Depuis queje n’ai plus de télévision, ma vie n’a pas changé. Dieu merci ! Un matinje me suis levé et j’ai cessé de boire et consommer les informations en continu.Je n’étais ni anarchiste et encore moins dans un processus de rébellionquelconque. J’avais simplement décidé de passer à autre chose. D’offrir à mavie un conditionnement différent.C’estvraiil paraît difficile de nos jours dene pas vivre sans actualité mais j’avais profondément décidé de m’en foutre de lamarche du monde. De m’éclipser de la vie de mes contemporains. Après tout àquoi ça sert de s’infester le cerveau de la vie de parfaits inconnus quiretourneront vite aux oubliettes à la prochaine secousse du chaos planétaire.
Je m’étaisfixé comme objectif de vivre et colorer mon existence du contact humain.Première source d’informations. De voyager, de bouger, de prendre des risques,d’aller à la rencontre du monde. De participer à la véritable richesse de cettevie. Le facteur humain. Ainsi j’étais presque sûr de ne jamais manquer unépisode du monde qui m’entoure. Une information qui me ressemble et neressemble pas aux objectifs politiques d’un courant à la mode ou d’un groupe delobbying.
ToutBonnement je me suis donc effacé de la morve qui fait avancer la planète. Je necroyais plus à toutes ces histoires qu’on publiait à tout va dans les journauxet autres sites internet fraîchement dopés aux dividendes d’entreprises àcharité douteuse. Je m’étais fait une idée de cette planète très simple. Letroisième millénaire vient nous donner une belle leçon d’insouciance etd’hypocrisie. À quoi bonencore rêver ? À quoi bonencore voter ? Quand toutes ces choses n’ont plus de sens ? À quoi bon respirer le désabusement collectifautour de quelques évangiles économiques ségrégationnistes, racistes, puritainset fraîchement de inspirés par des théories malicieuses montées par des misanthropesaux costumes de professeurs, d’analystes, spécialistes et autres barrières quiséparent si bien les classes. J’en avaisassez d’attendre et d’entendre. De penser. D’idéaliser. De compter. Decalculer. D’épier mon voisin avec la télécommande. De fantasmer un monde. D’incriminermon prochain en saluant le courage de chefs d’états sans mérite. J’avais ceconstat dans le ventre. Le monde est plat. Les hommes sont froids et distants. À la guerre comme à la guerre, messieurs, vousn’aurez pas mon consentement. Oui, messieurs aux costumes bien taillés, aulangage sur mesure pour la conquête de l’espace, des puits de gaz et desespaces publicitaires. Vous n’aurez pas ma voix. Rien de rien. Je serai librede chier sur vos journaux gratuits distribués de bonne heure pour nous endormirsi tôt. Je serai libre de ne point acheter vos quotidiens politiques sansincidences sur le taux de pauvreté, la sous-nutrition et la paix. Je serai librede dire non aux puissants. De profiter cruellement de ma vie avec le cynismedes gens qui en savent long mais ferment leur gueule. Je nevoulais ni faire sauter une tour ni attaquer un président. J’étais simplementlibre de ne croire en rien. D’annihiler le sens moral dans ma tête. D’anéantirtout lien social pour discussions mondainesdans les pissotières de clubs huppés. J’étais libre de ne plus croire ausens de la fraternité. De respirer avecun souffle de prophète sans prétentions. Libre. Un mot qui fait tantpeur à nos orateurs de masses en tout genre : Publicitaires, éditeurs etgros bourgeois, hommes politiques nourries aux fiches science-po et auxrestaurants chics de beaux-quartiers. J’étais libre d’orienter mon regard versun monde sans faille. Un monde où la lucidité se mesurait à ceci : Rienn’est vrai. Pas même ma parole sur la tombe de mes ancêtres. C’est que toutpeut disparaître et cela suffit à mettre en œuvre.J’avais doncce regard des hommes vides qui tiennent encore une mitraillette pendant latrêve. Le bonheur chez moi n’était ni le pouvoir d’achatni la réduction d’émissions de gaz à effet deserre. Je prenais de la vie le goût amer des choses. La sève du réel coulaitsans cesse avec une plainte sourde et dont la force se trouvait abattue par uneincapacité générale. « Ni maître ni esclave » disent les anarchistes.Illusion totale. Les maîtres sont bien aux commandes avec un sourire soudé quivous désarme à chaque désir irréaliste. Tu prends tes clés en main pour unvoyage vers la mort. Une descente aux enfers. Des commandos se chargeront det’offrir un bonheur sur pieds, sur ongle. Appuie sur la commande. Tourne lespages de ce journal. Informe-toi. Ecoute ! Subis. Ça s’appelle aussi la culture. Tu seras libreet ton bonheur siégera entre nos mains. Appuie sur la commande ! C’estfortement conseillé au lendemain d’une élection. Commente autant que tupeux ! J’assoie mon pouvoir ! Libère tes pulsions. Je draine tonanimalité au mieux. J’entends aux mieux tes attentes et gouverne tes besoins. Jesuis l’âme qui soulage et transforme tes peines en désirs. J’abolie tes bonssentiments. Je te rends solide et inhumain. Inutile aussi pour le reste de tavie.Appuie sur la commande c’est unvoyage de feu.J’ai parié sur tesprochains échecs et ta miteuse réussite avec vacances de cinq semaines au bordde la mer. Nettoie ton froc pour le restant de tes jours et fais-toi unemeilleure idée de l’écologie. Un café, un déchet. Le résultat reste lemême : la croissance de mon capital. Vernis les jours de ta femme. Divorceet lance-toi dans le sadomasochisme. Joyeux consommateur ! Appuie sur lacommande.