(Journal du Nom, chronique d’une parution : première séquence)
Remarques préliminaires
Les jours passant, et ma fréquentation de la blogosphère (cet espace en expansion vertigineuse où pullulent les astéroïdes) s'intensifiant, ma conception du blog se précise. Sans avoir la vision complète et définitive de ce qu'il sera, je crois pouvoir avancer ce qu'il ne sera pas.
- Il ne sera pas un journal intime. Du reste, je n'ai jamais pu poursuivre la tenue d'un journal intime plus de quelques jours, plus de quelques pages. Pourquoi en serait-il autrement sur internet ? Il n’est pas dans mon projet de livrer les dernières anecdotes sur ma belle-sœur ou sur le chien de mon beau-frère, ni même sur ma bien petite et misérable personne dans ses activités banales, dans son quotidien si commun avec le reste des hommes. En revanche, je livrerai un journal de la parution de mon livre, non que je lui accorde une importance ou une valeur extrême, mais parce que cette relation sera l’occasion d’apporter au lecteur, et notamment à l’auteur qui cherche à publier, une expérience, un éclairage et un ensemble cohérent d’informations sur le monde de l’édition.
- Il ne sera pas quotidien, ou du moins ne le sera pas dans son principe, même si les hasards de l’actualité ou de l’inspiration m’amèneront parfois à me rapprocher de ce rythme. Je ne m’imposerai jamais la contrainte de la parution quotidienne. Car je crois que dans cette périodicité qui devient vite artificielle, l’auteur s’épuise et épuise le lecteur. On perd en qualité, en densité, en intérêt, à revenir si vite, si souvent. Je ne suis pas le soleil qui peut s'imposer chaque jour sans lasser son public.
- Il ne sera pas un catalogue de références, de citations, un « name-dropping », comme on dit. Si je suis amoureux de la littérature, je n’ai jamais été un boulimique de lectures, jamais d’excès, par contre, je choisis, je déguste, je m’approprie. Méditatif, rêveur (j’ai usé un temps précieux à rêver ma vie), j’ai été un piètre lecteur, lent et indolent. Parfois je m’en culpabilise (si tu te prétends écrivain, tu dois lire, me dis-je), mais au fond, c’est ma nature. Tout cela pour dire que je suis impressionné à la fréquentation de certains blogs, qui jonglent savamment, brillamment avec des références. Je les admire et me console en me persuadant qu’il en va autrement de mon écriture, je suis peu capable de citer les quelques auteurs que j’ai lus ou de les analyser à l’envi ou à l’infini, mais je crois que, comme l’alcool passe dans le sang, leurs mots, leur esprit sont passés dans mon style et que leur influence, même si elle n’est pas précisément affichée, est présente dans mon texte. On n’est riche que de ses lectures assimilées.
Ces considérations ne doivent pas donner à croire que je critique les blogueurs qui pensent et procèdent différemment ( je les fréquente avec plaisir et profit) ; ces règles ne s'appliquent qu'à moi-même : en marquant les directions où je n'irai pas, connaissant mes faiblesses, je limite les dégâts – en d'autres termes, j'essaie de prévenir et circonscrire mes défauts.
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La quête d’un éditeur
Vendredi 11 février 2005, j’ai découvert dans ma boîte aux lettres le premier exemplaire sorti des presses de mon roman, Le nom, qui parait aux éditions A contrario. Un an et quelques jours après l'acceptation du manuscrit.
Cet évènement est le point de départ de cette chronique en feuilleton (irrégulier), consacrée aux moments forts (ou faibles) de la parution d'un livre. En attendant les premières retombées et suites (mise en place progressive dans des librairies, articles critiques, invitations, salons, signatures…), les jours à venir me permettront de remonter le temps et de rapporter les phases préliminaires à cette sortie publique ; cette chronique se poursuivra les mois de la diffusion du livre, de ce qu’on appelle « le temps de rotation », de plus en plus court désormais dans les librairies.
Son ambition, modeste, est d’apporter un témoignage sur une minuscule et merveilleuse aventure, celle de l’édition d’un livre de littérature, et une sorte d’éclairage.
D'une certaine façon, tout a commencé à Ars.
Mon ami Roland Fuentès m'avait donné rendez-vous le samedi 10 janvier 2004 dans ce village de l'Ain, où officia le saint curé Jean-Baptiste Vianney, village qui offre l'avantage d'être à mi-chemin de nos demeures respectives. Nous nous étions installés dans un café très bruyant. Alors qu'il me remettait quelques revues littéraires pour que je les chronique dans sa revue Salmigondis, il me confirma qu'un de ses romans avait été accepté par une nouvelle maison d'édition (encore inconnue, et qui ne sortirait ses premiers livres qu’au printemps), dont le directeur littéraire était Matthieu Baumier. Il me conseilla de lui envoyer un manuscrit, de préférence un roman.
Je connaissais vaguement Matthieu, pour avoir eu avec lui quelques échanges de courriels, notamment lorsqu'il assurait la direction d'une anthologie de nouvelles aux éditions Rafael de Surtis. Ayant lu quelques-uns de mes textes dans des revues, il m'en avait demandé un pour cette Anthologie de l'Imaginaire, et avait retenu et publié Le livre des morts, une sorte de conte, dans l'arcane cinquième de la série. Plus tard, l'une de mes nouvelles, de facture plus humoristique, Le petit appartement au sixième étage dans la prairie, avait été acceptée et publiée par le journal Place aux Sens, auquel Baumier collaborait alors avant qu'il ne rompe avec l'équipe directrice.
J'avais plusieurs manuscrits dans mes tiroirs, comme on dit, recueils de nouvelles et romans. L'un d’eux me semblait plus original et achevé, il s'intitulait Le nom. Une histoire impossible à raconter et à synthétiser, mais dont l'argument pouvait ainsi se présenter : un écrivain, en panne d'inspiration, écrit son nom sur la page blanche, une fois, puis plusieurs fois à la suite, puis à l'infini, et cette production d'un nom propre devenu nom commun devient son oeuvre, qu'il cherche à publier et à promouvoir. L'épilogue constitue un retournement complet au cours duquel l'auteur revient à la réalité, récupère son nom propre et envisage d'écrire une oeuvre véritable.
J'avais écrit ce court récit d'une centaine de pages de manière très intense, dans un temps ramassé de trois mois, au début de l'année 2000. Alors que je suis d'ordinaire très lent pour élaborer une œuvre (une ou plusieurs années), j'avais fait vite, ce récit s'était imposé à moi. Comme une dictée.
Un auteur ne peut avoir aucune certitude sur la valeur de son œuvre et maintenant que ce livre paraît, je n'ai plus guère de prétention, au contraire j'éprouve quelque appréhension sur la réception qu'en feront la critique et le public. Mais à l'époque où j'avais achevé mon manuscrit, j'avais un réel sentiment de fierté, je pensais avoir réalisé un tour de force (un roman complet à partir d'un si mince argument) dans une écriture d'une bonne tenue. La tournée des éditeurs (je contactai environ 35 maisons d'édition, grandes et moyennes) fut une cruelle déconvenue. J'en avais essuyé plus d'une par le passé, depuis si longtemps que j'envoyais mes manuscrits par la poste, mais s'agissant de cette œuvre particulière, j'y voyais comme une injustice. J'avais fini par remiser ce récit dans un placard, m'efforçant d'oublier la déception.
Ce fut Le nom que je choisis pour l'envoyer à Matthieu, en me disant que c'était en vain, encore une fois, encore un refus, encore un échec à prévoir.
J'étais persuadé, de par ma connaissance intuitive des circuits de l'édition, que si un jour un de mes manuscrits était accepté, j'apprendrais la nouvelle, non par courrier, mais par un coup de fil. Et ce fut le cas. Le jeudi 5 février 2004, soit trois semaines après l'envoi, Matthieu Baumier m'appela. Ce qu'il me dit était pour moi comme un rêve éveillé, un rêve devenu réalité. Il me disait que mon manuscrit lui avait plu et me demandait l'autorisation de le publier. L'autorisation ? Alors qu'écrivant depuis plus de trente ans, j'attendais ce moment depuis si longtemps ? C'était plutôt lui qui m'autorisait à exister, de par cette reconnaissance.
Il me parla ensuite de la maison d'édition A contrario, du contrat qu'il me ferait signer, du pourcentage des droits d'auteur, de l'à-valoir qui me serait versé. Tout cela était formidable, mais ne représentait plus que les développements, les annexes, les accessoires de cette nouvelle fondamentale : j'étais publié, non pour la première fois de ma vie à vrai dire, mais pour la première fois d'une façon qui réponde à mes attentes (je m'en expliquerai plus loin). Nous prîmes rendez-vous pour le samedi 21 février, dans les locaux d'A contrario, 13 rue Lamartine à Cluny, en Saône-et-Loire.