Magazine Culture
Théâtre Marigny
Salle Popesco
Carré Marigny
75008 Paris
Tel : 0 892 222 333
Métro : Champs-Elysées Clémenceau
Une pièce de Martin Mc Donagh
Adaptée et mise en scène par Ladislas Chollat
Avec Bruno Solo (Valene), Dominique Pinon (Coleman), Pierre Berriau (le père Welsh), Elsa Rozenknop (Girleen)
Décors d’Emmanuelle Roy
Costumes de Christiane Chollat et Doby Broda
L’histoire : A Lennane, petit village perdu au Nord-ouest de l’Irlande, les deux frères Connor, Coleman et Valene, viennent d’enterrer leur père avec qui ils vivaient jusqu’alors. Sans réelles activités, si ce n’est celles de regarder la télé ou de feuilleter des magazines, sans aucune relation sentimentale ou familiale, ils se retrouvent face-à-face dans leur modeste maison pour gérer le quotidien.
Pour une raison encore mystérieuse au début de la pièce, à l’un, tout a été légué, à l’autre, rien.
La haine que les deux frères ressentent l’un pour l’autre depuis l’enfance éclate avec une telle force que le prêtre du village, le père Welsh, a bien du mal à empêcher le pire…
Mon avis : Voici une pièce particulièrement éprouvante dans laquelle, paradoxalement, on rit très fréquemment. Certes, ce n’est pas du grand rire frais à se taper sur les cuisses. Nous ne sommes pas dans la gaudriole. Cette balade irlandaise aux accents tragi-comiques nous confronte à travers ses quatre protagonistes à la vie étriquée et un peu sordide d’un véritable quart monde. Les deux frères Connor ne s’embarrassent pas de fioritures. Quand ils s’expriment, ils utilisent un langage direct, abrupt, cru et, involontairement, très imagé. Nourries sur le terreau de l’animosité, voire de la haine, les répliques sont assassines. Les insultes fusent. Et comme ils sont particulièrement limités, ce sont toujours les mêmes injures qui giclent. Leur préférée étant « espèce d’enculé de pédé de puceau ». Difficile d’être plus exhaustif !
Bien qu’adultes, Coleman et Valene sont restés deux sales gosses frustres er primaires. L’aîné, Coleman, est particulièrement teigneux et sournois. Il n’a que des défauts. On ne sent pas chez lui une once de générosité ou de commisération. Il n’aime que lui ; il ment comme il respire, cherche en permanence à faire le mal. Et lorsqu’il ne trouve plus d’argument, il n’a d’échappatoire que dans la violence… Valene est un peu plus ambigu. Il est affublé d’une bigoterie bizarre, quasi mystique, qui le pousse à collectionner les figurines saintes. Son plus gros vice, c’est la radinerie. Tout ce qu’il possède, il le marque d’un grand « V » au feutre indélébile. Indélébile comme l’est sa méfiance vis-à-vis de son propre-à-rien de frère.
On assiste à une espèce de combat de chiens avec, pour arbitre, le père Welsh, un prêtre doux, empli de doutes et totalement dépassé par la mentalité de ses ouailles, par autant de misère, par autant de méchanceté chronique.
Du début à la fin, j’ai été pris aux tripes par cet affrontement étouffant. Il faut dire que la prestation de Dominique Pinon et Bruno Solo vaut le déplacement. Pinon est complètement habité par son personnage. Il a adopté une voix éraillée, vulgaire, une gestuelle peu ragoûtante. C’est un vrai affreux. Une fois encore il est magistral… Bruno Solo, lui, compose donc un personnage plus nuancé. On ne dira pas plus sympathique car lui aussi ne vaut pas tripette. Il a un vrai mauvais fond. Il est calculateur, rancunier et vindicatif. Mais il est juste un degré en dessous de son frangin sur l’échelle de la méchanceté pure.
Coleman et Valene sont deux très beaux rôles pour des comédiens. Forts et éprouvants. Très physiques… Dans la salle retentissent ça et là des petits rires brefs et nerveux. Parfois on entend même un petit cri d’horreur à peine étouffé.
Pierre Berriau, dans le rôle du prêtre, joue sur le registre de la fragilité, de la sensibilité. Sa foi, qui est indéniable, est considérablement ébranlée par une sauvagerie ambiante qu’il ne comprend pas et rejette. Sa grande mansuétude est petit-à-petit érodée par la férocité aveugle de ces deux crétins. Il est tellement obnubilé par sa tentative de sauvetage de ces deux âmes perdues qu’il néglige l’appel au secours, l’appel à l’amour de Girleen. Sous son apparence dévergondée, derrière une vulgarité qui est en fait de l’autodéfense, se cache une fille perdue. Il en faudrait peu pour qu’elle soit sauvée. Mais dans cet ouest-là, dans ce no man’s land déshérité, le destin ne fait pas de cadeau.
Dans cette pièce, la tension ne cesse de monter. On se demande jusqu’où ces deux énergumènes vont aller pour résoudre leurs différends. Leur profonde amoralité est une sorte de cancer qui les ronge, qui s’offre une apparente rémission vers la fin de la pièce… Et puis… Et puis je ne vous en dirai pas plus.
Par la grâce de deux comédiens totalement investis, on vit un grand moment de théâtre dans la très agréable salle Popesco du théâtre Marigny ; agréable en raison de la proximité que l’on a avec les acteurs. Ils nous cueillent à bout portant… Bien sûr, mieux vaut aimer un certain humour noir et désespéré pour jouir pleinement de cette tragédie. Personnellement, je vous la recommande vivement.