Je sais déjà que personne ne lira cette note jusqu'au bout. Ou alors chiche de l'faire et de s'chronométrer ! Comme toutes celles trop longues et à visée "culturelle" qui occasionnent pour moi tant soit peu de TRAVAIL, cette note ne suscitera aucun commentaire et ne connaîtra que l'indifférence générale. Alors j'ai décidé d'y aller à fond, d'écrire la note qui tue, ne serait-ce que pour tester la capacité maximale de mon hébergeur... (allez donc vous chercher un p'tit café ou des barres de céréales, ou mieux, une bière et des sandouiches, si vous voulez tenir la distance (là évidemment, je ne m'adresse plus à personne, je parle dans le vide, mais je fais ce que je veux)) Et en plus, dites-vous bien que ça me fait plaisir de l'écrire. Suis-je une sadique ? Ou une masochiste ?
Foin de l'introspection. Commençons plutôt par quelque auto-satisfaction : j'ai bien d'la chance d'avoir le câble, et notamment dans l'bouquet, un petit éventail de chaînes ciné. Sans cela, et sans l'inanité de la programmation télévisuelle du samedi soir, je n'aurais pu redécouvrir ce générique cuivré et lent qui berça mon enfance (je parle de quand j'étais une gamine et qu'il n'y avait que 6 chaînes, un temps que les moins de ... biiiiiiiiiiiip .... ans ne peuvent pas connaître), ces moments de vieillesse précoce, de vide abyssal qui nous happent dans un intervalle d'encéphalogramme plat et qui nous poussent parfois encore à nous figer fascinés et la bave aux lèvres devant un épisode de Derrick... jusqu'à la fin... impuissants. Cependant, il ne s'agit pas là de Derrick, mais de son illustre prédécesseur, Maigret. Ou plus précisément de Jean Richard dans le rôle de Maigret. (là normalement, pour les plus patients, les autres sont déjà repartis alors je ne leur parle même pas, vous faites délicatement glisser le curseur vers le bas de l'écran pour voir combien de temps ça dure encore... - C'est encore loin grand Schtroumpf ? - OUIII !!!) Jean Richard était au départ un joyeux drille plutôt fantaisiste qui aimait les clowns au point qu'il acheta un cirque pour pouvoir en élever quelques uns. Il interpréta également le rôle de Béru dans San-Antonio. Un comédien confirmé donc, ou plutôt un comique troupier.
Le malheureux Jean Richard reste cependant pour moi LA référence du pire acteur possible dans son rôle de Maigret, avec son jeu théâtral et guindé, patinant pitoyablement dans la semoule de dialogues naphtaliniques (et là mon correcteur d'orthographe devrait normalement clignoter en rouge, mais il abandonné depuis longtemps semble-t-il...), agitant les bras tendus, sempiternellement armé de cette pipe qui est presque plus expressive que lui. Il paraît d'ailleurs que c'est parce que Jean Richard était fumeur de pipe que Simenon le choisit : «Bravo, vous tenez votre pipe comme quelqu´un qui a l´habitude. Ce n´est pas comme Jean Gabin. On voyait à quinze mètres que ce n´était pas un fumeur de pipe ! La vôtre est mal équilibrée. Elle ne vous va pas très bien. Tenez, je vous offre ces deux-là. Ce seront les pipes de Maigret. Vous savez qu´il doit toujours en avoir deux sur lui. » (Georges Simenon à Jean Richard, Épalinges, 1967, propos rapportés par Télé 7 jours, "Le chagrin de Maigret, Jean Richard raconte", après 1989) (source)
Jean Richard tint le rôle de Maigret à la télévision pendant si longtemps qu'il blanchit sous le harnais, ce que le passage à la couleur nous permit de constater au fil des épisodes (une bande-annonce de l'INA est visible ICI, si vous voulez vous remettre dans l'ambiance).
A travers la série créée par Claude Barma et Jacques Rémy en 1967, Jean Richard est le seul acteur au monde à avoir tourné TOUS les Maigret. Un personnage qu'il n'abandonnera qu'en 1990, après 92 épisodes dont 18 en noir et blanc. (source) Quand il faisait un truc, même mal, Jean Richard, il le faisait à fond ... Le pauvre, le voilà habillé, même écharpé (voir plus bas), pour l'hiver. Les épisodes les plus abominables réussis à mes yeux sont en effet ceux où intervient Madame Maigret : il faut savoir que Louise Maigret est la plupart du temps interprétée par Mme Jean Richard elle-même (sic) qui au fil des épisodes a tendance à s'étoffer, comme toute bonne ménagère, pour passer progressivement à l'allure de bonne manman gâteau à la poitrine obusienne. On devine la gaine sous la blouse à carreaux et quand elle lève les bras pour se donner un coup de peigne (environ toutes les 5 minutes), on se dit que le pépère Jules, alias Jean, a bien d'la chance. "Vous devez avoir un chapeau mou, un pardessus flottant et porter les grosses écharpes en laine que tricote Madame Maigret. J'espère qu'on va vous trouver une madame Maigret bien dodue. Attention Maigret est tendre avec sa femme. Mais il ne l'embrasse pas. Il lui donne simplement une petite tape sur les fesses !" (Georges Simenon à Jean Richard, Épalinges, 1967, propos rapportés par Télé 7 jours, "Le chagrin de Maigret, Jean Richard raconte", après 1989) (source) Car Mme Maigret est la femme idéale (et je vais vous l'prouver). Ainsi, quand elle est dans les parages, pas questions pour son grigou de mari de se nourrir avec "d'la bière et des sandouiches". Mme Maigret veille. Il est l'heure maintenant d'évoquer l'un des 92 épisodes, un épisode jouissif qui date des années 80. Celui-ci s'intitule "Un Noël de Maigret" et récèle un bon nombre de morceaux d'anthologie. Je vois que vous en salivez déjà. Les époux Maigret, tout en couleurs, ont désormais le profil de deux bons retraités replets, sans enfants, domiciliés boulevard Richard-Lenoir dans un appartement bourgeois. Et c'est de là que Maigret va mener l'enquête. Comme le fait justement remarquer Mme Maigret : "C'est la première fois que tu mènes l'enquête depuis notre appartement..." Je vais donc vous offrir un résumé perso : j'ai en effet pris des notes, car déjà aux premières secondes du générique, j'avais senti que celui-là serait un specimen culte. Mais je ne vous dirai pas la fin, pour préserver un peu l'suspens. L'épisode commence dans les rues de Paris, un soir de réveillon. Le couple Maigret déambule benoîtement et entre dans une brasserie mais comme il n'y a plus de place, ils doivent faire demi-tour : - Je n'peux donc pas manger comme les autres ? bougonne Maigret. - Mais, Maigret, voyons, ils ne mangent pas, ils réveillonnent, apaise Madame enjouée" Dès les premières secondes, déjà dans son rôle d'épouse admirable. Dans le taxi qui les remmène chez eux, les Maigret écoutent patiemment, un paternel sourire aux lèvres, le chauffeur évoquer la société de consommation et les cadeaux rituels qu'il fait à ses enfants. Là, un regard imperceptiblement douloureux est échangé entre les époux (douloureux surtout du côté de madame pour être précise) : le couple n'a pas d'enfants, on nous le rappelle discrètement. Cette épouse héroïque aurait été, on le devine, une mère formidable, c'est peut-être pour ça qu'elle materne ainsi son p'tit maâââri chéri. Mais je ne suis pas pas là pour faire une analyse psy des personnages. Et vous qui ne me dites rien ! Rappelez-moi donc à l'ordre, agressez-moi quand je digresse ! Les Maigret finissent par arriver chez eux, on les voit sortir du taxi, il ferme la porte derrière elle. Bon. (J'vous avais dit : mieux qu'Derrick !) Là, on apprend que les époux reviennent du théâtre : "- ça t'a plus le théâtre ? s'inquiète Mme Maigret. - La pièce, non, mais aller au théâtre oui, répond Maigret d'un air ... disons, pénétré"
Le couple s'échange maintenant des cadeaux sous un mini sapin décoré... par une femme de goût, enfin dont le goût est d'aimer les canevas... voyez l'genre. Maigret n'est pas commissaire pour rien : il a déjà deviné ce qui lui a offert son épouse. C'est une pipe. (Géniale l'affiche non ? on en parle chez Beleg) Il semble que ce soit la coutume que Mme Maigret a pour habitude d'offrir des pipes à son époux. L'heureux homme. Pour ouvrir son cadeau, Mme Maigret s'en va modestement dans la cuisine et déballe avec précaution (ça prend au moins 30 secondes) une magnifique cafetière électrique. Elle a l'air ravi... en façade ? Après les remerciements d'usage et tant pis pour Simenon, ils s'embrassent... Mme Maigret offre à son mâââri un petit réveillon, qu'elle s'excuse presque d'improviser : au menu, un restant d'poulet, du roquefort et un p'tit morceau de bûche. Maigret trouve ça parfait, son diététicien ce serait pas d'accord avec lui, mais bon, comme c'est réveillon... Autour de la table, Mme Maigret évoque le futur : les caf'tières, c'est super, (là j'traduis) mais pourquoi pas un jour s'offrir un petit voyage ? (sous-entendu : après tout, on est libres, sans enfants, sans entraves, prenons l'vent, on sent la sauvagerie qui se cache en elle... on est prêts à tout, un week-end à Quiberon, aux eaux de Luchon, un clair de lune à Maubeuge, on sait pas quoi...) Mais lui, imperturbable : "un voyage ... mais pour aller où ?" Il s'énerve même pas. Exit l'équipée sauvage. Maigret préfère allumer la télé où passe une émission de variétés avec Michèle Torr. C'est un peu fort. Mme Maigret s'inquiète : - Baisse le son, que vont dire les voisins ! Mais lui se lâche : - Enfin, c'est fête ou quoi ? (Je jure que ce sont les dialogues authentiques !) Comme c'est fête en effet, Maigret se propose de faire le lendemain matin la grasse matinée ! "Tu devrais en faire autant", dit-il à Madame. On sent que cette autorisation qu'il lui prodigue avec largesse est un peu un nouveau cadeau de Noël, un cadeau bonus en quelque sorte. Mais Louise Maigret n'en fait qu'à sa tête et elle en a sous le bonnet, cette bougresse. On la retrouve au matin devant le kisoque à journaux où elle achète, pour son p'tt mari, Le Figaro, France Soir et Le Matin, déclarant à la marchande parce qu'elle lui demande, qu'elle a passé un bon réveillon. Point. A la boulangerie, elle achète des croissants, en révélant à la boulangère que son mari, qui prétend se contenter de café noir sera quand même bien content de son p'tit croissant. Mais c'est qu'elle balance, la traîtresse ! (en même temps, on s'en doutait un peu, vu l'tour de taille...)
Pendant c'temps-là, Maigret sort de son lit les cheveux en bataille et enfile sa robe de chambre. Il a un livre sous le bras. Il se prend de justesse pas la porte dans l'pif quand sa femme entre poussant devant elle outre son opulente poitrine, un plateau destiné au petit-déjeuner. Mais lui refuse de se recoucher, prétextant qu'il a l'impression d'être malade s'il reste au lit après s'être éveillé. Au petit déjeuner, Maigret est heureux et détendu (l'effet magique des croissants sur sa glycémie peut-être) et se voit déjà passant sa journée en robe de chambre, il ne va même pas se raser tiens ! et ils papoteront gentiment tous les deux, enfin "si je n'dis pas trop d'bêtises..." - Des bêtises ? s'offusque gaiement Mme Maigret, des bêtises ? mais tu n'en dis jamais voyons!" (cqfd, Mme Maigret, prenez-en d'la graine les donzelles) C'est là qu'on voit que parfois Mme Maigret se trompe : parce que pas plus tard que deux minutes après, le commissaire, pris d'une accès de fantaisie étrange envisage pas moins que de se laisser repousser la moustache comme quand il était jeune. Pas grave, Mme Maigret enfonce encore le clou en se répandant en éloges dythirambiques sur sa nouvelle cafetière "que tu m'as offerte"et qui est bien plus rapide et fait du meilleur café que la précédente. Maigret ne pipe mot, il savoure avec équanimité, à la fois le café et les dythirambes. Alors que c'est sûrement Madame qui assume comme toutes les bonnes ménagères la tenue des comptes du ménage, qui a dû signer le chèque de l'achat et même emballer soigneusement l'objet en question. Qui sait même ? si elle a déballé avec tant de précaution le merveilleux cadeaux, c'est peut-être qu'elle compte réutiliser le papier pour la prochaine merveille qu'elle que son mari va lui offrir... (mais si mais, j'en connais des qui font ça ! moi, je m'oblige à déchirer le papier, mais croyez bien qu'ça m'coûte) Mais voilà, pas d'chance, patatras, des voisines vont débouler dans l'appart' ! Maigret à qui rien n'échappe, les a repérées du balcon où, pas raisonnable parce qu'il fait un froid de canard, il fumait sa pipe, ils les a repérées donc alors qu'elles traversaient la rue. Il a deviné tout de suite qu'elles allaient venir chez lui. On se demande à quoi, vu que l'immeuble a quand même pas mal d'étages. Mais Mme Maigret confirme : l'une d'elle est une femme seule, qui habite juste en face, au même étage, et qui semble être amoureuse (!) de lui, car souvent, elle le suit des yeux quand il sort. (insoutenable aperçu de la solitude et de l'ennui d'une femme qui doit passer des heures à sa fenêtres pour guetter ses voisines d'en face, la vieille fille et la femme au foyer réunies dans la même attente d'un seul homme, Maigret... c'est vertigineux, c'est abyssal) Damned donc, Mme Maigret se recoiffe fièvreusement ajuste son chemisier en gémissant "et mon ménage qui n'est pas fait!" et Maigret consent à passer une splendide veste d'intérieur ainsi qu'un coup de peigne dans sa tignasse déjà parfaitement ordonnée en fait. Et voilà Rosy Varte, qui s'impatientait à la porte (on a entendu au moins deux coups de sonnette) : elle surgit, brushing en avant, accueillie par Mme Maigret. "Mon mari arrive". Il entre d'ailleurs, écartant les bras, coudes tout retournés, en hôte parfait. "Que puis-je faire pour vous mesdames ?" Voilà un homme qui vient de sacrifier une journée en tête-à-tête avec son épouse. Normalement, il devrait avoir l'air bougon et déçu. Il cache parfaitement son jeu ou bien ... C'est là en effet qu'on aperçoit à plusieurs indices que les Maigret sont un couple de chattemites : quand Mme Maigret par exemple fait mine d'aller faire du café dans la cuisine, pour préserver l'intimité des confidences des deux visiteuses, en fait, elle écoute discrètement à la porte. Elle en fait même tomber une cuillère, la maladroite, au risque d'être découverte. Quant à lui, c'est sous prétexte de s'inquiéter de sa petite femme et de ses tasses qu'il se rend dans la cuisine et profitant qu'elle a le dos tourné, il trempe un sucre dans la cafetière et suçote en douce son "canard". En plus, quand il s'aperçoit qu'elle espionne sa conversation, car rien ne lui échappe, il se lève et va exprès lui fermer la porte au nez. Le couple Maigret ne serait-il finalement pas le couple idéal ? Voilà une question qui je pense va vous ôter le sommeil pour un moment. (à moins que terrassé par cette monstrueuse note, vous soyez en train de ronfler sur vot'clavier et dans c'cas là, vous ne pouvez point me lire, et vous n'savez pas c'que vous loupez..) Mais ce n'est pas la fin (et non... ), car le merveilleux duo d'acteur nous offre encore des dialogues incroyables comme celui qui suit. Alors que Maigret veut traverser la rue pour aller à son tour enquêter chez les voisines, il s'habille et il se rase. (ça va déjà nous prendre 3 bonnes minutes, z'allez voir ) Il possède en effet un magnifique rasoir électrique d'au moins 10 centimètres de large. Louise (dans la salle de bain c'est intime, on utilise le prénom...) surgit derrière Jules et s'ensuit l'échange suivant Elle - Tu te rases ? Lui (Se rasant ) - Que peut répondre une personne qui se rase à une personne qui lui demande s'il se rase ? (Je cite de mémoire, c'est gravé Là, gniiiinnn) A la fin cette scène incroyable incontournable inqualifiable, c'est Madame qui range le rasoir. Une fois rendu présentable, Maigret décide donc de sortir et son épouse l'adjure de se couvrir : "Maigret, tu devrais mettre ton pardessus. " (j'aurais préféré "mets ton pal'tot et n'oublie pas ton cache-nez", mais rien n'est parfait dans ce monde ingrat) A quoi Maigret rétorque qu'y a sûrement du chauffage chez les voisines (sous-entendu : qui sont des personnes civilisées). Mais Madame a décidé de pinailler : - Oui, c'est sûrement chauffé à l'intérieur, mais pas à l'extérieur quand même ! Et lui de rétorquer :
- Je m'demande pourquoi : il fait toujours plus froid dehors que d'dans. Je vous laisse un minute pour digérer ce moment de gloire et de sagesse maigretesque. Voilà... ça valait bien une minute de silence, hein ? Bon j'avais promis que je ne révèlerais pas la fin, d'ailleurs vous avez compris que ce n'est pas l'intrigue qui m'intéresse (si vous la voulez elle est parfaitement résumée ICI) mais bien l'ethnologie de ce couple de légende. Notez juste qu'une fois le ménage fini, Mme Maigret tue son ennui avec un canevas... en femme de goût. Rien de tel qu'un canevas en effet pour un intérieur coquet, s'pas ?
PS : à ceux qui sont arrivés jusqu'ici, je vais faire mon mea-culpa en prime. Oui bon, en fait, j'ai passé une soirée de samedi merdique devant la télé et maintenant, je me venge, c'est pas plus compliqué qu'ça. C'est navrant ? oh hé, c'est Jean Richard qu'a commencé, d'abord !!! Enfin, si vous voulez en savoir plus (ohéééééééééééééééééé ... ééé... ééé ... ééé... y'a quelqu'uuuuuuuuuuuuuun ?) et si vous n'avez pas la chance d'avoir cinécinéma classic comme moi, l'INA diffuse actuellement une cinquantaine d'épisodes pour un prix modique. Quand j'pense que je viens de passer la matinée sur ce post... c'est ça d'avoir loooooooooooooooooooooooongues vacances, ça fait des dégâts. Allons, prenez votre courage à deux mains et par la même occasion exemple sur Maigret, il avait de la patience, lui.