Dans le numÄ‚Ĺ ro 33/34 de la revue Le Cri d’Os (dont la publication, qu’animait Jacques Simonomis, s’est aujourd’hui arrêtée), j’avais relevé une passionnante contribution de Jean l’Anselme, qui apparaissait comme un lointain écho à un éditorial de feue la revue Casse : la cinglante Edith O s’en prenait alors à la religion de l’inédit, dogme établi chez les directeurs de revues littéraires. Les auteurs connaissent bien ce problème, condamnés à ne proposer aux revues (voire aux sites littéraires en ligne) que de l’inédit, montrés du doigt s’ils publient le même texte dans un ou plusieurs autres périodiques.
« Que l’on m’oppose un « je ne peux pas publier votre texte car je n’en ai pas l’exclusivité » me fait toujours regimber. Quand un directeur reçoit par voie d’échanges toutes les revues, il peut se trouver agacé de voir ce qu’on lui offre semé déjà dans d’autres endroits, mais pense-t-il à la poignée de lecteurs de sa propre publication qui, n’ayant pas cet avantage, n’aura la veine de tomber sur le texte incriminé, qu’avec une chance de cocu ? Or, ce qui prévaut c’est l’intérêt du consommateur. J’ai beau argumenter que personne ne se chagrine de trouver la même information dans l’Obs, le Canard ou Libé, que ce que je propose procède aussi du désir d’informer, de prouver que je pense, que j’existe, que j’écris tout en souhaitant que le plus grand nombre le sache, personne ne m’écoute. »
Effectivement, personne ne s’offusque d’entendre la même chanson sur plusieurs antennes différentes, un film diffusé sur plusieurs chaînes, les mêmes invités à des émissions concurrentes ; seul l’excès de la diffusion nous fera crier au matraquage ! Pourquoi une revue qui tire à cent exemplaires exigerait-elle d’un auteur qu’il ne propose pas son texte à une autre revue qui aurait une autre aire de diffusion ? Et Jean l’Anselme d’enfoncer le clou :
« Sans compter que l’argent qui sert dans les autres domaines de la création à monnayer l’exclusivité, la propriété, n’a jamais été, chez les poètes, une monnaie d’échange. Notre récompense est une modeste gloire de fond de tiroir que l’exigence de l’inédit voudrait encore nous mesurer. Quand on songe au modeste lectorat d’une revue, on mesure l’écoute d’un texte inédit et la gloire qui rejaillit sur son auteur ! On est en droit de penser qu’en multipliant la publication de ce texte, cette gloire grandit dans les mêmes proportions. »
Ayant beaucoup publié de textes en revues, en ayant envoyé bien davantage, je garde en mémoire certaines exigences de responsables de revues - dont le tirage avoisine les 88 exemplaires, le public une vingtaine d’abonnés, et dont la présentation a tout du torchon cochonné -, qui conservent votre texte dans un tiroir, vous interdisant de le proposer ailleurs, et vous annoncent après plusieurs années qu’ils doivent cesser leur parution sans pouvoir publier le texte retenu (quand ils vous préviennent, car vous pouvez apprendre leur faillite par hasard). En proposant de « modifier notre constitution », Jean l’Anselme parle d’un véritable problème qui mérite d’être débattu. Manifestement, ici, l’intérêt de l’éditeur semble s’opposer à celui de l’auteur. Mais quel est l’intérêt du lecteur ?