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CULTURE
Et c'est parti pour le Goncourt !
Publié le 26 septembre 2011 par
Dubruel
Si vous n'aimez pas Maupassant, n'en dégoutez pas les autres !
HISTOIRE D’UN CHIEN
C’était un chien perdu et mal-en-point.
Son histoire est vraie de tout point.
Vivaient à Paris de riches bourgeois
Dans une demeure avec parc et sous-bois.
Leur cocher s’appelait Arnaud.
C’était un bon garçon, un peu lourdaud.
Comme il se promenait un samedi,
Une chienne perdue l’a suivi.
Au début, il n’y prêtait guère attention.
L’animal trottinait à ses côtés
Avec obstination,
L’air hébété.
Elle était d’une maigreur affolante
Avec de grandes mamelles pendantes
Et les oreilles collées sur la tête.
Arnaud voulut chasser ce squelette
Mais quand il s’arrêtait, elle s’arrêtait
S’il se mettait en marche, à deux ils repartaient.
Parfois la chienne de trois pas reculait
Ou sur son derrière se plantait.
Dès que le cocher avait le dos tourné,
Au petit trot elle revenait.
Alors, il la hucha.
Timidement la chienne s’approcha.
Arnaud caressa ses os saillants
-Allons, viens maintenant !
Aussitôt la chienne remua la queue
Et se sentant accueillie,
Courut devant ce maître généreux.
Elle avait bien choisi.
Le cocher l’installa dans l’écurie
Et la nourrit.
Il avertit son patron
Qui lui permit de garder l’animal.
Mais la bête vivant dans cette vaste maison
Allait vite causer des ennuis en rafales.
La chienne était des plus dévergondée.
D’un bout à l’autre de l’année,
Les prétendants à quatre pattes
Assiégeaient ses nouvelles pénates.
Ils rôdaient devant le portail de fer
Traversaient la haie du jardin,
Dévastaient les parterres
De roses, glaïeuls et lupins,
Claironnaient d’insupportables hurlements,
Se battaient en duel continuellement.
On trouvait jusque dans l’escalier
Des roquets, des terriers,
Des griffons, des bassets,
Des moustachus, des frisés.
Bref, tous les échantillons
De l’espèce aboyante.
La chienne que le postillon
Avait appelée Epatante
Recevait des hommages répétés
Et produisait en grandes quantités
Des petits de toutes les races connues
Et inconnues.
Arnaud allait régulièrement à la Seine
les noyer par demi-douzaines.
Le jardinier se plaignait.
La cuisinière aussi geignait.
Elle surprenait des chiens sous l’évier
Et même dans le garde-manger !
Ils volaient tout
Ce qui pouvait traîner partout.
De guerre lasse,
Le patron voulut qu’on se débarrasse
De la chienne. Comme les voisins refusaient
De l’adopter, Arnaud voulut l’égarer,
En vain.
Épatante revint.
Arnaud, navré
La confia le lendemain
À un voyageur
Afin qu’il la lâchât
Dans un lointain secteur.
Épatante retrouva son chemin.
Cette fois, le patron se fâcha :
-Flanquez-la à l’eau avant lundi
Sinon je vous licencie !
Cette fois le cocher fut atterré
Car sa chienne, il l’adorait.
Il donna des sous, dix ou vingt,
À un ami pour accomplir l’exécution.
Mais un chagrin aigu lui vint.
Il décida d’opérer lui-même l’action.
S’emparant d’une forte corde, il alla
Chercher sa chienne,
La caressa
Et l’emmena jusqu’à la Seine.
Voici la scène :
Il lui fit un nœud autour du cou,
Attacha un pavé à l’autre bout,
Et lança le paquet dans l’onde.
La chienne flotta une seconde,
Se débattit, nagea un peu en rond
Puis la pierre l’entraina au fond.
Quelques bulles apparurent à la surface.
Arnaud eut une atroce grimace.
Il l’avait noyée fin avril
Et allait l’oublier
Quand, en juillet,
Il dut conduire ses patrons
Dans leur maison
De Sotteville
Où ils allaient passer trois semaines.
Un matin, comme il faisait très chaud,
Arnaud partit se baigner dans la Seine.
Au moment d’entrer dans l’eau,
Une puanteur lui envahit les narines.
Il aperçut dans une anse voisine
À sa grande stupéfaction
Un corps de chien en putréfaction.
Un bout de corde pourrie flottait à côté.
C’était Épatante qui avait été portée
Par le courant jusqu’ici,
À soixante lieues de Paris.
Il fut si bouleversé le cocher
Qu’il se mit à marcher
Au hasard, la tête perdue.
Il erra tant qu’au soir venu,
Il fut obligé de demander son chemin.
Depuis, il n’ose câliner le moindre chien.