Conte soufi : Les serviteurs et la maison

Publié le 27 septembre 2011 par Unpeudetao

   Il était une fois un homme sage et bienveillant qui possédait une grande maison et devait s'absenter souvent pour de longues périodes. Chaque fois qu'il partait, il laissait la maison sous la garde de ses serviteurs.
   Les serviteurs étaient très négligents. Il leur arrivait d'oublier la raison de leur présence dans la maison : alors, ils s'acquittaient de leurs tâches mécaniquement. Il leur arrivait aussi de penser qu'ils devraient faire les choses d'une autre manière que celle qui avait été prescrite quand les tâches leur avaient été assignées, et ce, parce qu'ils ne savaient plus clairement quelles étaient leurs fonctions.
   Le maître s'étant absenté pour une très longue période, une nouvelle génération de serviteurs vit le jour qui se crut bel et bien propriétaire des lieux. Cependant, comme ils étaient limités par leur environnement immédiat, ils avaient l'impression de se trouver dans une situation paradoxale. Parfois, ils voulaient vendre la maison, et ne trouvaient pas d'acheteurs - parce qu'ils ne savaient comment procéder. D'autres fois, des gens désireux de l'acquérir venaient se renseigner sur les conditions et demandaient à voir le titre de propriété ; et les serviteurs, qui n'y connaissaient rien en titres, les prenaient pour des fous et ne les traitaient pas comme des acheteurs sérieux.
   Paradoxe aussi pour eux le fait que des provisions et du matériel destinés à la maison continuaient d'apparaître “mystérieusement” : cet approvisionnement ne cadrait pas avec l'hypothèse selon laquelle les occupants étaient responsables de la totalité des lieux.
   Afin de leur rafraîchir la mémoire, des instructions sur la tenue de la maison avaient été laissées dans les appartements du maître. Mais, après la première génération, ceux-ci étaient devenus à ce point sacro-saints que personne n'avait le droit d'y pénétrer. Avec le temps, la question des appartements du maître avait fini par être considérée comme un mystère insondable. Certains allaient jusqu'à prétendre que ces appartements n'existaient pas, en dépit du fait qu'ils pouvaient en voir les portes d'accès. “Ces portes, expliquaient-ils, ne sont pas des portes, mais des éléments de la décoration des murs.”
   Voilà dans quelle situation se trouvait le personnel de la maison. Il ne resta pas fidèle à son engagement initial, il ne prit jamais non plus la maison en charge.

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