J’ai plaisir à écouter les phrases qui me plaisent jusqu’à les savoir presque par cœur sans même m’en apercevoir, en douceur.
Au fil de ma lecture:
Il n’y a peut-être pas de jours de notre enfance
que nous ayons si pleinement vécus que ceux que
nous avons cru laisser sans les vivre, ceux quenous avons passés avec un livre préféré. (Première phrase)
Qui ne se souvient comme moi de ces lectures faites au temps des vacances, qu’on allait cacher successivement dans toutes celles des heures du jour qui étaient assez paisibles et assez inviolables pour pouvoir leur donner asile?Ici se place la magnifique évocation d'un déjeuner en famille à Combray puis la description de sa chambre où il se retire après le repas pour continuer sa lecture.
Après le déjeuner, ma lecture reprenait tout deEnfin arrivent les souvenirs du goûter au fond d'un parc où coule une rivière et là encore il doit un moment cesser sa lecture, le livre ouvert posé à l'envers sur l'herbe avec interdiction de le reprendre et puis, après le dîner, voici la nuit quand le livre est enfin terminé, que l'on a dû lire en cachette, après avoir été interrompu toute la journée .
suite ; surtout si la journée était un peu chaude,
on montait « se retirer dans sa chambre », ce qui me permettait, par le petit escalier aux marches rapprochées, de gagner tout de suite la mienne, à l’unique étage si bas que des fenêtres enjambées on n’aurait eu qu’un saut d’enfant à faire pour setrouver dans la rue.
Puis la dernière page était lue, le livre était fini. Il fallait arrêter la course éperdue des yeux et de la voix qui suivait sans bruit, s’arrêtant seulement pour reprendre haleine, dans un soupir profond. Alors, quoi ? ce livre, ce n’était que cela ? Ces êtres à qui on avait donné plus de son attention et de sa tendresse qu’aux gens de la vie, n’osant pas toujours avouer à quel point on les aimait, et même quand nos parents nous trouvaient en train de lire et avaient l’air de sourire de notre émotion, fermant le livre, avec une indifférence affectée ou un ennui feint ; ces gens pour qui on avait haleté et sangloté, on ne les verrait plus jamais, on ne saurait plus rien d’eux. Déjà, depuis quelques pages, l’auteur, dans le cruel « Épilogue », avait eu soin de les « espacer » avec une indifférence incroyable pour qui savait l’intérêt avec lequel il les avait suivis jusque-là pas à pas. L’emploi de chaque heure de leur vie nous avait été narré. Puis subitement : « Vingt ans après ces événements on pouvait rencontrer dans les rues de Fougèresun vieillard." On aurait tant voulu que le livre continuât, et, si c’était impossible, avoir d’autres renseignements sur tous ces personnages, apprendre maintenant quelque chose de leur vie, employer la nôtre à des choses qui ne fussent pas tout à fait étrangères à l’amour qu’ils nous avaient inspiré.
(à suivre et à relire)
Sur la lecture de Marcel Proust. Texte intégral lu par André Dussollier (Éditions Thélème)
Flâneries proustiennes de Margotte,