(Journal du Nom, chronique d’une parution : séquence sixième) L’un des moyens les plus courants par lequel un auteur peut participer à la promotion de son livre est la séance de signature. Mais tout auteur n’est pas une gloire comme Amélie Nothomb pour laquelle les organisateurs doivent, lorsqu’elle signe dans une grande surface ou un salon du livre, canaliser ses fans derrière des barrières métalliques – et la cérémonie aura généralement une allure plus modeste et conviviale. Un de mes amis écrivain notoirement moins célèbre avait pour promouvoir ses ouvrages programmé une tournée de signatures dans la région, sans négliger de petites librairies, de petites bourgades, pour un résultat assez décevant, me confiait-il. Pour ma part, je ne suis guère amateur de ce type de cérémonie (est-il une épreuve plus décevante, plus déprimante, que d’attendre en vain le chaland, sous le regard désolé et compatissant du libraire, interminables moments où l’on prend conscience de son néant, de son inutilité ?) ; en dehors d’une présence ponctuelle dans certains salons du livre où il m’arrivait de dédicacer un ouvrage à l’occasion, j’avais effectué à Lyon une discrète signature à la librairie Nouvelle, aujourd’hui disparue, pour Noria, en 1988, et une collective à la Condition des Soies, à la Croix-Rousse, pour Immenses, en 1989 – à la demande expresse des éditeurs respectifs. Les deux séances de signatures les mieux préparées à Lyon, les plus satisfaisantes, se sont déroulées toutes deux à la librairie des Nouveautés, animée par Robert Bouvier au 26 de la place Bellecour. La première avait eu lieu en 1984 pour la sortie de Du pays glacé salin, chez Cheyne ; le libraire m’avait consacré toute une vitrine, avec mes recueils en nombre et une grande photo. Je fis une seconde signature aux Nouveautés le 30 janvier 1998, pour la biographie Joséphin Soulary, poète lyonnais, le hasard, qui ne fait pas les choses au hasard mais selon une logique secrète, ayant voulu que le libraire habite la maison même de Soulary. En refaire une pour Le nom ? Et où ? Je repris contact avec Robert Bouvier, qui à l’annonce de la prochaine parution de mon roman, me proposa spontanément de le signer chez lui. Il restait à choisir une date : ce fut le 30 mars. Pour l’annoncer, j’envoyai quelques cartons d’invitation, des communiqués à la presse locale, à quelques sites internet. Le jour dit, le libraire (et ses assistantes) avaient bien fait les choses : une vitrine entière était remplie de mes livres, avec de belles affiches réalisées par l’éditeur. Je disposais d’une petite table ornée d’un bouquet de fleurs, et une bouteille de vin blanc fut ouverte pour régaler mes acheteurs. Pendant deux heures se succédèrent mes lecteurs, pour la plupart des gens m'ayant connu dans d'autres circonstances, car Lyon et moi, c'est une longue histoire. Cette parution est l'occasion de renouer avec de nombreuses personnes qui ont compté dans ma vie, avec lesquelles les liens s'étaient relâchés, atténués, par la simple épreuve du temps, l'usure des jours, un peu comme des chemins qui, à force de ne plus être fréquentés, se recouvrent d'herbe, se referment, et dont on perd par endroits la trace. Membres lointains de ma famille, amis éloignés dans le temps ou l’espace, anciens collègues de travail, poètes et nouvellistes croisés au hasard des publications ou des salons littéraires, bref une liste de connaissances au souvenir desquelles je me rappelle. Ou qui se rappellent à moi... Ainsi, le 30 mars, lorsque j’arrivai devant la librairie pour prendre les photos ici reproduites, un couple d’anciens collègues de la Direction des affaires sanitaires et sociales avec lesquels je travaillais à la fin des années 70, contemplaient la vitrine en m’attendant. Plus tard, une femme vint me faire signer deux de mes livres « pour son frère Patrick, que j’avais connu à la fac ». Je n’avais en effet jamais revu cet ami d’études depuis trente ans. Etrange que ces personnes non invitées, dont j’avais perdu la trace, viennent à moi à la suite d’une annonce dans un journal ou d’une affiche à la librairie. C’était un peu ma vie en raccourci qui repassait devant mes yeux, le passé venant se superposer au présent comme les deux pans d’un drap se repliant. Cette manifestation, chaleureuse et sympathique, n’a pas été un franc succès, du moins en ce qui concerne les ventes, situées bien en deçà de celles du « Joséphin Soulary ». S’il fallait en chercher les causes (car on veut toujours tirer des enseignements, lesquels servent d’ailleurs très peu pour l’avenir, les conditions ne se répétant jamais), j’en isolerais deux : la date relativement tardive de cette signature par rapport à la sortie du livre, qui a conduit certains de mes lecteurs lyonnais à ne pas attendre cette date pour acquérir l’ouvrage, soit par correspondance soit en librairie ; la difficulté de plus en plus réelle à obtenir des articles dans la presse locale, que ce soit des critiques de l’ouvrage ou des annonces de la manifestation. Mais, ne serait-ce que pour l’accueil du libraire, la joie des retrouvailles et des échanges, je finis enchanté de ma journée.