil d’une grande maison. Le cadet frappa à la porte, une belle femme lui ouvrit, hésita puis finalement accepta de leur offrir l’hospitalité. Dans cette immense demeure, les enfants rencontrèrent sept fillettes de leur âge qui toutes portaient une couronne sur la tête…
Vous connaissez l’histoire du Petit Poucet dont La Femme de l’Ogre s’inspire. Vous savez donc que le Petit Poucet a usé d’un subterfuge pour échanger les six bonnets de ses frères et le sien contre les sept couronnes des fillettes avant de se coucher. La nuit venue, l’Ogre a confondu les fratries, emporté ses filles et qu’il a dévorées.
-
C’est ici que s’arrête l’adaptation du conte de Charles Perrault. Il ne sera donc pas question de suivre le Petit Poucet et ses frères, de vivre leurs retrouvailles avec leurs parents ou d’assister à la scène du vol des bottes de 7 lieues. De même, Bernadette Appert s’arrête très peu sur le personnage de l’Ogre, que l’on voit horrifié d’apprendre qu’il a dévoré ses propres filles. Il préfère prendre la fuite et nous ne le reverrons qu’au moment du dénouement. En revanche, c’est pour nous l’occasion de suivre l’Ogresse dans son difficile processus de deuil et de découvrir un personnage que le conte original ne développe pas.
L’Ogresse est une femme au visage angevin. Lorsqu’elle se réveille et découvre le crime de son époux, elle est saisit d’effroi. Le traumatisme est tel que cette femme en perd la raison. Incapable de faire le deuil de ses enfants, mue par une haine sourde qu’elle va nourrir vis-à-vis de son Ogre, la soif de vengeance devient désormais son seul objectif. Les auteurs vont s’attacher à développer son parcours tout au long de l’album, une longue errance pour cette femme aux multiples visages. Tantôt humaine, tantôt féline prédatrice, tantôt monstre hideux, nous naviguons dans plusieurs ambiances graphiques.
La douceur des premiers visuels d’album va, par intermittence, laisser la place à des dessins libérés de codes narratifs et qui, régulièrement, s’affranchissent des cases pour s’exprimer en pleine page. Deux atmosphères visuelles cohabitent, marquant la bipolarité de l’héroïne. D’un côté la quiétude et la mélancolie et de l’autre, les bouffées de colère incontrôlables. Le lecteur est amené à faire un va-et-vient permanent entre ces humeurs visuelles. Les illustrations peuvent être complétées d’aplats de gris assez doux (marquants les flash-backs dans les souvenirs de cette femme) ou tout justes croquées d’un trait sec et nerveux lorsque l’Ogresse devient furie. Dans le second cas, j’ai souvent eu l’impression d’une cacophonie visuelle et acoustique due à la présence de nombreuses symboliques – souvent agressives – dans les images.
Quoiqu’il en soit, j’ai trouvé ce traitement graphique intéressant. Au final, le travail d’Étienne Appert nous démontre une nouvelle fois que l’expression des maux peut se passer de mots, le pouvoir de suggestion des visuels est parfois bien plus évocateur que le carcan du langage. Décors fouillés, bon rendu des expressions, trait fin et précis sont quelques éléments qui contribuent à créer une ambiance mi moyenâgeuse mi fantastique. L’artiste s’est approprié son personnage dont il parvient, sans difficulté apparente, à modeler le corps à mesure que cette femme vieillit et que la rancœur prend le pas sur la haine. Entre temps, l’Ogresse est devenue le pantin de sa folie, dévorant tout sur son passage jusqu’à ce qu’elle trouve un exutoire pour canaliser ses émotions. Dans l’album, cela se matérialise via des envolées lyriques montrant l’héroïne dans des états de transes musicales qui l’amèneront jusqu’au repentir.
Pourtant, la manière dont la douleur est mise en scène est trop liée à cette femme et trop anxiogène pour pouvoir la partager avec elle. Son désespoir est un abîme. Pas d’effet miroir ici, je ne m’identifie pas. J’ai trouvé qu’il y avait une forme de complaisance dans la manière dont l’héroïne se satisfait de son statut de victime. Cette façon de montrer l’autre est trop théâtralisée. Cela s’explique peut-être par le fait que Bernadette Appert a imaginé cette fable pour qu’elle soit jouée sur scène. En effet, elle est comédienne de métier et La Femme de l’Ogre est son premier texte. Il est mis en scène par la Compagnie Zaoum, Bernadette A. incarne l’Ogresse depuis 2008. Quant au travail d’adaptation graphique, il a nécessité trois années de travail mais souffre peut-être d’une difficulté à se décaler de son origine scénique (essentiellement dans les passages où la violence est à son paroxysme). Les expressions de l’Ogresse sont trop « jouées », elles manquent de spontanéité et de naturel.
Je remercie les partenaires qui m’ont permis de découvrir cet ouvrage : Les Agents Littéraires et La Boîte à Bulles.
Un album muet intriguant et servi par un très beau traitement graphique. Malgré mon bémol sur la mise en scène autour de l’Ogresse, j’ai apprécié la lecture de cette œuvre qui donne lieu à une réflexion intéressante sur le processus de deuil. Comment survivre à la mort de son enfant ? Comment vivre avec cette culpabilité qui ronge ?
Les avis de PaKa et Planete BD.
Le site de la Compagnie de Théâtre Zaoum et une critique sur la pièce de Théâtre.
La Femme de l’Ogre
One Shot
Éditeur : La Boîte à Bulles
Collection : Clef des Champs
Dessinateur : Étienne APPERT
Scénariste : Bernadette APPERT
Dépôt légal : septembre 2011
Bulles bulles bulles…
éé
This slideshow requires JavaScript.
––îà–