Bien que démocratique, le principe des primaires est l’étape ultime du régime
des partis et de l’américanisation de nos institutions.
Lors du premier débat de
la primaire socialiste le 15 septembre 2011 sur France 2, Manuel Valls était le seul candidat à la
candidature à avoir réaffirmé ouvertement son attachement à la Ve République et à l’esprit des
institutions. Il a d’ailleurs été le responsable du chapitre sur les institutions dans le projet du Parti socialiste pour 2012, ce qui a fait renoncer à la VIe République dont
l’utilité n’est que sémantique.
Expliquant un peu plus précisément son sentiment, Manuel Valls rappelait donc que la Ve République
réclame que ce soit un homme qui porte le projet collectif, un homme qui l’incarne et qui va à la rencontre du peuple. Ce avec quoi je suis tout à fait d’accord.
C’est dans ce même esprit que Dominique Strauss-Kahn s’est senti obligé de parler aux Français un dimanche soir, investi avant le 14 mai 2011 d’une popularité qui le hissait à la perspective d'une candidature certaine et à une élection probable. Treize millions de Français l’auraient écouté (désabusés) alors que seulement cinq millions ont
regardé le premier débat de la primaire socialiste.
Là où je suis moins en accord, c’est que Manuel Valls en a déduit l’intérêt de cette primaire socialiste
ouverte, alors que je crois, au contraire, que le principe de cette primaire va à l’encontre justement de l’esprit des institutions.
Je m’explique.
Cette primaire qui a pour but de faire choisir par tous les Français la personne qui sera candidate du Parti
socialiste à l’élection présidentielle de 2012 n’est pas en soi antidémocratique. Au contraire, augmenter le nombre de scrutins ne peut être qu’une évolution démocratique favorable.
En revanche, elle contredit l’esprit de la Ve République qui veut que depuis De Gaulle (1962), l’élection présidentielle est la rencontre entre un homme ou une femme et le peuple.
Or, ce que le peuple choisit, à chaque élection présidentielle, c’est bien une sorte de "package" comprenant
la personnalité du candidat (on aime ou on n’aime pas, c’est très subjectif et assez dérisoire politiquement) et son projet politique (ce qui est l’essentiel pour un choix démocratique). Son
projet politique émane évidemment d’une équipe et pas seulement du seul candidat, mais ce projet en imprime la marque, doit être en accord avec la personnalité du candidat bien sûr.
Le contre-exemple le plus frappant fut la candidature de Ségolène Royal en 2007 où elle fut enfermée dans le programme du PS adopté quelques mois plus tôt et qui ne
correspondait pas du tout à sa vision de la France. D’ailleurs, elle a avoué après l’élection qu’elle n’avait jamais cru à ce programme qu’elle avait pourtant promu (sans trop de conviction il
faut bien le dire).
L’échéance de 2012 risque de renouveler cette erreur politique : le candidat choisi par la primaire le 9
ou 16 octobre 2011 risque bien de se retrouver enfermé par le projet socialiste et seule, Martine Aubry,
qui a initié ce projet, pourrait le défendre à l’aise et avec beaucoup de conviction.
En effet, l’esprit des institutions que De Gaulle a pratiqué de façon éclatante en 1969 mais aussi en 1962 en
organisant des référendums et en court-circuitant tous les corps intermédiaires (en particulier les parlementaires) relevait de ce dialogue particulier et unique entre une personne et les
électeurs.
Or, le principe d’une primaire d’un grand parti gouvernemental (ou d’un petit parti), c’est de placer ce
parti entre le candidat et le peuple. Et ce candidat ne serait alors que le représentant de ce parti et du projet de ce parti devant le peuple. En clair, cela aboutit, ce qui était déjà un peu le
cas depuis le milieu des années 1980, à un véritable régime des partis : PS, RPR, UMP (les autres partis gouvernementaux étant seulement supplétifs).
Heureusement, François
Mitterrand avait refusé (hors cohabitation) qu’un ministre fût chef de parti, et après 1988, il avait d’ailleurs réussi, en absence de majorité absolue et en raison de la rébellion du PS en
1988 et en 1990 (à Rennes), à se dégager complètement de son parti.
Quant à Jacques Chirac,
il est resté président du RPR lorsqu’il est revenu à Matignon en 1986 et en 1995, il a nommé à Matignon Alain
Juppé qui est resté président du RPR. Si pour des raisons tactiques, Jacques Chirac a demandé à Nicolas Sarkozy en 2004 de choisir entre Bercy et la présidence de l’UMP, en 2005, il a
finalement accepté son retour au gouvernement tout en lui laissant la présidence de l’UMP.
Au début de son quinquennat, Nicolas Sarkozy avait de nombreuses fois participé activement aux activités de
l’UMP alors que Président de la République, il aurait dû rester au-dessus des partis et représenter tous les Français (article 3 de la Constitution : « Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice [de la souveraineté nationale]. »).
Donc, cet esprit de la Ve République est bien sûr dévoyé depuis que des professionnels de la
politique ont compris que c’est en verrouillant un grand parti gouvernemental qu’on peut réussir l’élection présidentielle. Cela a d’ailleurs été le handicap non seulement de Ségolène Royal en
2007 mais aussi d’Édouard Balladur en 1995.
L’organisation des primaires est donc l’étape logique de cette marche définitive vers le régime des partis
qui filtrerait l’accès à l’élection présidentielle à l’aune des partis.
D’ailleurs, du côté de l’UMP, si le candidat de 2012 est évident, Valérie Pécresse, porte-parole du
gouvernement, a déjà évoqué l’idée d’une primaire similaire pour départager les candidats UMP possibles de 2017…
Certes, les partis sont effectivement reconnus par la Constitution comme entités essentielles contribuant à
l’exercice démocratique. L’article 4 de la Constitution dit : « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils
se forment et exercent leur activité librement. » mais il ajoute aussitôt : « Ils doivent respecter les principes de la souveraineté
nationale et de la démocratie. ».
Or, la souveraineté nationale ne doit pas être prise en otage par un ou plusieurs partis.
C’est pourquoi à mon sens, Manuel Valls se trompe lorsqu’il affirme que la primaire socialiste va dans le
sens de l’esprit de nos institutions qu’il défend par ailleurs. Au contraire, elle s’en éloigne de plus en plus.
Je comprends évidemment qu’un électeur socialiste aura envie de participer à la primaire des 9 et 16 octobre
2011, mais il me semble en fait malsain que celle-ci puisse recueillir une forte participation car c’est renforcer justement cette tendance vers les régimes des partis.
Une primaire ne s’ouvre que sur les électeurs du parti qui l’organise et ce n’est qu’un dialogue interne qui,
finalement, ne regarde pas le peuple dans sa globalité. Ce qui regarde le peuple, c’est l’élection présidentielle elle-même où il y aura une réelle confrontation de projets, de couples
projet/personnalité avec des enjeux autres que cette bataille d’ego qui gangrène justement ces partis gouvernementaux.
Le PS va évidemment surveiller de près la participation à cette primaire (même géographiquement) et va en
déduire une adhésion populaire ou pas à son futur candidat. En gros, en dessous d’un demi-million d’électeurs, ce serait un échec, et au-dessus de quatre millions d’électeurs, un grand succès de
mobilisation.
Pour moi, c’est plutôt l’esprit de la Ve République qui sera éprouvé les 9 et 16 octobre 2011.
Avec cette question claire : est-ce que le peuple veut pouvoir librement choisir ses candidats à l’élection présidentielle ou accepte-t-il le filtrage des partis ?
À chacun d’en décider avec sa conscience de citoyen.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (27 septembre
2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Premier débat de la primaire
socialiste.
Manuel
Valls en piste pour… 2017.
Sur la primaire socialiste.
La Ve République.
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/manuel-valls-la-primaire-101419