La plupart des gouvernants occidentaux n’ont rien appris de la crise de 2008, et non seulement ils persévèrent dans l’erreur, mais ils en rajoutent plusieurs couches depuis quelques jours. Ils entonnent le grand air des hallebardiers, mais leur partition est celle d’un requiem. Le dernier chant du cygne.
Par Jacques Garello, administrateur de l’IREF et président de l’ALEPS
Publié en collaboration avec l’ALEPS(*)
Le cygne entre dans la mort avec les accents les plus émouvants, comme s’il voulait exprimer une dernière fois tous les plaisirs qu’il a vécus, et résumer sa vie entière dans un appel nostalgique et passionné.
Quel rapport avec l’actualité économique et politique, me demanderez-vous ?
Supposons que le cygne soit tout à la fois le Léviathan et l’Arlequin. L’un monstre hideux dévorant les libertés, l’autre menteur et changeant. Le cygne, c’est l’État Providence et les hommes de l’État.
La mort de l’État Providence est d’ores et déjà réglée. C’est ce que bien des orateurs ont expliqué au cours de notre récente Université d’Été. Il est mort d’une overdose, d’une boulimie, d’une obésité fatales : trop d’État a fini par tuer l’État. Ses finances sont en décomposition, ses réglementations sont en lambeaux, son autorité n’est qu’un souvenir.
Mais les hommes de l’État n’y croient pas. Ils attendent Grouchy, même quand c’est Blücher. Ils entonnent le grand air des hallebardiers, mais leur partition est celle d’un requiem.
Illustration : © libre.org
J’en viens enfin à mon propos. On n’aura jamais accumulé autant d’erreurs tout en écoutant autant de discours satisfaits. La plupart des gouvernants occidentaux n’ont rien appris de la crise de 2008, et non seulement ils persévèrent dans l’erreur, mais ils en rajoutent plusieurs couches depuis quelques jours.
Le meilleur exemple vient, comme souvent, des États-Unis. Le président Obama et ses conseillers s’inquiètent enfin de la ruine des finances publiques américaines. Avec un budget dont la moitié seulement des dépenses est couverte par des recettes, il y a certainement de quoi s’alarmer. Sans nul doute la situation s’explique par les quelques 14 mille milliards de dollars dépensés depuis trois ans au titre des divers « stimulus ». Le résultat est là : on approche les 10% de chômeurs, et la proportion de chômeurs de longue durée est supérieure à 50 %. Comme une erreur en appelle une autre, Obama, dans le but de réduire le déficit de 3.000 milliards de dollars, vient de prendre une initiative audacieuse : au lieu de couper dans les dépenses publiques et notamment dans le coût de la sécurité sociale qu’il a réformée, il veut accroître les rentrées fiscales en taxant lourdement les milliardaires. L’impôt Buffett, du nom de ce milliardaire philanthrope qui a estimé ne pas en faire assez pour les finances de son pays, devrait donc combler en partie le trou budgétaire. En fait, le rapport de cet impôt pourrait être inférieur à 20 milliards de dollars par an, mais il a peut-être des retombées électorales heureuses. Obama ignore sans doute que cet argent des « méga-riches » est aujourd’hui pour l’essentiel investi dans l’entreprise et crée des emplois et de la croissance. Il ignore aussi ce qu’est le droit de propriété, mais il n’ignore pas ce qu’est la lutte des classes.
L’Union Européenne ne fait guère mieux. Elle s’engage à sauver à tout prix la Grèce et à la maintenir au sein de l’euro, alors même que plus personne ne se fait la moindre illusion sur le remboursement de la dette souveraine. Comment faire ? Au cours des mois passés, on n’a cessé de fournir aux Grecs les liquidités qui leur manquaient, et aujourd’hui ils attendent une nouvelle tranche de 8 milliards. Qui les donnera ? Un ensemble de pays eux-mêmes surendettés, qui n’hésiteront pas à emprunter pour soutenir les Grecs. De beaux esprits critiquent la tiédeur européenne : ne faudrait-il pas ouvrir largement les vannes du crédit, quitte à mobiliser tout le potentiel de liquidités en Euros ? Ou encore émettre des « euro-bons », c’est-à-dire des assignats que rien ne garantira ? D’ailleurs si l’Euro fait défaut aux banques, que la Banque Centrale en fabrique : diluons la crise dans l’inflation ! Voilà des discours inspirés par la panique et l’ignorance. Au chevet de l’Europe il se dit des oraisons déjà funèbres.
Dans le concert européen, la France orchestre les chants harmonieux. Certes le premier violon a fait une fausse note en perdant les élections locales à Berlin, mais continuons tout de même à croire que « l’Euro nous protège ». Puisse-t-il protéger les Français d’une crise bancaire nationale qui porterait préjudice à une économie déjà sevrée d’investissements ! En attendant le gouvernement appelle « rigueur » ce qui n’est qu’un tour de vis fiscal, surtout à charge des méga-riches que sont les épargnants, les gens qui placent leur argent dans l’immobilier, sans compter les fumeurs, alcooliques et buveurs de soda. L’État donne l’exemple : 1 milliard d’économies face à 11 milliards demandés aux contribuables.
Et ils chantent toujours ! C’est la fête de la musique en permanence.
Je ne sais combien durera l’agonie de l’État Providence. Je souhaite qu’elle soit la plus courte possible. La thérapie de choc a toujours été préférable au gradualisme.
Je ne suis en rien pessimiste, mais je ne pleure pas sur les derniers jours de l’oiseau de Léda. Car d’autres gouvernants, dans d’autres pays, ont déjà emprunté avec succès la voie du salut, qui est celle de la liberté. Le Canada, l’Australie, la Nouvelle Zélande, la Suède, la Suisse, les Pays Bas, l’Autriche, la Pologne, entre autres, ont rompu avec les illusions de l’État Providence et l’arrogance de la classe politique. Ils nous rendent espoir : on doit revivre.
Chez nous le chant du cygne n’est déjà plus que tintamarre et cacophonie. Le ballet fini, le rideau tombe sur une tranche d’histoire que l’on s’empressera d’oublier. Tant pis pour le cygne.
Mais aurais-je rêvé ?
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Sur le web
(*) L’ALEPS, présidée par le Professeur Jacques Garello, est l’Association pour la Liberté Économique et le progrès social, fondée il y a quarante ans, sous l’autorité de Jacques Rueff, dans la tradition intellectuelle française de Jean Baptiste Say et Frédéric Bastiat.