"Telle Anne, telle Hanna, Anny aimait se quitter, s'abstraire d'elle-même, de son identité sociale familiale, en vue d'approcher une réalité plus fondamentale. Cet "en-dessous de tout", Anny l'obtenait par le jeu. Comédienne, elle s'éloignait d'elle pour devenir les autres; cependant, avant d'arriver à un personnage précis, elle passait par un lieu indéterminé, à la croisée des chemins, un lieu en deçà des différences, ce lieu qu'avaient fréquenté Anne et Hanna.
Si Anne le rencontrait dans la nature et le nommait "Dieu", Hanna le détectait dans la sexualité et l'appelait "inconscient". Quant à Anny, elle avait renoncé à le définir"
C'est un roman à trois foyers que nous propose Eric-Emmanuel Schmitt: trois femmes, Anne, Hanna et Anny, déclinant un même prénom, en trois époques différentes: Anne vit à Bruges au début du XVIe siècle, Hanna, à Vienne, tout début du XXe et Anny est une star holywoodienne, contemporaine.
Saisies de l'imposture de leur condition, elles échappent toutes trois à l'image que leur renvoie leur miroir et à la légitime attente de la société.
Anne renonce à son mariage, se fait béguine (à Bruges) et finit, brûlée, sur le bûcher de l'Inquisition, tandis qu'Hanna, accueillie dans la société bien-pensante de Vienne, cherche son salut dans les débuts de la psychanalyse - Sigmund Freud fait lalors école - et Anny se libère peu à peu des clichés attachés aux stars.
Passeront-elles, telles de nouvelles "Alice' au-delà du miroir? Les foyers ainsi allumés s'embraseront-ils de concert, au-delà des siècles qui les séparent?
Les chapitres s'alternent selon une mécanique régulière, bien huilée, une progression narrative qui tient la route, intégrant dans la forme du roman ( chapitres relatifs à Anne et Anny) celle de l'épistolaire ( chapitres focalisés sur Hanna). Et Eric-Emmanuel Schmitt de se déclarer "obsédé par l'écriture épistolaire"
Nous ne pouvons que l'approuver.
Apolline Elter
La femme au miroir, Eric-Emmanuel Schmitt, roman, Albin Michel, août 2011, 456 pp, 22 €