(Journal du Nom, chronique d'une parution : séquence deuxième)
Que je décrive un peu ce livre (qui est sorti officiellement le 15 février), ses caractéristiques détaillées sur la feuille de présentation, qui finissent de me convaincre de son existence : 140 pages, format 14 x 22 cm, prix 16 euros, ISBN 2-7534-0019-9, éditeur A contrario, diffuseur-distributeur JPM Editions… Quel est son poids, quel est son volume dans l'espace ? Quelle sera sa place réelle, parmi les millions de livres qui composent la littérature, quelle sera sa vie propre, son sort, toutes choses qui ne dépendent plus beaucoup de moi… En tout cas, il existe matériellement, concrètement, ce qui est déjà en soi une heureuse nouvelle, et l’achèvement d’un long processus souterrain.
Ce livre sera une surprise pour beaucoup, y compris pour ceux qui connaissent mes œuvres antérieures : avant d'être accepté par A contrario, ce manuscrit n'a eu (si j’excepte les lecteurs des maisons d’édition, dont je ne suis pas sûr qu’ils prennent effectivement connaissance des textes) que deux lecteurs : N* et Christian Cottet-Emard.
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Une année d’attente
Retour sur les semaines qui ont suivi l’acceptation de mon manuscrit.
Me rendant le samedi 21 février 2004 dans les locaux d'A contrario à Cluny, à l'invitation de Matthieu Baumier, j'allais rencontrer une maison en devenir. Et par "maison", j'évoque aussi bien le bâtiment que la société d'édition, tous deux liés. Une maison du dix-huitième siècle, en face de la maison de la presse, au 13 de la rue Lamartine ; il faut emprunter, m'avait dit Matthieu, le couloir jusqu'à la cour, puis monter au 2e étage où se trouvent les bureaux. Tout était en réfection (la photo ci-reproduite ne correspond pas à la réalité d’alors), et je fus reçu dans les bureaux, tout juste rafraîchis, de Matthieu, directeur littéraire, et de Jean-Pierre Maurice, directeur de la société. Près de deux heures d’entretien, de discussions, d'échanges, Matthieu m'apporta les précisions que j'attendais : Le nom devait paraître vers la fin de l’année, en tout cas après la rentrée littéraire de l’automne qu’il préférait éviter, craignant que les ouvrages de la maison ne soient noyés sous la déferlante de septembre. Il m'annonça les projets, l'espace A contrario, la boutique de vente du rez-de-chaussée, les lectures et rencontres dans la cour, le logo de la maison avec ses deux arbres, l'esprit des collections, puis me remit le contrat d'édition en double exemplaire, qu’il me faudrait lui renvoyer, signé et paraphé.
Je décidai de garder le silence sur cette bonne fortune ; hormis N*, Roland Fuentès et Christian Cottet-Emard, mes autres amis ne furent pas prévenus de sitôt. J'avais une sorte de superstition et me disais qu'il ne fallait pas provoquer le destin en criant trop vite victoire (« ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué », comme on dit, proverbe qui s’était vérifié auprès de plusieurs auteurs ayant signé dans de grandes maisons d’édition et dont le livre n’était jamais paru, pour des raisons de politique éditoriale, de difficultés financières ou de changement de directeur littéraire). Tant d'évènements fâcheux pouvaient venir contrecarrer cette publication, celle-ci pouvait être abandonnée ou indéfiniment retardée. Si je ne parvins pas à tenir complètement ma promesse jusqu'à la sortie du livre, je fus dans l'ensemble assez discret. En tout cas, le soir du 21 février, dînant à Lyon à la brasserie Le Sud avec N*, Nicole et Jean-Loup Martin, je ne laissai rien percer de ce bonheur.
Je reçus quelques jours plus tard, soit le 28 février, l’exemplaire du contrat signé par l’éditeur, et le premier chèque d'à-valoir. Trois semaines plus tard, Matthieu me transmit mon manuscrit, avec les quelques corrections, très limitées (suppression de quelques participes présents, termes impropres...) qu'il me suggérait ; j'acceptai une bonne moitié de ses propositions, sans le suivre lorsqu'elles ne me paraissaient pas fondées. Matthieu se montra très peu directif, respectant la volonté de l'auteur. (Ce qui me changea agréablement de mes précédents démêlés avec un éditeur drômois, avec lequel j'avais failli publier un autre roman, et qui me demanda de le réécrire entièrement sans me donner d'indications précises, pour le refuser encore dans sa nouvelle version !) Puis je trouvai en avril dans ma boîte le premier ouvrage sorti des presses d'A contrario, Salam Shalom, de Jean-François Patricola, bientôt suivi du recueil de nouvelles de Matthieu Baumier, Les bibliothèques endormies. Les objets-livres étaient magnifiques, le papier d’un ton légèrement ivoire, la typographie élégante, la maquette originale. Je me réjouis de penser que je figurerais bientôt dans cette collection.
J'eus la joie de recevoir fin juin le roman de Roland Fuentès, La double mémoire de David Hoog, pour lequel je proposai (comme pour son précédent recueil de nouvelles Douze mètres cubes de littérature paru aux éditions du Rocher) une note critique à la revue Europe.
Les mois passèrent, et l'attente était longue, je rongeais mon frein. Ce fut le 7 septembre que Matthieu me téléphona pour m’annoncer la date retenue de sortie du roman : le 15 janvier 2005 (date qui ne s’est d’ailleurs pas vérifiée). C’était un peu plus tard que prévu, mais je comprenais bien que la programmation obéit à des impératifs de stratégie éditoriale. J’indiquai à Matthieu mon désir de le rencontrer avant la parution de l’ouvrage pour préparer certaines opérations : envoi d’annonces par courrier et mail, signature, présence dans les librairies à Lyon, etc. Je lui exposai le projet de ce blog, et du "Journal du Nom".
Les choses ne s’emballèrent vraiment qu’en fin d’année, avec la réception des épreuves le 21 décembre.
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Ce journal, je l'écris d'abord pour moi, mais aussi un peu pour d'autres. Qu'il puisse servir, je n'ose dire à l'édification, du moins à l'information des jeunes auteurs en quête d'un éditeur, des auteurs aux prises avec le désir aigu, funeste et dérisoire de publication, ne serait pas la moindre raison d'être de ce journal (dont j’aurais aimé trouver un équivalent, il y a dix ou vingt ans, quand je m’interrogeais sur le monde de l’édition.) J'essaie de relater mon histoire le plus simplement possible, de parler avec franchise, car je n'attends plus rien qui ressemblerait à une "carrière". Je n'ai rien à cacher, rien à travestir ni à enjoliver, car je n’ai plus rien à intriguer. Pendant la plus large part de ma vie, j'ai espéré pouvoir un jour être reconnu comme écrivain et pouvoir vivre de ma plume ; cet espoir s'est consumé, laissant un goût de cendre dans ma bouche. D'un certain point de vue, je suis ce qu'on appelle un raté, n'ayant pas su réaliser l'ambition qui était l'axe et le nerf de ma vie. Mais aujourd'hui, j'ai dépassé le stade des regrets, je me dis que mon existence a peut-être été tracée sur un filigrane secret qui ne suivait pas les lignes d'un destin plus favorable. On ne peut qu'accepter le sort, qu'il soit bon, mauvais ou médiocre. A quoi sert de se lamenter ? J'ai produit, voilà la seule chose que je puis prétendre, produit des pages et des pages, dont je ne suis pas juge de la valeur, et qui disparaîtront avec moi – ou plutôt, c’est mon seul espoir, un peu après, et le faible sursis de mes écrits permettra de prolonger mon nom d'un léger sillage d'encre.
Parfois aussi, je me dis que je suis peut-être à ma place exacte, pour infortunée qu’elle me semble. Comme l’écrit à peu près Bukowski, « Si les grenouilles avaient des ailes, elles se racleraient pas le cul par terre. » (Souvenirs d’un pas grand chose)