Entretien avec Jean-Paul Klée, 4 (par Jean-Pascal Dubost)

Par Florence Trocmé

ENTRETIEN AVEC JEAN-PAUL KLÉE, 4   

Lire la première partie, la deuxième partie et la troisième partie de cet entretien – un PDF de l’intégralité de l’entretien sera proposé lors de la publication de sa dernière partie.  
 
 
Jean-Pascal Dubost
 : Dans Mon cœur flotte sur Strasbourg comme une rose rose, tu écris : « Non, avant • que • je • disparaisse • dans • le • limon •sans •fin •ni  fond, dans la vase, marne, loess, argile, calcaire ou poussière, avant cela, – qui ARRIVERA !, il faut que je dise TOUT ; que je témoigne sur tout et sur tous… » La poësie peut-elle tout embrasser ? Écris-tu pour la postérité ? La posthumité ? 
 
Jean-Paul Klée : Encore une question rêvée, une question à me ravir, merci, bel ami, si fraternel Jean-Pascal !... 
Étonnante, cette phrase que tu as retrouvée dans Mon cœur flotte sur… (BF éditeur), car à l’époque (1988) la mort n’était qu’une lointaine utopie !... À présent elle s’est trou-dü-culement rapprochée, of course my Lord !... Et ce n’était, formülée dans ce cœur un peu rose, qu’une déclaration d’intention, un projet…. À présent j’ai quasi réalisé (osé-je l’espérer) ce pieux vœu, la poësie peut (hé oui) dire quasi toute chose, du moins les plus infimes, comme ce brin de plume qu’on a tiré d’un coin de l’oreiller & qu’on fée s’envoler par la fenêtre DIEU seul sait vers qui ou quoi ?... Mais dire, dans mon poëme, les milliards de milliards de SOLEILS qu’on sait qu’il y a dans l’Univers, ça c’est très difficile !... Disons-le, infaisable ?... 
Jean Follain ou Guillevic ont, en effet, réussi à noter le plus subtil & mystérieux & allüsif…. Tout entre dans le torsadé, la tapisserie du poëme, tout fée poëme y compris le plus inattendu, la vacuité, le bla-bla lui-même (et) l’imitation de ce bla-bla, une conversation dans le tramway, un article de journal, un « rien », car c’est l’enveloppé du montage, l’englüé du montage qui donnera tout son éclat au trüc trouvé-collé.!.. Yves Martin n’est pas terrible dans le montage des éléments de son poëme, c’est trop raide & un peu brusque. Avant 2000 j’étais moi-même dans un découpé assez brut, aperçu sans doute dans Daniel Biga, Jean Breton, etc. & je n’arriverais plus à déclamer en public ces textes-là, dont je comprends aujourd’hui qu’ils n’apportaient rien de vraiment nouveau.?.. Depuis 2000 (et 2002 ou 2003) ce que j’écris EST comme enchâssé (le prononçant, l’écrivant) dans une matière sonore (poëtique) différente, plus rythmée, plus syllabée, plus liée : le sujet ni le déroulé n’ont plus aucune importance, seule compte cette VOIX-LÀ qui s’empare de tout (un lavabo, un légume, un soleil, une volüpté) & en fait sa chose & sa manière & sa musique…. Désormais cette voix peut toucher à tout, se couler, s’arranger de tout ; elle donne la même tonalité, qu’importe le matériau malaxé, digéré…. Ce qui compte, c’est que sür des centaines (milliers) de feuillets CETTE VOIX prenne tout & unifie tout & s’étende partout, comme une couleuvre ou, indéfinissable, une couleur assez rarement vüe !... Un ton qui, après 2000/2002 s’est imposé, creusé en moi…. Je ne puis plus parler (composer) que dans cette, oui merci, dans cette langue-là !.... Comme on entend que Mozart écrit en Mozart & Bach en Bach (je ne fais bien entendu pas le plus indécent parallèle) mais c’est pour me faire comprendre mieux…. Braque fée du Braque…. Miró dü Miró, – Léger dü Léger –, Bonnard dü Bonnard, etc. Et je l’espère, sans me répéter ni m’épuiser ni grincer…. Hélas, il est un recueil d’Yves Bonnefoy où Bonnefoy se décalque, s’imite lui-même & tombe, là, dans un désert de pierres sacrées sans aucun intérêt…. La postüre « légendaire » ou vaguement mytholo-symbolique des poëmes de Bonnefoy est à hurler de rire : 
« Je vais. 
« La barque qui… 
« L’épaule & la ronce… 
Oh ouvrier, parais, dans la ténèbre de midi !... » 
(Yves Bonnefoy, Ce qui fut sans lumière, Mercure de France, 1987). 
On pense à un auteur d’avant 1914… Les mots de chômeur, scooter, HLM, bazooka, pauvreté, nylon, télévision,… Bonnefoy ne peut pas les incorporer, les utiliser dans sa poëtique si extraordinairement désuète !.... Il saute aux yeux que la chance de Bonnefoy a été d’œuvrer dans la 2ème partie du XXe siècle, si incolore en vraie poësie, en grande poësie…. Car s’il était né en 1880-1890 il n’aurait guère existé à côté de ces géants nommés Charles PÉGUY, Paul Claudel, Apollinaire, Cendrars, Valéry Larbaud & j’en oublie cinq autres, Francis Jammes, St. John Perse, etc. Le génie de l’éditeur Gaston Gallimard fut  simplement d’avoir à portée de mains (ou de téléphone) une dizaine de poètes aussi géniaux que lui-même était un génie dü management…. De nos jours, Antoine Gallimard son digne successeur serait bien en peine (selon moi) d’aligner 2 ou 3 poètes de ce rang-là…. Ou bien alors leur génie n’est-il pas jusqu’à moi descendü, assis que je suis dans mon lointain Strasbouri aux « limes » de l’ex-Germanie ?... 
Qui est-il en poësie prépondérant, depuis la mort de Paul Claudel ou Jacques Prévert ?... Bien sût on s’est nourri des délices, parfois, des élégies merveilleuses de Jacques Réda, de Guy Goffette & les longs drapeaux de Pierre Oster & les cris plaintifs, si émouvants, de Jude Stéfan et ?... Je n’ai de loin pas lü tous les poëtes depuis 1945 ou même 1970…. Mais où est-il, celui qu’on citerait inévitablement dans un micro-trottoir ?.... Ah oui, dirait-on en 1875, Victor Hugo est encor parmi nous, on peut lui écrire à…. meussieu Victor Hugo, en son avenüe, à Paris. Est-ce le cas pour Michel DEGUY ou Franck VENAILLE ou ?...  
Quel poète français a-t-il compris (en 2011) la conscience du peuple français ?... Quel poète écrit pour ce peuple de France qui va entrer, une fois encor, dans la pire des DOULEURS ?... 
Quant à, cher Jean-Pascal, la postérité,… la posthümité, comme tu dis si drôlement… Bien sûr que… depuis 1955 je ne pensais qu’à cela, les lecteurs à venir (quand mon roman serait fini, édité) ; c’était les années où par Le Figaro, Paris-Match ou radio Luxembourg la gloire de Minou Drouet, de Françoise Sagan venait jusqu’à moi l’obscür écolier !... En classe de 3ème j’ai sü (grâce à mon prof de français) qu’on pouvait comme Flaubert par un travail très humble, très acharné, atteindre « la perfection » (il y avait aussi Hérédia), bref qu’il fallait 20% de talent et 80% de labeur (labourer, laboureur)…. Alors toute ma vie, dès 15 ou 17 ans, j’espère décrocher la timbale d’or ou d’argent (l’esprit est en même temps, d’une humilité grande & d’une ambition folle) à la fois très bas comme une servante attendant la moisson & très élevé comme un cheval d’Orphée !.... L’un ne contredit pas l’autre…. Le pont entre les deux c’est un travail de mineur de fond, que notre professeur passionné de Flaubert évoquait. 
Donc bien sûr, en effet, j’espère que ma poësie restera quelques décennies (on a bien oublié, quasi caricaturé celle de Sully Prudhomme prix Nobel & aussi la gloire tombée à rien d’un Casimir Delavigne ou d’un Paul Géraldy)… Il faudrait, pour qu’elle demeurât un peu, que ma poësie soit novatrice, disons mieux : très novatrice !... Ça, il m’est bien sûr impossible d’en juger : est-elle süffisamment innovante pour marquer cette période qui (comme le XVIIIe siècle) semble, en poësie francophone, si anémique & peu colorée ?... 
J’ai toujours aimé les couleurs. Est-ce parce qu’une partie de mes ancêtres étaient tisserands ?... Ma famille paternelle vient du même petit bourg d’Allemagne que le peintre Paul Klée, avec lequel j’ai donc des liens de parenté : ça me fée une belle jambe, Charles !... Si déjà je devenais le vrai fils de mon vrai père ?... 
Et d’arriver un jour à cette…  gloire de célébrité de postérité qui depuis 50 années flotte à l’horizon de ma mentalité,…. ne serait-ce pas (de mon vivant) rejoindre ce père philosophe qui fréquenta Simone Weil, Jean-Paul Sartre à Berlin et Claude Lévi-Strauss !... 
Si c’était (comme Pessoa ou Kafka) à titre posthume, évidemment je n’en serais pas informé ; ce qui – là où je ne serais plus ?..., ne me contrarierait plus beaucoup ?... Dahlias, mimosas, hortensias bleus & le chèvrefeuille d’une certaine Marie de France ?.... Que deviendra notre nom, Olivier Larizza & le mien ?... Aurons-nous le temps de mettre au net & au grand jour ce trésor de 10 ou 12 mille feuillets ?... Avant que la MONDIALISATION nous rattrape & nous dévore tous & tout crüs ?...  
 
(suite et fin demain, avec le PDF téléchargeable de l’intégralité de l’entretien 
 
[Jean-Pascal Dubost]