(Journal du Nom, chronique d’une parution : séquence quatrième)
A tous les détracteurs de ce journal, qui lui reprocheront une certaine « complaisance », l’importance démesurée qu’il accorde à une parution qui n’est peut-être pas grand-chose dans l’absolu de la littérature, et moins encore au milieu de l’infini des temps et des lieux, je répondrai qu’ils ont raison. Une complaisance, oui, mais assumée, revendiquée, car l’expérience dont je consigne ici quelques repères m’est vitale. A la différence d’un critique littéraire qui publie le produit de son activité ou le recueil de ses articles, un créateur naît de ses propres œuvres. Un auteur est le père d’une œuvre, laquelle, devenue livre, le fait naître à son tour.
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Le service de presse
Matthieu Baumier m’a communiqué la liste du service de presse du Nom, quelques dizaines d’adresses de critiques et de médias littéraires, allant du Monde au Figaro, de Télérama au Nouvel Observateur, du Journal de la Culture au Magazine littéraire. Un service de presse qui n’est pas pléthorique, gabegie d’ouvrages lancés sans espoir sur l’océan de la critique et destinés à sombrer sans être repêchés d’une ligne, mais service raisonné, équilibré, tenant compte de ce qui est jouable et possible.
Je n'attends guère du service de presse, du moins des grands médias nationaux. A contrario, toute jeune maison d’édition, a certes obtenu quelques articles au cours de l'année 2004 (dont des critiques du bouquin de Patricola dans Le Nouvel Obs et Le Magazine littéraire, et surtout le grandiose article sur le roman de Roland Fuentès dans Le Figaro littéraire du 30 septembre), mais devant la surproduction émanant de centaines d'auteurs plus connus que moi, de dizaines d’éditeurs plus introduits que le mien, quel critique aurait le temps et la place de parler de mon petit roman ? Les egos froissés devraient d'abord comprendre qu'il existe un problème mathématique de surface : comment faire entrer un tel nombre d'auteurs dans un si petit espace de presse ? Et puis il y a, bien sûr, je ne le conteste pas, la part du lion que prennent les gloires établies, dont on se croit obligé de parler, et dont certaines sont d'une scandaleuse absence de valeur. Le problème n'est certainement pas nouveau (copinage et renvoi d'ascenseur sont vieux comme le monde), même s'il semble actuellement amplifié par la médiocrité croissante des critiques.
J'espère davantage du service de presse local, celui dont je peux m'occuper plus personnellement à Lyon. J’en ai dressé la liste – une dizaine d’adresses, plus quelques revues et sites littéraires - à l’intention de Matthieu. Pour mes deux précédents recueils de textes et nouvelles, j’avais obtenu une bonne couverture critique (en particulier sur le site Sitartmag, où Blandine Longre avait superbement chroniqué mes ouvrages) et ne partais pas de zéro. En revanche, rien à espérer de Brèves, cette fois, puisque la revue ne rend compte que des recueils de nouvelles.
Dressant la liste de mes services de presse lyonnais, qui venaient compléter le service de presse national d'A contrario, je pensais inévitablement à Louis Muron, à qui j'avais envoyé mes précédents ouvrages, qui m'avait chaque fois répondu, invité dans ses émissions radiophoniques. J'aurais tant aimé qu'il puisse lire Le nom. Mais il est mort, au terme d'un douloureux cancer du foie, au mois de février 2004, et je voudrais rendre hommage à cet homme de culture et d'écriture, romancier (Le chant des Canuts, aux Presses de la Cité), biographe (Bernanos, Edouard Herriot, Pompidou), homme de radio. Au cours de toutes ces années, de ces décennies où j'écrivais dans la solitude, ignoré, refusé par la grande édition, publié seulement en revues et par de petits éditeurs, il fut l'un des rares (avec quelques autres que je veux remercier : Roland Fuentès, Roger Gaillard, Christian Cottet-Emard, Robert Dadillon) à me soutenir et à m'aider. Il m'invita plusieurs fois dans son émission "Salon littéraire" sur Radio RCF, dont les locaux se situent sur la colline de Fourvière, à Lyon. J'entends encore sa voix grave et puissante me poser des questions, lire des passages de mes livres ; j'ai gardé quelques enregistrements de ces émissions qui avaient un large public. Il m'avait aussi appelé à ses côtés pour animer l'Union des écrivains de Rhône-Alpes.
Un livre n’est rien s’il n’a pas de presse, et il est assez naturel que l’auteur collabore à sa diffusion et à sa promotion (ce blog en est un moyen), soutenant ainsi l’éditeur comme il a été soutenu par celui-ci. Mais l’auteur n’est plus rien s’il se prostitue. La question que je me pose, dans l’absolu, d’une manière théorique (car mon livre n’aura pas un succès public et critique tel que je sois invité dans les grands médias), est l’attitude qu’un écrivain doit tenir s’il est convié à certaines émissions de radio ou de télévision. Car on ne peut pas à la fois cracher sur certains médias, comme je le fais volontiers à l’occasion, et mendier leur concours. La cohérence n’est pas facile, et tient de l’équilibre, mais il faut respecter une ligne de conduite.
Que ferais-je si j’étais placé dans cette situation ? Une première réflexion m’amène à certaines lignes de partage.
Concernant la presse écrite, ou les sites littéraires sur internet, je n’aurais aucune réticence à répondre à des interviews, quel que soit le média, dans la mesure où l’on respecte la lettre de mes réponses, sans les déformer ni les tronquer.
Concernant la radio et la télévision, je serais prêt à participer à des émissions où l’on me respecte en tant qu’auteur et où l’on me permet de m’exprimer. Je refuserais les émissions qui ne sont conçues que pour mettre en vedette un animateur, qui utilise les invités pour son propre show, en leur coupant la parole, en cherchant à les déstabiliser, en les raillant, les ridiculisant – jeu de cirque pervers où j’aurais probablement le dessous, étant moins rompu à ces exercices que mon agresseur dont c’est le métier. Et je ne pourrais pas m’y exprimer en liberté ni me montrer sous le seul profil qui m’importe, celui d’un écrivain, qui n’a que ses doutes et ses faibles certitudes à partager. Quand on voit certaines émissions télévisées, jeux du cirque médiatique dans lequel on jette en pâture aux hyènes un pauvre auteur, comme plongé dans un meeting de braillards incultes, casseurs de beauté et de spiritualité pour le seul plaisir de faire un bon mot (plutôt une blague vaseuse, d’ailleurs), on se dit qu’on n’a rien à faire dans ces émissions-là ; y aller ne serait que cautionner ce qui nous dégoûte, cautionner ce qui travaille contre nous. Au reste, on ne va pas dans ce genre de foire pour vendre des livres, mais pour vendre son image, une image composée, fardée, rictus éloigné de notre véritable nature. Mais la question ne se pose pas pour l’instant, et j’ai trop beau jeu de jouer les intègres.
Ce que je sais aussi, ce que je crois connaître de moi-même, après une si longue et décevante fréquentation, c’est que j’irai le moins possible dans les réunions qui ressemblent à un débat, une table ronde. Je suis extrêmement mauvais dans l’échange, la répartie, la réplique, le combat d’arguments. Je n’ai reçu aucune formation de syndicaliste ou de militant politique, je ne suis pas rompu à cette joute verbale qui m’a toujours semblé de peu d’intérêt, car les vainqueurs de ce genre de confrontation ne sont pas ceux qui ont les meilleures raisons mais ceux qui ont la meilleure technique de combat. De ce sport, de cette escrime intellectuelle (qui peut tuer aussi sûrement qu’une épée, ruinant des réputations), on a la connaissance innée ou acquise, cela s’apprend, cela se perfectionne. Mais ma façon de m’exprimer est ailleurs, dans la pratique patiente et solitaire de l’écrit où je suis au meilleur de ma forme. A chacun ses armes. Jean-Jacques Rousseau, dans Les Confessions, se décrivait comme un esprit lent, ne trouvant que le lendemain la réplique qu’il aurait dû dire le jour même. (« des idées lentes à naître, embarrassées et qui ne se présentent jamais qu’après coup», « je ferais une fort jolie conversation par la poste »). Mon esprit doit être de la même étoffe.